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Zacarias Moussaoui entre Mon fils perdu et Mon frère |
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Introduction D'autres que nous ont écrit sur les activités et sympathies de Zacarias Moussaoui au chapitre du terrorisme. Nous nous efforcerons plutôt d'attirer l'attention sur d'autres situations préoccupantes comme la crise familiale «après-coup» au sein de la famille Moussaoui, suite à la condamnation de Zacarias Moussaoui (38 ans, français d’origine marocaine en 2001) pour son rôle supposé dans les attentats du 11 septembre 2001 à New York. C’est un des quatre enfants (deux filles et deux garçons) nés dans un couple souffrant, issu d’un mariage forcé d’après le témoignage de Mme Aïcha EL WAFI, mère de l’accusé, mariée à l’âge de quatorze ans. Toutefois, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le but de cet article n’est pas de parler de Zacarias Moussaoui, mais de la façon dont son frère ainé, Abd Samad, et sa mère, Mme El-Wafi se sont expliqués sur la situation. Cette situation a engendré une forme de crise familiale et a obligé les membres de la famille, en tant que témoins directs, à prendre position. Notre travail s’inspire principalement des deux ouvrages écrits successivement par le frère puis la mère de Moussaoui. Nous complèterons notre étude par les entretiens menés avec la mère, dans le cadre de notre mémoire sur «les effets du mariage forcé sur le développement ultérieur des enfants nés dans des couples unis de force en France». Le premier livre est écrit par le frère aîné de Zacarias Moussaoui – Abd Samad Moussaoui – en collaboration avec la journaliste Florence Bouquillat (journaliste à la rédaction de France 2) : Zacarias Moussaoui, mon frère, sorti le 18 septembre 2002 à l’occasion du premier anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. Le deuxième livre est écrit par la mère – Aïcha El-Wafi – en collaboration avec Matthias Favron (journaliste sur TF1) et Sophie Quaranta (journaliste pour Zone interdite sur M6) : Mon fils perdu, paru le 5 octobre 2006. Tout d’abord, notre point de vue psychopathologique et clinique nous pousse à réfléchir sur les problématiques suivantes: quelle sont les motivations des auteurs derrière l’écriture de ces deux livres? Pourquoi le frère ainé et la mère de Zacarias Moussaoui se sont-ils saisis d’une collaboration externe et laquelle? La publication de ces livres était-elle un moyen indispensable pour faire face à la crise familiale? Nous approfondirons le débat en énonçant les hypothèses suivantes: 1- Par l’écriture de son livre, le frère aîné montre sa position contre l‘intégrisme et les organisations terroristes comme Al-Qaïda en même temps qu’il règle un compte avec sa famille par le biais de son frère. 2- La motivation de la mère à travers la publication de son livre serait de réparer l’image de son fils, Zaccarias Moussaoui, déformé par le témoignage de son frère et le battage médiatique (devoir de mémoire). 3- Le recours à une collaboration externe permet de viser un public national et international, et d’encadrer la médiatisation autour du sujet. 4- Il s’agit d’une situation familiale «après-coup», une sorte de dynamique familiale autour du travail de reconstruction; un moyen de se justifier et se protéger du scandale, et ainsi sortir de la crise. En second lieu, nous sommes en droit de nous demander comment les différents récits relatifs à l’histoire familiale et selon chaque acteur peuvent expliquer la particularité de la dynamique familiale. On s’interrogera enfin sur la façon dont Zacarias Moussaoui a réagi face à la publication de ces deux livres à son sujet. Pour conclure, une approche psychopathologique et clinique est indispensable. Elle nous paraît importante pour tenter de répondre aux interrogations posées précédemment. Elle permet également de comprendre les réelles motivations de chacun derrière l’écriture de ces deux livres, et de savoir pourquoi le frère ainé et la mère ont eu recours à une collaboration externe. Précisons que s’il est vrai qu’au sein d’une famille les positions de chaque membre sont différentes par rapport à l’histoire et au vécu de chacun, qu’au même titre il n’est pas dans notre intention de faire de cette étude de cas une généralité applicable à l’ensemble des familles issues d’un mariage forcé. Nous respectons l’idée du cas par cas et proposons une lecture de l’histoire familiale de Zacarias Moussaoui. |
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Le livre d’Abd Samad Moussaoui : Moussaoui, mon frère Abd samad a profité de la date anniversaire des attentats pour publier ce livre. La date est bien choisie, comme il a bien choisi la main qui a écrit son livre (Florence Bouquillat). Témoigner au travers d’un livre n’est pas chose anodine. Que vise Abd Samad par cet acte à la fois en tant que frère aîné et membre de la famille, témoin direct ou indirect de la condamnation de Zacarias? Les objectifs du livre d’Abd Samad Les parents de Zacarias Moussaoui ont été unis de force alors que la mariée n’était âgée que de 14 ans. Suite à cela, une relation pathologique s’installe au sein du couple. Ainsi, quatre enfants naissent dans un foyer en déséquilibre relationnel, entre un père toujours absent au casier judiciaire chargé et une mère épuisée, fragilisée par le poids d’une lourde charge familiale. Cette situation perdure jusqu'au 11 septembre 2001, jour de l’apparition de la photo de Zacarias Moussaoui dans les médias. Abd Samad décide d’écrire un livre, en parallèle de ses témoignages contre son frère. Ce livre n’a jamais cessé d’être la cible des critiques qui n’y voient qu’un règlement de compte familial. Il est bien clair que ce livre n’est pas tout-à-fait innocent, il révèle d’autre chose au-delà des simples histoires familiales. En le lisant avec un œil de psychologue nous constatons que la publication de ce livre avait plusieurs finalités: une rivalité fraternelle, un règlement de compte avec sa famille, faire valoir des idées habachistes, blesser sa mère et surtout se protéger du scandale lié à la condamnation de son frère. Abd Samad explique qu’il avait une relation normale avec son frère. Cependant, à la vue de ses comportements agressifs et d'une sorte de passion destructrice contre son frère cadet, après sa condamnation, nous sommes amenés à nous questionner sur ce qu’il entend par relation «normale». La place d’Abd Samad en tant qu'aîné de sa fratrie n’était pas privilégiée selon lui. Les témoignages de Mme Aïcha El Wafi, ainsi que ceux de l’entourage de Zacarias Moussaoui, montrent que ce dernier était préféré à son frère par tous. De fait, les deux frères ne se côtoyaient pas, ils ne se seraient pas vu depuis près de cinq ans (période durant laquelle Zacarias Moussaoui est tombé dans l’engrenage des terroristes). Abd Samad rejette la faute sur son frère, qui se serait éloigné de tous. Sur un ton de reproches il nous dit : «je ne comprends pas comment mon petit frère a fini par trouver acceptable de nous rayer de sa vie». Pire encore, il cherche à exclure Zacarias de l’amour de sa famille: «Personne ne s’est soucié de savoir ce qu’est devenu Zacarias. J’ai le sentiment d’être le seul à me souvenir de lui» (Moussaoui et Bouquillat, 2002). Cependant, notons qu’il n’a rien fait pour retrouver son frère et que seule sa mère s’est déplacée et a même infiltré des zones d’intégristes dangereuses pour suivre les traces de son fils. Aussi, elle n’a jamais baissé les bras durant le procès pour assurer une juste défense à son fils, ce bien qu’elle l’ait su coupable. Ensuite, Abd Samad ne cesse d’attaquer sa mère, ces violences étant directement liées à la relation conflictuelle qui existe entre sa mère et son épouse (et cousine). La belle-fille se sentirait rejetée en raison de son premier penchant pour Zacarias, mais ce dernier étant engagé avec une française elle se serait rabattu sur son aîné (interview le 27.02.08) et chercherait via son mari à se venger. Enfin, Abd Samad, renforce la culpabilité de son frère Zacarias de manière radicale, cela même avant qu’il soit jugé par le tribunal américain. Ce n'est pas un comportement habituel de condamner son frère, de ne pas le soutenir, notamment dans une culture arabo-musulmane. Abd Samad a échangé son rôle de frère avec celui de porte-parole des habachistes. Le mouvement habachiste a profité de l’affaire de Zacarias Moussaoui et de la rivalité entre les deux frères, pour se faire connaître et diffuser ses idées tout en gardant le soutien de l’État français. Les sources Abd Samad dit tenir toutes ses informations de sa grand-mère, de sa tante (qui est aussi sa belle-mère, ce qu’il ne mentionne pas dans son livre) et de ses oncles vivant au Maroc (Moussaoui et Bouquillat, 2002, p. 13). Ces sources sont sujettes à controverse. D’une part, sa famille est éloignée et il connaît à peine sa grand-mère et ses oncles: « nous n’avions que très peu de souvenirs d’elle [sa grand-mère]» (Moussaoui Bouquillat, 2002, p. 93). En outre, il ne parle pas l’arabe et sa famille restée au Maroc ne comprend pas le français. Aussi, Aïcha possède une lettre d’un de ses oncles dans laquelle il nie être une des sources des propos avancés par Abd Samad. Il ne reste donc que sa tante comme source vraisemblable. Cependant, nous sommes en droit de mettre en doute son impartialité puisqu’elle est en conflit avec Mme Aïcha El-Wafi. Le contenu Il est à noter que lorsque Abd Samad évoque sa mère, il ne dit pas «ma mère» mais «Aïcha». Sauf que dans le monde arabe, appeler sa mère par son prénom est considéré comme un manque de respect, notamment chez les musulmans pratiquants, comme il se définit lui-même. Il va plus loin en mettant en doute le statut de victime de sa mère, qui ne se serait pas mariée contre son gré: «Aïcha a désiré se marier, sans doute pour quitter la maison [...] Aïcha s’est obstinée, ma grand-mère a fini par accepter le mariage» (Moussaoui et Bouquillat, 2002, p. 18). Il va même jusqu’à remettre en question son statut de mère : elle ne serait jamais occupée de lui, mais il n’a quitté le domicile familial qu’à l’âge de vingt-trois ans. Il méprise sa mère jusqu’à ne pas reconnaitre son statut professionnel, la retraitée de France Télécom en est réduite à une simple femme de ménage. D’autre part, Abd Samad ne reconnait pas avoir subi de violences familiales: «je n’ai gardé absolument aucun souvenir de scènes de violence familiale, mais il est vrai que j’étais encore très jeune» (Moussaoui et Bouquillat, 2002, p. 20), «il n’a jamais été méchant, il ne nous a jamais frappé » (p. 60). Il reconnaît cependant des carences paternelles: il a souffert de l’absence de son père, ainsi que de son instabilité. Il prétend que son père fuyait sa mère, mais il n’évoque pas ses périodes d’emprisonnement qui l’ont de fait éloigné du foyer. Il reconnaît malgré tout que son père était instable: «il menait une vie désordonnée, avait de nombreuses aventures, et nous emmenait même en discothèque» (p. 60). Il s’agit donc d’un père qui n’assume pas son rôle et ne subvient pas aux besoins matériels de sa famille, là où il est d’accord avec les propos de sa mère sur le fait que son père ne se préoccupait pas de sa famille, comme il ne donne pas «la moindre pension à notre mère » (p. 60). Abd Samad a tellement souffert de l’absence de son père qu’il a fini par l’exclure définitivement de sa vie. En effet, il ne parle de lui qu’au passé et il n’évoque pas son internement actuel en établissement médical pour cause de troubles liés à l’alcool. Abd Samad ressent également des carences culturelles. Il ne trouve pas sa place entre la culture française et la culture marocaine: «nous ne nous sentons pas comme des français de souche [...] Nous ne vivons pas comme des marocains non plus» (p. 95). Il vit ce manque de repères comme une frustration, «Alors pourquoi étions-nous si ignares [religion]? Nous nous sentions ridicules vis-à-vis des autres […]» (p. 76). Aussi, il reproche à sa mère de ne pas leur avoir donné une culture orientale: «elle aimait beaucoup la compagnie des Pères Blancs [missionnaires catholiques basés en Afrique]» (p. 17). Malgré son manque de connaissances religieuses, il se dépeint comme un fervent détracteur des mouvements islamistes (Tablighs, Frères Musulmans, Wahabisme, etc.) dont Zacarias fait partie et défenseur des Habachistes. La différence entre les deux frères est que Zacarias avait intégré les groupes d’Al-Qaïda avant que son frère Abd Samad rejoigne les rangs du mouvement habachiste (mouvement non reconnu par les autres mouvements islamistes). Leur ressemblance, c’est la méconnaissance religieuse. Pourquoi faire appel à la plume journalistique? Quand la situation parait insurmontable, il est parfois nécessaire d'avoir recours à un tiers. Ce qui est remarquable dans le cas d’Abd Samad, c’est qu’à la différence de sa mère, il maîtrise la langue française, il n'a pas besoin vraisemblablement du recours à un journaliste, mais il y a multiples motivations à cette coopération. Contrairement à sa mère, il n’a pas hésité à collaborer avec la journaliste. Il y trouve plusieurs avantages; avantage financier tout d’abord, mais surtout l’opportunité de diffuser plus largement ses idées en tant que porte-parole du mouvement habachiste. Enfin, il profite de la journaliste en question pour donner plus de crédibilité à ses propos. Pour conclure, Abd Samad a réussi sa mission de porte-parole du mouvement habachiste. Au travers de sa volonté vengeresse et du désir de détruire sa mère et son frère, nous voyons que les rivalités fraternelles influent sur le développement du cadet. Cette rivalité est nourrie par l’absence de repères paternels et par l’amour d’une mère perturbée, victime d’un mariage forcé. |
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Le livre de Mme El-Wafi : Mon fils perdu Les objectifs Dans la littérature, le cas des enfants qui publient leur hostilité envers leur mère est courant. À titre d’exemple, nous pouvons citer le cas de Michel Houellebecq (1998). À l’inverse, il est très rare qu’une mère dénigre publiquement ses enfants. Dans ce cas précis, Mme Aïcha El-Wafi cherche davantage à réparer l’image de son fils Zacarias Moussaoui déformée par le témoignage de son frère et le battage médiatique, qu’à critiquer Abd Samad. Au-delà de la simple réhabilitation de Zacarias, il semblerait que Aïcha El-Wafi recherche la reconnaissance de son statut de victime d’un mariage forcé, reconnaissance dont elle a d’autant plus besoin qu’elle a essuyé des attaques dans le livre de son fils Abd Samad. Obtenir le statut de victime permet d’accéder à une forme de reconnaissance qui n’est pas seulement médicale et qui dépasse la réparation pécuniaire, «il assure le regard des autres » (Audet et Katz, 1999, p. 16), un regard social qui ne l’accuse pas d’être la cause des actes terroristes de son fils. En outre, obtenir la reconnaissance son propre statut de victime permet également de reconnaitre la victimisation de son fils Zacarias. Deux éléments ont retenu notre attention. En premier lieu, la manière dont elle présente ses deux fils: « je réalise que mes fils sont tous les deux prisonniers : l’un enchaîné à sa haine et son aveuglement, l’autre dans la cellule d’une prison américaine, la peine de mort pesant sur sa tête» (El-Wafi, Favronb et Quaranta, 2006, p. 145). Mme El-Wafi a toujours voulu élever ses enfants dans un esprit de laïcité, le passage précédent étant d'une certaine façon l’aveu de son échec en tant que mère qui se doit de protéger ses enfants des risques de l’intégrisme religieux. En second lieu, l’insistance dont elle fait preuve quand elle parle de la méchanceté Abd Samad à l’égard de son frère et d’elle-même, méchanceté qu’elle vit comme une trahison: «Abd Samad se répand dans les médias pour l’enfoncer et le traiter de fanatique, de terroriste. Il donne aux journalistes ce qu’ils veulent entendre accréditant l’idée d’un frère ayant grandi dans la haine. C’est comme si mon fils prenait un poignard pour me le plonger dans le cœur. C’est atroce! Ils étaient pourtant si proches l’un de l’autre, inséparables. Je ne peux pas admettre qu’il y ait autant d’animosité entre eux » (p. 144). Le contenu Tout au long de son livre, Aïcha El-Wafi raconte sa souffrance, à la fois en tant qu’épouse et en tant que mère d’un présumé terroriste. Elle éprouve le besoin de parler pour se libérer de la douleur, de se défendre et de défendre son fils. Son but est de montrer les choses autour de l’histoire de Zacarias Moussaoui dans leur réalité et aucunement pour répondre aux accusations de son fils aîné. Elle se justifie tout d’abord de l’écriture tardive de ce livre; elle n’a pas abandonné son fils, elle avait comme priorité de lui assurer un procès équitable avant de le blanchir devant le reste du monde. Elle reconnaît malgré tout qu’il était perturbé et égaré. Elle explique son adhésion aux mouvements islamistes par le fait que ces derniers auraient profité de son instabilité, de son manque de repères familiaux et culturels: « J’imagine les intégristes comme des requins dévorant de jeunes êtres innocents comme mon fils, exploitant leurs faiblesses, leur manque d’amour, leur fragilité » (p. 170). Elle se refuse à croire en sa culpabilité: «mon cœur de mère me crie que ce n’est pas possible, qu’il n’a rien fait, mais je ne peux pas m’empêcher de douter. Et ce doute est ma souffrance» (p. 126). Elle tient également à exprimer son sentiment de trahison de la part de ce pays dont elle est «tombée amoureuse» (p. 178): «Je veux savoir pourquoi personne ne s’occupe de mon fils, pourquoi le gouvernement n’a pas levé le petit doigt pour qu’on lui rende visite en prison, pour vérifier s’il est bien traité. C’est un citoyen français, après tout…»(p. 133). Son pays, ses proches, les avocats l’ont abandonnée, elle se retrouve seule contre une parodie de tribunal où «les jeux sont faits d’avance» (p. 227). Elle trouve tout de même une aide psychologique et financière précieuse de la Fédération internationale des droits de l'Homme. Chose étrange, le plus grand réconfort provient de familles de victimes du 11 septembre: «leur chaleur et leur amitié me réchauffe le cœur » (p. 222). Le 22 mai, quelques-uns des membres des familles des victimes du 9/11, dont des israélites, viendront me rendre visite en France pour me témoigner leur soutien (hebdomadaire francophone Maroc Hebde Internationnal, n°698 du 12 au 18 mai 2006). Pourquoi faire appel à la plume journalistique? Mme El-Wafia a bien compris qu’en France, comme dans d’autres pays, la médiatisation de la victime dépend généralement du besoin commercial plutôt qu’humanitaire. Cependant, elle a cherché auprès des deux journalistes des personnes à la fois capable de traduire ses propos parfois embarrassants et quelle avait du mal à formuler. Mais aussi des gens qui seraient un soutient, cherchant la justesse de l’expression et non la formulation d’un jugement ou le voyeurisme malsain. Afin d’éviter les préjudices que peuvent causer une mauvaise médiatisation, la victimologie ne cesse d’informer les institutions médiatiques sur les manières de traiter les images et les répercutions qu’elles peuvent avoir sur les victimes grâce à des bases scientifiques. Le livre de Mme El-Wafi est donc avant tout le témoignage d’une mère, fidèle à son rôle protecteur envers ses enfants malgré tout. Mais il met aussi en exergue les conséquences néfastes d’un mariage forcé sur les liens familiaux, rendant vulnérables la structure familiale. |
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La position de Zacarias Moussaoui suite à la publication du livre Signalons avant tout que Moussaoui n’a appris la publication du livre de son frère que le jour de son jugement, et, au dernier entretien du 07.02.2008 que nous avons eu avec Mme El-Wafi, il n‘était toujours pas informé de l’écriture de celui de sa mère. L’idéologie extrémiste est profondément implantée dans la logique de Zacarias Moussaoui et envahit sa façon de penser. Il est fanatisé au point que le dialogue n’est plus possible. Il se dresse contre sa famille comme s’il était évident qu’ils soient tous et depuis toujours contre lui et ses idées. Il reproche à sa mère et à son frère leur manque de discipline religieuse, de s’être égarés de la foi en quittant par exemple la terre musulmane ou en ne portant pas le voile (cf. entretien du 07.02.2008). Il n’a pas été déçu du livre de son frère car cela lui paraissait évident que ce dernier le fasse, poussé par la haine, le FBI, les services secrets français, sa femme, l’argent, etc. Cependant, il ne lui en tient pas rigueur car il pense son frère victime d’un embrigadement religieux. Son procès est une mascarade et il refuse tout système de défense, «son sort était scellé d’avance» (El-Wafi, Favronb et Quaranta, 2006, p. 238), il pense être victime d’un complot, «réclamant vengeance plutôt que justice» (p. 222) |
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Résultats globaux L’une des conclusions auxquelles nous sommes arrivés est que la famille n’est pas un îlot protégé comme certains pourraient le penser. Une crise suffit à faire éclater les liens fragiles de la famille, retranchant chacun de ses membres dans l’individualisme. Notre travail sur cette situation familiale «après-coup» nous a aidés à comprendre la dynamique familiale vis-à-vis du travail de reconstruction, de justification et de conduite défensive. Pour se sortir de la crise et se protéger du scandale, les membres de cette famille ont préféré se diviser. Ils reportent la faute les uns sur les autres et ils cherchent à éviter d'être liés de près ou de loin avec des personnes qui n’ont pas les mêmes valeurs que celles qu’ils se sont appropriées et qui composent leur famille non choisie. Qu’est-ce qui a conduit cette famille à se déchirer? On a vu que le livre d’Abd Samad avait surtout pour but de mettre en doute les paroles de la mère et d'enfoncer son frère. Toutefois, Abd Samad et Zacarias ont deux points communs: le premier est le sentiment de haine et d’humiliation. Ils ont grandi avec «le mépris, le dénuement, la pauvreté intérieure, la dépossession de soi, la mortification du corps» (Deloye et Haroche, 2006, p. 16). Le second est le fait qu’il témoigne de la carence paternelle visible, suite à son absence depuis leur enfance. Ce qui correspond avec ce qu’a témoigné Mme El-Wafi dans son livre. Nous avons constaté que la famille, à cause de son passé douloureux, entre mariage forcé, violence conjugale, etc., additionné à une structure familiale vulnérable, n'a pas pu résister aux impacts des crises passantes. Ceci répond à mon sens à la question qu’a posé Mme El-Wafi dans son livre : «l’égarement de mon fils, sa régression vers le fanatisme religieux me replongent dans les temps malheureux de ma propre vie. Des images et des souvenirs douloureux de mon passé me hantent, je me sens perdue. Toute cette souffrance a-t-elle un sens?» (El-Wafi, Favronb et Quaranta, 2006, p. 139). En conclusion, je tiens à signaler que ce travail n’apporte certes qu’une réponse partielle à la problématique du sujet en question. Je suis convaincu que d'autres pistes de recherche doivent être envisagées pour mieux cerner et étudier la problématique des effets du mariage forcé sur le développement des enfants nés dans des couples unis de force en France, ce qu’à témoigné Mme El-Wafi là où elle dit « je n’aurais jamais cru me retrouver seule face aux problèmes et aux malheurs de mes propres enfants. Je ne demande même plus à vivre normalement, simplement à survivre. Les Moussaoui m’ont détruite. Voilà le résultat d’un mariage arrangé, sans amour, privé dès le début d’avenir heureux, à cause de coutumes barbares et d’une mentalité aberrante » (Aïcha El-Wafi , Matthias Favronb & Sophie Quaranta., 2006, p142). C’est la question sur laquelle j’ai consacré toute un mémoire de recherche en 2008 et puis un livre en 2011, pour essayer de trouver des réponses à ce sujet qui passe inaperçu dans nos sociétés. |
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Références Audet, Jean et Jean-François Katz (1999), Précis de victimologie générale, Dunod, 2e édition. Deloye, Yves et Claudine Haroche (2006), Sentiment d’humiliation, ETIDTION. El-Wafi, Aïcha, Matthias Favronb et Sophie Quaranta (2006), Mon fils perdu, Plon. Moussaoui, Abd Samad et Florence Bouquillat (2002), Zacarias Moussaoui, mon frère, Folio. Entretien téléphonique enregistré avec Mme El-Wafi le 27 février 2008. |
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2002-2014, ERTA ![]() |