Relations entre les agences de renseignement de sécurité
et les agences policières
 
     
 
Chantal Perras
2004
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Partie 1. Contexte étatsunien Partie 2. Cas canadiens (à venir)
Fonctionnement interne du FBI
     FISA
     Le cas Zacarias Moussaoui
     La communication de Phoenix
     Les procédures de 1995
     Conclusions

Fonctionnement interne de la CIA
     Khalid Sheikh Mohammed (KSM)
    
Relations entre divers organismes
     Cas KSM, Al Midhar et Al Hazmi 
    
NSA
     Air Force
     FAA
     NORAD
     Rencontre avec Clarke

Conclusions générales

 
 
     
 

On dit souvent que l'information amassée par les services de renseignement est mal utilisée et profite peu aux activités policières. Choo (1998) s'attarde à comprendre le processus d'utilisation de l'information et parle ainsi d'un faible lien entre l'action et la collecte de renseignements.

La première partie de cette recherche se penche tout particulièrement sur les événements du 11 septembre 2001 et le contexte étatsunien. Il a souvent été répété que les services de renseignement avaient accumulé beaucoup d'informations qui auraient pu les mener à prendre conscience de la menace terroriste qui planait alors sur les États-Unis. Toutefois, les liens entre ces diverses informations n'auraient pas été suffisamment relevés.

Comme on sait que les services de renseignement ont de la difficulté à partager l'information qu'ils détiennent avec d'autres services de renseignement (voire même entre les groupes et individus à l'intérieur d'un même service), il est logique de penser qu'ils auront autant de difficulté, sinon plus, à le faire avec des organisations qui interviennent sur le terrain comme les agences policières — puisque l'intervention est la fin des activités de renseignement.

Nous nous attarderons à illustrer les relations entre les agences de renseignement de sécurité et les agences d'action policières. En d'autres termes, nous tenterons de voir si cette hypothèse avancée par la recherche peut être vérifiée dans la réalité. Tel qu'annoncé, divers documents relatifs au contexte étatsunien seront analysés dans la première section. Dans la seconde partie, nous nous pencherons sur trois cas canadiens, soient l'affaire Air India, le « millenium bomber » Ahmed Ressam et le cas de Maher Arar.

 
     
  PARTIE 1. Survol de l'interface renseignement — intervention aux États-Unis  
 

Fonctionnement interne du FBI

Tout d'abord, il apparaît important de noter qu'avant les événements du 11 septembre 2001, très peu d'agences étatsuniennes d'application de la loi étaient engagées dans l'antiterrorisme, la seule exception étant une petite division du FBI. Par ailleurs, il y avait peu de prévention dans le champ de l'antiterrorisme, les agences d'application de la loi étant actives seulement après l'identification d'une cible, d'un complot ou encore suite à une attaque (5).

Pour commencer, nous nous attarderons à des cas concernant le FBI, puisqu'il s'agit d'une institution impliquée à la fois dans la collecte de renseignements et dans l'intervention sur le terrain. Il est donc logique de penser qu'on y trouvera de bons exemples d'interface renseignement-intervention.

Une barrière juridique : la FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act)
À partir de 1994, le directeur de l'OIPR (Office of Intelligence Policy Review), Richard Scruggs, implante une procédure qui visait à améliorer le partage de l'information entre les services de renseignement et les agences policières. Malheureusement, ces procédures ont été non seulement mal accueillies, mais aussi mal comprises et appliquées et ce, dès le départ. Paradoxalement, cette mesure qui visait à améliorer le partage des informations a plutôt eu l'effet contraire.  Elle a créé une barrière (de plus) non seulement entre les agents travaillant pour la même agence, mais aussi entre ceux de la même escouade. Une croyance s'est implantée selon laquelle le FBI ne pourrait partager pratiquement aucune de ses informations. Dans le cas d'informations sur la sécurité nationale dont des agents au « criminel » pourraient avoir besoin, la barrière était encore plus haute. On crut ainsi qu'une procédure FISA devait être appliquée chaque fois qu'on demandait l'aide de l'autre partie, ce qui n'était bien sûr pas l'ntention de ceux qui l'avaient mise en place. La FISA semble avoir eu un effet bien plus large que ce que l'on avait prévu. Des informations pertinentes venant de la NSA (National Security Agency) et de la CIA ne parviennent jamais aux agents au « criminel ». L'information est donc bloquée par cette contrainte légale, ce qui aurait causé bien des embûches, entre autres dans la découverte des liens qui auraient pu être faits afin de prévenir les événements du 11 septembre (5).

Aussi bien au quartier général que dans les bureaux locaux, la perception du personnel du FBI que le processus de la FISA est lent et plein d'obstacles a diminué le niveau de couverture des opérations suspectes d'al-Qaïda aux États-Unis (4).

Passons maintenant au cas Moussaoui, une bonne illustration des effets du processus FISA .

Le cas Zacarias Moussaoui
Le 15 août 2001, le bureau local du FBI à Minneapolis a entrepris une « enquête de renseignement » sur Zacarias Moussaoui. Celui-ci serait entré aux États-Unis en février 2001 et aurait alors commencé des cours d'aviation en Oklahoma. Il a ensuite débuté son entraînement à la « Pan Am International Flight Academy » au Minnesota, le 13 août 2001. L'agent de Minneapolis a rapidement appris que Moussaoui avait des croyances extrémistes au sujet du « jihad ».  De plus, Moussaoui avait 32 000 $ dans un compte en banque et n'a pas pu fournir d'explication plausible de la provenance de cet argent. L'agent a aussi noté que Moussaoui est devenu extrêmement agité lorsqu'il a été questionné sur à ses croyances religieuses. Il en a conclu que Moussaoui était un extrêmiste islamique se préparant pour un acte de type fondamentaliste radical. Il croyait aussi que le plan de Moussaoui était relié à son entraînement de pilote. Moussaoui était en contact avec Razmi Binalshih et recevait même de l'argent de ce dernier. Si on avait disposé de renseignements liant Moussaoui à al-Qaïda, des questions auraient immédiatement été soulevées à propos d'une « cellule » d'al-Qaïda impliquant des pilotes, mais cette possibilité n'a jamais été considérée par la communauté du renseignement.

Les agents du FBI (Minneapolis Joint Terrorism Task Force), qui s'occupaient du cas de façon conjointe avec les représentants du INS (Immigration and Naturalisation Service), suspectaient Moussaoui de planifier de détourner un avion. Un débat eu lieu entre les agents du quartier général du FBI et ceux de Minneapolis afin de déterminer si Moussaoui devait être arrêté immédiatement ou devait plutôt être surveillé afin d'obtenir plus d'information. Personne n'était certain que Moussaoui pouvait légalement être emprisonné et l'agent du FBI chargé du cas décida que la chose la plus importante était d'empêcher  Moussaoui de poursuivre son entraînement vers une attaque potentielle. Éventuellement, l'INS l'arrêta pour une violation des lois sur l'immigration, puisqu'il était resté aux ÉU au-delà de la durée de son visa.

Les agents du Minnesota, de leur côté, n'étaient pas certains qu'ils pourraient obtenir suffisamment de preuves pour obtenir un mandat de perquisition visant à prendre connaissance des informations contenues dans l'ordinateur portable de Moussaoui. Ils ont donc cherché à avoir une garantie spéciale selon les termes de la FISA. Pour cela, le FBI devait démontrer qu'il était probable que Moussaoui soit un agent d'un pouvoir étranger. Étant donné que l'agent responsable n'avait pas assez d'information pour faire cette connexion, il demanda l'aide d'autres services de renseignement. Les 22 et 27 août 2001, la France fournit des informations selon lesquelles Moussaoui pouvait être lié à un leader rebelle tchéchène, Ibn al Khattab. Cela entraîna un nouveau différend entre le bureau local de Minneapolis, le quartier général du FBI et cette fois avec la CIA pour déterminer dans quelle mesure ce lien avec une organisation terroriste pouvait constituer un pouvoir étranger selon la FISA. Le quartier général du FBI conclut que cela n'était pas suffisant et refusa de faire une demande sous la FISA.

Le 4 septembre 2001, le FBI envoya un message à la CIA , à la FAA (Federal Aviation Administration), aux Service des douanes, au département d'État, au INS ainsi qu'au Service secret. Ce message résumait les faits en ce qui concerne Moussaoui, mais ne contenait ni l'évaluation de l'agent responsable ni les commentaires de la FAA à propos de la grande quantité d'individus provenant du Moyen-Orient suivant des cours d'aviation aux États-Unis. Bien que les agents de Minneapolis aient voulu informer la FAA depuis le début à propos de Moussaoui, le quartier général du FBI les en a empêché en leur disant qu'ils ne pouvaient pas partager toute l'information contenue dans le rapport préparé spécialement pour la FAA. Le superviseur de Minneapolis a même envoyé l'agent responsable en personne au bureau de la FAA pour remplir les trous dans le message du quartier général du FBI. L a FAA ne donna aucune suite à ces informations.

À ce moment d'importantes divergences existaient entre les agents de Minneapolis et le quartier général du FBI au sujet des buts de Moussaoui. Dans une conversation entre un superviseur de Minneapolis et un agent du quartier général, ce dernier se plaint du fait que la requête à la FISA faite par Minneapolis allait alerter les gens. Le superviseur a répondu que c'était précisément l'intention, qu'il fallait empêcher quelqu'un de prendre un avion et de le faire s'écraser dans le World Trade Center. L'agent du quartier général lui a rétorqué que cela n'était pas près d'arriver et qu'il ne savaient même pas si Moussaoui était vraiment un terroriste. Le FBI apprendra, après le 11 septembre, qu'Ahmed Ressam avait reconnu Moussaoui comme étant quelqu'un qu'il avait vu dans les camps d'entraînement afghans. Cela est sans doute un élément de plus qui aurait pu convaincre le quartier général du FBI (5).

Les agents de Minneapolis furent étonnés par le refus du quartier général de soumettre une requête de mandat de perquisition. Les circonstances de l'arrestation de Moussaoui, les paiements en « argent liquide » qu'il avait faits à l'école d'aviation et ses liens confirmés avec des fondamentalistes étaient pourtant de bons indices ayant amené les agents à croire qu'ils étaient en présence d'une personne peut-être en train de planifier d'utiliser un gros avion commercial pour poser un acte terroriste. Un agent aurait même « parié » sur le scénario du 11 septembre. Non pas que les arguments du quartier général étaient irrecevables: en effet, les services de renseignement français ne rencontraient pas les standards pour utiliser la FISA, c'est-à-dire que le sujet doit agir au service d'une organisation terroriste étrangère. Toutefois, toutes les réserves du quartier général auraient sans doute dû s'évaporer à la fin du mois d'août, lorsque les Français ont envoyé un deuxième rapport confirmant que Moussaoui avait bien des liens avec des groupes terroristes impliqués dans des activités reliées à Bin Laden (7).

Une lettre écrite par l'agent Coleen Rowley et adressée personnellement au directeur du FBI du moment (Robert Mueller), est elle aussi assez éclairante (et encore plus précise) sur la relation que nous tentons de documenter. Notons que Madame Rowley a participé à l'enquête Moussaoui à la division de Minneapolis du FBI. Elle base son analyse sur ce qu'elle a entendu avant, pendant et après les événements du 11 septembre 2001, de même que ce qu'elle a pu réaliser en écoutant les discours publics. Selon Rowley, le quartier général du FBI a mal évalué la probabilité qu'un tel événement ait lieu, bien que ses agents détenaient toute l'information nécessaire à cette évaluation. À preuve, Rowley affirme que durant l'heure qui a suivi l'attaque, on a utilisé un disque qui contenait de l'information qui était déjà à la disposition du personnel du quartier général du FBI. On aurait simplement ajouté ce que les médias rapportèrent sur les attaques. Toutefois, elle estime que ce sont les agents de Minneapolis qui étaient les plus près de l'action et donc dans la meilleure position de juger de la situation locale. Ils possédaient une information de première main en ce qui a trait aux événements. De la documentation détaillée était disponible. Ils ont donc pu pleinement juger de la menace terroriste venant de Moussaoui et de ses co-conspirateurs bien avant le 11 septembre. Même sans rien savoir de la communication de Phoenix (et d'un certain nombre de renseignements additionnels qui étaient à la disposition du personnel du quartier général du FBI), les agents de Minneapolis ont correctement évalué le risque. Selon madame Rowley, le personnel du quartier général du FBI a continué de contrer les efforts désespérés des agents sur le terrain,  et ce bien après que le service de renseignement français ait fournit ses informations. De plus, le personnel du quartier général n'aurait jamais révélé aux agents de Minneapolis que la division de Phoenix les avaient avertis (environ 3 semaines plus tôt) que des membres d'al-Qaïda cherchaient à apprendre à piloter des avions dans des écoles. Toutefois, Rowley spécifie que le personnel du quartier général du FBI aurait correctement diffusé l'information à propos de Moussaoui aux autres autorités policières et de renseignement.

Pour elle, le quartier général a de toute façon semblé tout faire pour miner les efforts de ses agents pour poursuivre leur enquête sur Moussaoui. On aurait même omis une partie des renseignements supplémentaires fournis par les Français. Ces informations auraient pu faire augmenter les chances d'obtenir un résultat favorable de la cour (7). Par ailleurs, lorsque la division de Minneapolis (FBI) a voulu informer directement le CTC (Counter Terrorist Center) de la CIA , le personnel du quartier général du FBI aurait blâmé les agents de Minneapolis d'avoir directement informé une autre agence sans leur accord.

Madame Rowley termine sa lettre sur une remarque générale, qui en dit long sur les peurs des agents de renseignement (plus particulièrement ceux de Minneapolis) au sujet de la transmission de leurs informations aux autorités policières : « We just wanted to make sure the information got to the proper prosecutive authorities and was not further suppressed! » (3).

La communication de Phoenix
Un autre exemple semblable à celui du cas Moussaoui est la communication électronique de Phoenix.
En juillet 2001, les agents du FBI du bureau local de Phoenix ont envoyé un mémo au quartier général du FBI ainsi qu'à deux agents de l'équipe de terrorisme international au sein du bureau local de New York, les informant de la possibilité d'efforts coordonnés provenant d'Usama Bin Laden visant à envoyer des étudiants aux États-Unis pour que ceux-ci suivent des cours dans des écoles d'aviation. L'agent a fait quatre recommandations au quartier général du FBI : dresser une liste des écoles d'aviation, prendre contact avec ces écoles, discuter de leurs théories à propos de Bin Laden avec les autres membres de la communauté du renseignement et obtenir l'information concernant les visas des personnes qui appliquent pour les écoles d'aviation (5). Le personnel du quartier général n'a pas agit avant les événements du 11 septembre, tel que demandé par les agents sur le terrain. Bien plus, la communication n'a généré que peu d'intérêt à la fois pour le personnel du quartier général du FBI et pour le bureau de  New York (4). Les recommandations n'ont donc pas été suivies. Toutefois, l'auteur du mémo a mentionné qu'il ne constituait pas une alerte à propos de pilotes-suicide. Il s'inquiétait plutôt à propos  d'un scénario (Pan Am Flight) à propos duquel des explosifs auraient été placés dans un avion. La référence à l'entraînement à piloter un avion était brève. Alors, il apparaît logique de croire que même si le mémo avait était distribué dans un temps raisonnable et que ses recommandations avaient été aussitôt suivies, il aurait été peu probable qu'ils aient découvert « l'équipe » de terroristes. Mais cette information aurait toutefois pu sensibiliser le FBI à propos du cas de Moussaoui (qui s'est déroulé le mois suivant) (5).

Les procédures de 1995
D'autres procédures légales semblent aussi avoir contribué à empêcher le bon partage d'information entre les agences de renseignement de sécurité et les agences policières. Cela concerne encore le FBI, mais cette fois-ci les procédures ont été mises en place pour favoriser le partage de renseignements entre le celui-ci et la division criminelle du département de la justice.

Il semble que le procureur général Ashcroft ait été parfaitement au courant du débat déjà en cours au sujet de la modification des procédures de 1995 guidant le partage de renseignements entre le FBI et la Division criminelle du département de la justice. Pourtant, en août 2001, le député d'Ashcroft, Larry Thompson, envoya une note de service réaffirmant les procédures de 1995 en clarifiant la directive à propos de laquelle n'importe quel crime doit être reporté immédiatement par le FBI à la Division criminelle. Les procédures de 1995 seraient restées en vigueur même après les événements du 11 septembre 2001 (5).

Conclusions générales en ce qui concerne le FBI
Plusieurs éléments peuvent contribuer à expliquer pourquoi le FBI a échoué à partager des informations cruciales. Tout d'abord, il faut souligner que le FBI serait orienté au cas par cas et aussi dans une approche réactive.

Une explication à cela est que le FBI est décentralisé et orienté vers la production d'accusations formelles. Bien que le FBI aurait fait plusieurs efforts de réforme dans le but de renforcer sa capacité de prévenir des attaques comme celles du 11 septembre, ces efforts ont échoué et le changement organisationnel visé n'eut jamais lieu (5) (7).

Revenons à la question de la décentralisation. Chaque bureau local couvre une aire géographique précise et est pour l'essentiel indépendant dans le choix de ses priorités. Les priorités de chaque bureau seraient déterminées à partir de deux critères. Premièrement, la performance est généralement mesurée à partir de statistiques telles que le nombre d'arrestations et de condamnations. L'antiterrorisme et le renseignement dans le but de lutter contre le terrorisme impliquent la plupart du temps de longues enquêtes qui peuvent ne jamais donner de résultats positifs ou quantifiables. Ces activités ne permettent donc pas de monter dans la hiérarchie professionnelle. Deuxièmement, les priorités sont influencées au niveau local par les bureaux locaux, qui sont centrés sur les crimes traditionnels comme les drogues ou les gangs. Chaque bureau local fait ainsi le choix de s'attarder à des priorités locales et non aux priorités nationales. Le FBI opère selon un système basé sur le bureau d'origine. Pour éviter la duplication et les conflits possibles, le quartier général désigne un seul bureau par enquête. Cela a pour effet que les autres bureaux que celui désigné sont souvent récalcitrants à dépenser de l'énergie sur des choses sur lesquels ils n'ont pas de contrôle et pour lesquelles ils ne recevront pas de bénéfices.

Louis Freeh, qui est demeuré directeur du FBI jusqu'en juin 2001, croyait que le travail du FBI devait être fait essentiellement par les bureaux locaux. Pour mettre l'emphase sur cette idée, il a coupé dans le personnel du quartier général et a ainsi décentralisé les opérations. Cela a eu pour effet que plusieurs bureaux locaux ont collecté en complète isolation des renseignements sur des organisations suspectées de trouver du financement pour al-Qaïda ou pour d'autres groupes terroristes. Avant le 11 septembre, des agents du FBI avaient compris que des organisations extrémistes opéraient aux États-Unis et supportaient un mouvement global (le mouvement jihadiste). Ils avaient aussi compris que ceux-ci avaient des liens substantiels avec al-Qaïda. Le FBI supervisait un réseau d'informateurs, faisait de l'écoute électronique et a ouvert des dossiers significatifs dans un certain nombre de bureaux locaux, entre autres à New York, Chicago, Detroit, San Diego et Minneapolis. Toutefois, le FBI n'a jamais utilisé, au niveau national, cette information pour avoir une compréhension systématique et stratégique de la nature et de l'ampleur du financement d'al-Qaïda.

Des efforts ont toutefois été faits pour faciliter le partage d'information non seulement entre le quartier général et les bureaux locaux, mais aussi entre les agents sur le terrain et les agents de renseignement. En effet, en 1998, le FBI a voulu mettre en place un système technologique pour faciliter la collecte, l'analyse et la diffusion des informations. On voulait créer un cadre professionnel pour faire du renseignement et pour entraîner les agents et les analystes. Cette idée n'a pas fonctionné pour plusieurs raisons. Premièrement, les ressources humaines n'étaient pas suffisantes. Ensuite, les gestionnaires seniors de la division des opérations du FBI y ont opposé une résistance. De plus, on sait que le FBI apprécie peu le rôle de l'analyse. Les analystes sont utilisés essentiellement pour apporter du support tactique. Bien plus, les analystes ont beaucoup de difficulté à avoir accès à l'information non seulement du FBI mais de l'ensemble de la communauté du renseignement. Cette information étant censé être analysée par eux. Le piètre état du système d'information du FBI fait en sorte que l'accès à cette information dépend en grande partie des relations personnelles des analystes avec les individus dans les unités opérationnelles qui la détiennent. Pour toutes ces raisons, il y a relativement peu de rapports d'analyse stratégique antiterroriste qui ont été produits avant le 11 septembre. Le FBI n'a pas fait non plus un effort de collecte d'information efficace. La collecte de renseignements venant de sources humaines est limitée et les agents sont inadéquatement entraînés. Le FBI n'a pas de mécanisme adéquat pour valider les sources, ni pour en faire le suivi ou partager celles-ci, tant à l'interne qu'à l'externe.

Un autre élément intéressant est que le directeur par intérim du FBI, Thomas Pickard, a eu une de ses conférences téléphoniques périodiques avec des agents spéciaux, le 19 juillet 2001. Un des éléments dont il a parlé est le besoin, à la lumière des menaces rapportées, que les équipes d'actions soient prêtes à tout moment, dans l'éventualité d'une attaque. Chose surprenante, il n'a pas donné pour mission aux bureaux locaux d'essayer de déterminer si des groupes de terroristes étaient présents aux États-Unis. Il n'a pas non plus donné la mission d'agir pour arrêter de tels groupes.

On en a conclu que le FBI n'avait pas (et n'a peut-être toujours pas) la capacité de faire des liens entre le savoir collectif des agents sur le terrain et les priorités nationales. Cela est d'autant plus important que les autres agences intérieures s'en remettent « justement » au FBI. Il n'existerait pas de rapports « condensés » de l'information pouvant être diffusés dans l'organisation. C'est ce que l'on veut dire, entre autres, lorsque l'on dit que le FBI « lacked the ability to know what it knew » (5).

 
     
 

Fonctionnement interne de la CIA

On a trouvé beaucoup moins d'information en ce qui concerne la CIA par rapport aux relations entres les agences de renseignement de sécurité et les agences policières. Les discussions restent beaucoup plus générales pour la CIA que pour le FBI.

Nous allons tout d'abord commencer par expliquer comment se structure, en principe, la CIA. Essentiellement, celle-ci se divise en deux. Il y a la division des opérations (DO) et la division du renseignement (DI). Bien sûr, il y a d'autres unités, mais elles servent principalement à jouer un rôle de support. La DI est constituée d'analystes (experts régionaux, psychiatres, sociologues, physiciens, etc). Comme son nom l'indique, les analystes de la DI évaluent l'information et formulent leurs conclusions sur papier. Ceux qui collectent l'information font partie du DO. Ce sont des « case officers ». Travaillant principalement outre-mer, ils amassent l'information provenant de leurs agents-sources et l'envoient à la DI (1, p. 15).

Toutefois, Baer, un agent des opérations secrètes de la CIA, montre que la DO aurait vécu une purge en 1995-1996. Il parle de la « Ed Curran's purge ». En effet, le FBI aurait alors fait une série d'enquêtes criminelles sur les agents de la division des opérations de la CIA. Une des conséquences est que les agents ne faisaient plus rien qui aurait pu les compromettre. Bien plus, il n'y aurait plus eu d'opérations en terrain étranger, et donc il n'y avait dès lors plus de recrutement d'informateurs dans les pays qui devaient être surveillés. Pendant ce temps, des cellules se formaient dans le monde islamique, le monde occidental étant visé. Pour Baer, cela voulait dire qu'il pouvait se passer n'importe quoi et que nous ne serions pas mis au courant sans oreilles ni yeux pour observer de près ce qui se passait.

Il rajoute que l'idée des responsables est alors devenue que les alliés en Europe et au Moyen-Orient pourraient faire cela à la place des agents du DO. Pour Baer, c'était encore plus évident dans le cas des fondamentalistes islamiques. Laisser les agents du DO trouver leurs propres informateurs était devenu politiquement trop risqué (6). On comprend bien que cela ait eu un impact sur la relation qui nous intéresse, et cela d'autant plus que les analystes du DI n'étaient pas nécessairement au courant de ce « petit » problème.

D'ailleurs, plusieurs agents qui ont quitté la CIA dans les années 1980-90 ont parlé publiquement contre l'agence. Il y a eu plusieurs types de critiques, mais la plus importante concernait la DO. Pour eux, une plus grande régulation, une culture de carriérisme et la peur du risque ont diminué la capacité des agents sur le terrain de trouver des informateurs. Cela revient à dire ce qui a été mentionné plus haut, c'est-à-dire qu'il n'y avait pratiquement plus d'opérations sur le terrain. Tenter de surveiller de loin nous apparaît bien sûr moins efficace. Mais cela a pour avantage d'annihiler tout risque concernant l'image de la CIA (7).

À partir des années 1988-89, il semblerait qu'une idée se soit ainsi développée au sein des administrateurs de la CIA. Pour eux, il était dès lors possible d'atteindre des objectifs difficiles sans risque et sans le travail de terrain. Pour se faire, ils se sont tournés vers la technologie et des tierces parties (7). C'est un changement de taille dans la conception adoptée jusqu'alors par la CIA. Baer nous rappelle que pendant la guerre froide : "we'd been trained to believe there was no action too extreme, no expenditures so large that it wasn't justified by the recruitment of a Soviet diplomat or military officer" (7).

On peut donc dire qu'il y a eu un déclin de l'importance de la DO. On préfère les données techniques (SIGINT) aux données humaines (HUMINT). On préfère l'analyse à l'action. Mais comment analyser avec si peu d'actions ?

Dans un autre ordre d'idée et de façon plus précise, la CIA aurait, et cela plus d'une fois, manqué des opportunités d'agir alors qu'elle avait des informations en sa possession à propos du fait que deux terroristes associés à Bin Laden voyageaient aux États-Unis. Elle n'a pas ajouté leurs noms à la liste de surveillance TIPOFF, comme elle devrait théoriquement le faire dans ces cas (4).

Khalidheikh Mohammed (KSM)
KSM est rapidement devenu une cible à arrêter. En 1997, le Centre d'antiterrorisme avait une branche qui aidait à trouver les fugitifs. Son dossier a donc été transféré à cette section de la CIA. Mais cette branche n'avait pas de capacités analytiques. Quand d'autres informations sont parvenues, cette fois-ci plus importantes en ce qui concerne l'analyse qu'en ce qui concerne le « tracking », aucune unité n'avait alors le mandat de faire un suivi sur ce que cette information pouvait vouloir dire. Aucune action n'a donc été effectuée (5).

 
     
 

Relations entre divers organismes

Cas KSM, Al Midhar et Al Hazmi
La Commission nationale qui avait pour but d'enquêter sur les événements du 11 septembre 2001 a relevé plusieurs opportunités manquées qui impliquaient à la fois le FBI et la CIA. Dix des opportunités manquées par les services de renseignement ont été relevées en ce qui concerne trois individus : KSM, Al Midhar et Al Hazmi.

  1. La CIA n'a pas mis sur sa liste de surveillance ni averti le FBI quand elle a appris qu'il avait un visa pour entrer aux États-Unis. (janvier 2000)
  2. La CIA n'a pas développé un plan pour surveiller les mouvements de Midhar. (janvier 2000).
  3. La CIA n'a pas mis Alhazmi sur sa liste de surveillance ni averti le FBI quand elle a appris qu'il avait un visa pour entrer aux États-Unis et qu'il s'était envolé pour Los Angeles. (mars 2000)
  4. La CIA n'a pas informé le FBI qu'une de leurs sources avait identifié KSM comme ayant été vu au meeting de Kuala Lumpur. (janvier 2001)
  5. La CIA n'a pas informé le FBI à propos du visa de Midhar, à propos des voyages aux États-Unis de Alhazmi ni de la présence de KSM au meeting. (mai 2001)
  6. Le FBI et la CIA ne se sont pas assuré que toute l'information pertinente en ce qui concerne le meeting de Kuala Lumpur ait été partagé avec les responsables de l'enquête Cole. (juin 2001)
  7. Le FBI n'a pas reconnu l'importance de l'arrivée de Midhar et Alhazmi. (août 2001)
  8. Le FBI n'a pas reconnu l'importance de l'entraînement à piloter de Moussaoui. (août 2001)
  9. La CIA n'a pas mis l'accent sur l'information à propos de laquelle KSM aurait été un lieutenant-clé d'al-Qaïda. (août 2001)
  10. La CIA et le FBI n'ont pas fait le lien entre la présence de Midhar, Alhazmi et Moussaoui d'une part, et les rapports faisant état d'attaques éminentes, d'autre part. (août 2001)

La CIA n'a donc pas mis Hazmi sur la liste TIPOFF de surveillance du département d'État. Cela n'a pas été fait en janvier, quand on a appris que Mihdhar avait un visa, ni en mars, quand on a appris que Hazmi avait non seulement un visa, mais aussi un billet pour Los Angeles. Aucune de ces informations ne s'est rendue au FBI et rien de plus n'a été fait pour les attraper avant janvier 2001, quand une enquête à propos d'une autre bombe, celle du USS Cole, a réactivé l'intérêt à propos de KSM.

Finalement, des analystes du FBI et de la CIA se sont rencontrés à New York en juin 2001. Les rapports dont ils ont « discutés » contenaient des mises en garde à propos desquelles leur contenu ne pouvait pas être partagé avec les enquêteurs criminels sans la permission du OIPR (par conséquent devait faire l'objet d'une procédure FISA). L'analyste du FBI a conclu qu'elle ne pouvait pas diffuser l'information de ces rapports aux agents. Cette décision a été significative, puisque le renseignement (SIGINT) qu'elle n'a pas partagé liait Mihdhar  à une installation suspectée d'être terroriste au Moyen-Orient. Les agents auraient pu établir un lien entre cette installation et un cas de bombardement d'une ambassade. Ce lien les aurait rendus curieux à propos de Mihdhar. L'analyste du FBI en savait plus sur le meeting de Kuala Lumpur. Il savait que Mihdhar possédait un visa US et que les informations à propos de ce visa indiquaient qu'il avait l'intention d'aller à New York. Il savait aussi que Hazmi avait été vu à Los Angeles et qu'une source avait vu Mihdhar en compagnie de KSM. Au meeting, personne ne lui a demandé ce qu'il savait, il n'a pas non plus offert quoi que ce soit. Par la suite, il a expliqué qu'à titre d'analyste de la CIA , il n'était pas autorisé à répondre aux questions du FBI en ce qui concerne les informations détenues par la CIA. De son côté, l'analyste du FBI a assumé que si l'analyste de la CIA avait connu la réponse à leurs questions, il aurait offert son aide. Les agents de New York ont finalement quitté la réunion sans avoir obtenu les informations qui les aurait menés sur la piste de Mihdhar (5) (7).

Une grande partie des informations « critiques » concernant Al-Mihdhar et Al-Hazmi serait ainsi restée enfouie à l'intérieur de la communauté du renseignement pour au moins 18 mois. Cela se passait pendant que le plan des terroristes à propos des événements du 11 septembre était déjà mis en branle (4).

Autre aspect juridique : le National Security Act
Le NSA de 1947 aurait eu pour impact que la CIA s'est spécifiquement vu retirer toute  fonction de sécurité intérieure (police, subpoena et pouvoir d'application de la loi). Cette structure a créé des tensions entre la CIA et les agences de renseignement du Département de la défense, ainsi qu'entre la CIA et le FBI (5). Cela n'a assurément pas aidé pour éviter les attaques du 11 septembre 2001.

Mises en garde de certains auteurs à propos des conclusions possibles à propos du travail de la CIA et du FBI
Pour Miller, Stone et Mitchell (2002), il est évident que les agents du FBI ainsi que ceux de la CIA n'ont pas eu que des échecs. En effet, bien que plusieurs erreurs aient pu être relevées, ils sont d'avis qu'il faudrait plutôt envisager le contraire. Plusieurs enquêtes ont été menées à terme. On a fait plusieurs arrestations. Un certain nombre de groupes terroristes ont été démantelés. Les auteurs ont trouvé que dans à peu près tous les cas où un policier, un agent ou un espion avait suivi son instinct, il s'était habituellement retrouvé au bon endroit et sur la bonne piste. Toutefois, un pattern récurrent a aussi été soulevé. Les enquêteurs se seraient souvent retrouvés à être orientés hors de la bonne piste. Pourquoi cela ? Les auteurs sont d'avis que la structure bureaucratique ainsi que la peur du risque des dirigeants seraient en cause. Ainsi, on se serait assuré que la main gauche ne sache jamais ce que la main droite faisait (7).

 
   
  Air Force
La CIA a envisagé de faire voler un ou des « Predators » pour des actions secrètes ou pour des missions de reconnaissance. Ils savaient qu'ils pourraient l'acheter de l'aviation. Cependant, Georges Tenet, l'ex-directeur de la CIA, s'est questionné à savoir s'il pourrait employer un « Predator » armé. Pour lui, c'était un nouveau champ et cela soulevait plusieurs questions. Qui va diriger ? Qui va tirer ? Est-ce que les américains sont d'accord avec le fait que la CIA fasse cela, en dehors du contrôle militaire habituel ? Il a conclut qu'ils n'avaient pas l'autorité pour le faire, et ils n'ont pas agit (5).
 
   
 

FAA (Federal Aviation Administration)
Plusieurs agences du gouvernement étatsunien maintiennent une liste de terroristes et de terroristes présumés, sans la partager avec les compagnies d'aviation. Celles-ci ont leur propre système de sécurité, qu'elles appellent CAPPS (Computer Assisted Passenger Prescreening System).

Alors que deux des hijackers étaient sur la liste de surveillance TIPOFF, la FAA n'a pas utilisé les données de celle-ci. Pourquoi cela ? En y regardant de plus près, ceci apparaît une fois encore lié au partage de l'information.

La politique de la FAA est d'utiliser le renseignement pour identifier des individus spécifiques et des menaces générales à la sécurité de l'aviation civile, de façon à ce qu'elle puisse développer et déployer des mesures appropriées pour les contrer. L'unité de renseignement de la FAA devait recevoir une large part de leurs données du FBI, de la CIA et d'autres agences pour pouvoir évaluer les menaces pour l'aviation. Mais tel ne semble pas avoir été (entièrement) le cas. Par exemple, l'information à propos des efforts du FBI en 1998 pour évaluer l'utilisation potentielle d'entraînement au pilotage par des terroristes et la communication électronique de Phoenix en 2001 n'ont pas été transmis au quartier général de la FAA. La liste d'interdiction de voler maintenue par l a FAA contenait le nom de seulement 12 suspects terroristes, alors que la liste TIPOFF contenait les noms de plusieurs centaines de terroristes connus ou soupçonnés. Le directeur de la FAA a expliqué cela en affirmant qu'il n'était même pas au courant de l'existence de cette liste, jusqu'à ce qu'il en prenne conscience lors d'une conférence publique le 26 janvier 2004.

La commission a donc fait des pressions sur le gouvernement pour qu'il combine le renseignement sur les transports des terroristes et les opérations d'application de la loi, de façon à empêcher les terroristes d'entrer aux États-Unis.

Notons que bien que la FAA avait l'autorité pour mettre en place des nouvelles directives pour les procédures de sécurité, aucune n'a été mise en place durant l'été 2001. L'information qui circulait disait principalement d'être alerte et prudent et rien d'autre de suffisant pour agir (5).

NORAD
Tout ce que l'on sait sur le NORAD, c'est que des « exercices »  ont été faits dans le but de contrer la menace de l'utilisation par les terroristes d'avions comme arme, mais que ceux-ci n'étaient pas fondés sur un renseignement à jour (5).

Rencontre avec Richard Clarke - le meeting du 5 juillet 2001
Le 5 juillet 2001, les représentants de  l'INS (Immigration and Naturalization Services), de la FAA, de la garde côtière, des services secrets, « customs », de la CIA et du FBI ont rencontré Richard Clarke (ex-conseiller en antiterrorisme pour les administrations Clinton et Bush) pour discuter des menaces actuelles. Les représentants se sont fait demander de ne pas diffuser l'information qu'ils ont reçue au meeting. Ils ont interprété cette directive comme voulant dire que bien qu'ils pouvaient diffuser cette information à leurs supérieurs, ils ne pouvaient pas le faire pour les responsables du terrain.  Mais un représentant du NSC (National Security Council) a dit que les représentants se sont fait demander de ramener l'information dans leurs agences respectives et de faire ce qu'ils peuvent avec celle-ci. Un représentant du INS a demandé un résumé de l'information qu'ils pourraient partager avec leurs « field offices ». Il ne l'a jamais eu.

Les attaques du 11 septembre 2001 sont tombées entre les catégories de menaces intérieures et extérieures. Personne ne s'attendait à une menace extérieure envers des cibles intérieures. Une cause de disparité dans la réponse est que les agences intérieures ne savaient pas quoi faire et que personne ne leur a donné de directives. Roger Cressey (Chief of Staff de Richard Clarke) a affirmé que le Counterterrorism Strategy Group (CSG) n'a pas dit aux agences comment répondre à cette menace. Selon lui, les agences opérant à l'extérieur n'avaient pas besoin de directives pour savoir comment répondre puisqu'elles avaient apparemment l'expérience de ce type de menaces et avaient un « guide ». Toutefois, les agences intérieures n'avaient pas un tel guide. Ni le NSC (incluant le CSG) ni personne d'autre ne leur a montré comment en « fabriquer » un. Ce manque était évident lors du meeting du 5 juillet, alors que l'accent fut mis sur les menaces extérieures. Les agences intérieures n'ont pas été questionnées à propos de comment elles planifiaient de répondre à cette menace. On ne leur a pas non plus dit ce que l'on attendait d'elles. La réponse limitée des agences intérieures montre qu'elles n'ont pas perçu un appel à l'action.

En somme, les agences intérieures n'ont jamais été mobilisées pour répondre à la menace. Elles n'ont pas eu de directives ni de plan pour le faire. Les frontières et les systèmes de transports n'ont pas été renforcés. La surveillance électronique n'a pas été ciblée sur des menaces intérieures. On a pas utilisé les agences locales et fédérales d'application de la loi pour aider le FBI dans ses efforts (5).

 
     
 

Conclusions sur la première partie
La communauté du renseignement aurait rapporté certaines informations, mais pas toutes. Cela aurait eu pour effet de diriger les actions dans un « mauvais » sens (4).

La technologie est un point fort de la nation américaine, mais elle n'est pas utilisée à son plein potentiel pour contrer le terrorisme : il existe des problèmes persistants, particulièrement en ce qui concerne le manque de collaboration entre les agences de la communauté du renseignement. Par exemple, on a pensé à une banque de données centrale dans l'effort pour lutter contre le terrorisme (4).

On a pas utilisé efficacement les analyses et les analystes à cause de la perception, dans certains pans de la communauté du renseignement, qu'ils sont moins importants que le personnel opérationnel dans la mission de lutte contre le terrorisme. Ces déficiences analytiques ont sérieusement limité la possibilité pour les preneurs de décisions des États-Unis, de comprendre pleinement la nature de la menace et de prendre des décisions bien documentées (4).

À l'intérieur de la communauté du renseignement, les agences n'ont pas partagé adéquatement l'information appropriée pour lutter contre le terrorisme (pas avant le 11 septembre 2001). L'information n'a pas été suffisamment partagée, et pas seulement entre les différentes agences de la communauté du renseignement, mais aussi entre les agences individuelles et entre les services de renseignement et les agences policières (4).

Toutefois, on sait que la communauté du renseignement dépend pour une grande part du renseignement « étranger » et des services des agences policières pour la collecte des renseignements visant à faire de l'antiterrorisme et à mener leurs autres activités de lutte au terrorisme (4).

Une grande variété d'instruments ont été utilisés pour contrer al-Qaïda, l'action policière émergeant comme un outil de choix quand les autres moyens ne sont pas faisables ou échouent à produire des résultats. On utilise les forces policières en dernier recours puisque ce ne serait de toute façon pas le meilleur moyen pour contrer le terrorisme. En effet, les terroristes n'ont que faire des lois et de leurs représentants (4).

La source la plus grande d'information concernant les relations entre les agences de renseignement de sécurité et les agences policières nous semble être le rapport de la Commission sur le 11 septembre 2001, puisque celui-ci reprend en détail tout ce qui s'est passé avant les événements et tente de comprendre les causes de cette attaque. Ce rapport fourni aussi une analyse des changements qui devraient être apportés pour éviter qu'un tel événement se reproduise.

Peut-être la plus grande conclusion de ce rapport concernant notre propos indique que les administrations Clinton et Bush ont laissé les efforts d'antiterrorisme dans un état que l'on pourrait qualifier de mal coordonné, mal financé et comprenant des agences gouvernementales dysfonctionnelles (5).

Doris Kearns Goodwin (the presidential biographer) a dit que les enquêtes ayant précédé Pearl Harbour et le 11 septembre 2001 ont partagé des problèmes semblables : « The problems that led up to Pearl Harbor, and this, are in a certain sense intractable human problems: bureaucracies, people being unwilling to share » (5).

Ideés inspirées de l'exemple du Département de la défense et avancées pour améliorer la coopération entre les agences de renseignement et les agences policières
À cause de leurs longues traditions, l'armée, la Marine et l'aviation ont souvent lutté férocement pour l'obtention de rôles et de missions pour la guerre et pour leurs budgets respectifs. Deux éléments ont diminué cette compétition. En 1986, le Congrès a passé le « Goldwater-Nichols Act », qui, entre autres choses, statue sur le fait que pour avoir une promotion dans les rangs supérieurs, il faut travailler pour une certaine période dans un service différent de celui auquel on appartient à l'origine. Cela a eu des effets immédiats, les officiers séniors ayant dès lors une vision plus large du monde militaire comme étant un tout.

Cet exemple est vu par certains comme ayant des leçons applicables à la bureaucratie fédérale, particulièrement entre les agences d'application de la loi et la communauté du renseignement, surtout en ce qui concerne une diminution de la compétition et une augmentation de la coopération (5).

Et en réalité : ce qui s'est passé après le 11 septembre ?
Le 14 septembre, Tenet a envoyé un mémo donnant l'ordre de prendre des mesures sur le terrain. Les officiers sur le terrain semblent avoir pris le message à cœur (7). Des équipes de l'IRT (Incidence Response Team) ont été déployées en Afghanistan et au Pakistan. L'IRT a été constituée à partir des membres du SEAL : Delta Force, Air Force Special Operations Command et les officiers de la CIA qui avaient de l'expérience sur le terrain. On a capturé des suspects reliés à al-Qaïda et on a collecté des documents et des renseignements qui les auraient mené à un autre niveau. Les officiers sur le terrain sont maintenant appuyés par un réseau qui inclu l'ensemble des ressources de l'appareil de collecte de renseignements de la CIA, des yeux et des oreilles de la NSA, ainsi que par le FBI et les renseignements militaires (7).

 
     
  PARTIE 2. Trois cas canadiens (à venir)  
     
 

Références

  • Baer, R. (2001), See no evil: the true story of a ground soldier in the CIA's war on terrorism, New York : Three Rivers Press.
  • Choo, C. W. (1998). The Knowing organization, Oxford University Press: Oxford.
  • Coleen Rowley's Memo to FBI Director Robert Mueller.
  • Rapport sur le renseignement
  • The 9/11 Commission Report : Final report of the national Commission on terrorist attacks upon the U.S.
  • Anonymous (2004). Imperial Hubris: Why the West is losing the War on terror, Brassey's : Washington D.C.
  • Miller, J., Stone, M. et Mitchell, C. (2002), The Cell: Inside the 9/11 plot and why the FBI and CIA failed to stop it, Hyperion: New York.
  • Lester, N. (1998) Enquêtes sur les services secrets, Les Éditions de l'homme : Montréal.
 
     
     
   
 
2002-2014, ERTA