L'approche théorique du terrorisme
criminologie et science politique
 
     
 

Les problèmes de la recherche sur le terrorisme

L’accès aux données brutes, ou encore des tergiversations conceptuelles peuvent avoir pour résultat qu’une communauté entière de chercheurs peut travailler pendant des années sur un thème sans vraiment produire d’éléments aidant à mieux comprendre le phénomène étudié. Le thème du terrorisme tombe directement dans cette veine. Bon nombre de recherches sur le terrorisme sont menées, mais bien souvent elles demeurent descriptives, partielles, et n’arrivent pas à atteindre des niveaux explicatifs intéressants. Plusieurs raisons sont à la base de ce problème.

La principale difficulté est celle de la définition. Comme le mentionne Brian M. Jenkins (Dans Kegley, 2003 : p. 16) : « The term ‘terrorism’ has no precise or widely accepted definition ». Une revue rapide de la littérature dévolue au sujet nous démontre qu’il existe à peu près autant de définitions qu’il y a d’auteurs traitant du sujet.

En fait, lorsqu’on aborde le thème, il serait plus juste de parler de terrorismes plutôt que du terrorisme. À ce sujet, l’ouvrage de François Légaré, Terrorisme : peurs et réalités (2002), présente une typologie des terrorismes qui révèle bien la complexité de l’exercice définitionnel. À partir d’une recension des définitions les plus utilisées pour décrire le terrorisme, l’auteur démontre que le phénomène est caractérisé par une série de termes, de concepts et d’expressions hétéroclites. Ainsi, le terrorisme est tantôt défini par rapport au caractère violent de ses actions, tantôt par son caractère spectaculaire. Le terme apparaît donc comme un concept fourre-tout employé pour décrire plusieurs réalités fort différentes comme la criminalité, la guerre clandestine ou encore la guerre psychologique.

Certains chercheurs vont même jusqu’à soutenir que l’exercice définitionnel du terrorisme est illusoire et futile. C’est entre autres le cas des auteurs Jay Shafritz, M., E.F Gibbons et Gregory E.J Scott (1991) qui soutenaient qu’il était peu probable, voire quasi impensable, de voir émerger une définition fonctionnelle et consensuelle du terrorisme. Dans cette vision des choses, le terrorisme n’aurait pas besoin d’une définition stricto sensu. Le sens commun serait donc le meilleur indice de ce qui est du terrorisme et ce qui n’en est pas.

Néanmoins, il est clair que les recherches menées sur le terrorisme vont tôt ou tard devoir se fixer sur une définition consensuelle de l’objet d’étude. Il ne s’agit pas simplement de définir pour définir, il y aune raison scientifique en arrière de cet exercice. C’est d’ailleurs souligné par le Profeseur Adam Roberts (2006) quand il a stipulé :

I do not share the academic addiction to definitions. This is partly because there are many words that we know and use without benefit of definition. 'Left' and 'right' are good examples, at least in their physical meaning. I sympathise with the dictionary editor who defines 'left' as 'the opposite of right' and then obliges by defining 'right' as 'the opposite of left'. A more basic reason for aversion to definitions is that in the subject I teach, international relations, you have to accept that infinite varieties of meaning attach to the same term in different countries, cultures and epochs. It is only worth entering into definitions if something hangs on them. In this case, something does.

Ainsi, la définition de ce qu’est le terrorisme va plus loin que la simple délimitation du concept. Elle est à la base de toute une série de méthodes, d’approches et de théories pour analyser le phénomène.

Malgré ces problèmes définitionnels fondamentaux, quelques points semblent néanmoins faire quasi consensus dans le monde de la recherche quand vient le temps de parler de terrorisme. Le plus important est le fait que le terme « terrorisme » implique une connotation péjorative et subjective.

Use of the term implies a moral judgement; and if one party can successfully attach the label terrorist to its opponent, then it has indirectly persuaded others to adopt its moral viewpoint. Hence the decision to call someone or label some organisation ‘terrorist’ becomes almost unavoidably subjective, depending largely on whether one sympathizes with or opposes the person/group/cause concerned (Hoffman, 1998 : p. 31).

Avec cette vision des choses, nous sommes plongés dans une situation où les terroristes des uns sont les « soldats libérateurs » des autres. Identifier un individu, un groupe d’individus ou même un État comme terroriste implique donc une interprétation des actions de violences posées.

En d’autres termes, il faut garder à l’esprit que l’élaboration d’une définition du terrorisme est un exercice politique en soit et retire l’objectivité de l’acte définitionnel. Le caractère fondamentalement politique du terrorisme le rend cernable sans établir, de prime abord, une ligne de démarcation normative. Quand vient le temps d’analyser ce phénomène dans une perspective de recherche, l’exercice devient donc périlleux : la prise de position est inévitable, même si elle est non-désirée. En fait, nous pouvons affirmer sans trop se tromper que le terme est d’avantage défini par les gouvernements, les médias et le public que par les chercheurs universitaires ( Silke, 2004 : p. 7).

Notons aussi qu’il y a souvent une confusion dans le rôle qui est tenu par le chercheur quand vient le temps d’aborder le terrorisme. Bon nombre de chercheurs se voient un peu comme des pompiers qui doivent trouver des méthodes efficaces pour combattre le feu. Or, pour demeurer dans le champ lexical du feu, le chercheur devrait plutôt être celui qui étudie la combustion (Schmid et Jongman, 2005 : p. 179).

Ensuite, mentionnons que le terrorisme est un sujet qui, en soi, est difficile à aborder. Les acteurs impliqués de près ou de loin dans les activités terroristes sont difficilement accessibles, surtout si nous voulons le faire d’une manière systématique. La nature clandestine des activités terroristes rend très difficile le travail de collecte de données. Cette difficulté dans l’accès à des sources d’informations est aussi entretenue par les gouvernements qui ne donnent pas accès à leurs données secrètes pour des raisons de sécurité nationale.

Cette difficulté de l’accès aux données a eu pour effet de donner de mauvais réflexes aux recherches menées sur le terrorisme : la majorité des recherches sont construites sur des sources secondaires et évacuent les sources primaires. En fait, l’étude menée par Schmid et Jongman (2005 : p. 138) démontrait que 80% des recherches sur le terrorisme étaient construites sur sources provenant de livres, des médias ou des articles scientifiques déjà publiés. Il faut donc faire le dur constat que la grande majorité des recherches sur le terrorisme constituent une hybridation de données déjà traitées; l’innovation scientifique est donc quasi évacuée.

À cela s’ajoute le fait que la majorité des chercheurs sur le terrorisme travaillent dans des conditions d’isolement. Andrew Silke (2004 : p. 68) mentionne d’ailleurs que 90% des travaux effectués sur le terrorisme sont l’œuvre de chercheurs travaillant de manière solitaire. Il est clair que cela nuit aux travaux plus rigoureux d’analyse de sources primaires qui demandent plus de travail et qui sont souvent menées par des groupes de recherche. Quand il incombe au chercheur d’être capable de produire bon nombre de résultats scientifiques tout en étant isolé, la manipulation de données primaires risque d’en prendre pour son rhume.

Au final, nous devons également souligner qu’il n’existe pas de méthodologie ni de théorie propres à l’étude du terrorisme. La majorité des recherches se basent sur une série de méthodes et de théories provenant de différents champs de recherches (sociologie, science politique, criminologie, psychologie, théologie, etc.). Nous aborderons d’ailleurs quelques-unes de ces théories afin de donner une vue d’ensemble des possibilités actuelles en matière de recherche.

 
     
 

La place de l’étude du terrorisme en science politique

Les travaux scientifiques sur le terrorisme sont nombreux en science politique. La recension de la littérature effectuée par Silke (2004 : p. 193 à 195) démontre que les politologues sont auteurs de 48,6% des articles abordant le sujet du terrorisme.

L’importance de l’étude du terrorisme en science politique tient surtout au fait que, premièrement, le terrorisme est l’expression d’une violence sous-tendue par des objectifs politiques. Le politique étant au centre de l’action terroriste, il est logique que le champ ait décidé de s’y intéresser. Deuxièmement, le terrorisme est souvent perçu comme une méthode de combat qui est très proche de la guérilla ou des méthodes de la guerre irrégulière ( irregular warfare). Or, tout un champ de la science politique s’intéresse à la question des études stratégiques et la manière de conduire les conflits armés. Il n’est donc pas étonnant que le terrorisme se trouve au cœur même des études en science politique.

 
 
Relation entre les études sur le terrorisme et la science politique
 
 
Il faut comprendre que les analyses développées en science politique agissent essentiellement au niveau macro. Étant donné les objets d’études abordés par la science politique – politique publiques, politiques étrangères, relations internationales, etc. – la perspective individuelle se voit souvent flouée au profit de visions plus larges et plus globalisante. Le pourquoi du terrorisme est donc majoritairement expliqué par des raisons systémiques ou culturelles.
 
     
 

La place de l’étude du terrorisme en criminologie

Dans son ouvrage Society, Crime and Criminal Behavior, D. C. Gibbons (1987) soutient que la criminologie accuse un grave retard en ce qui concerne le développement d’outils théoriques permettant de saisir la complexité de la criminalité politique, notamment en ce qui concerne le terrorisme. Dans sa vision des choses, cet état de faits rend non seulement la recherche crimino-politique difficile, mais cela a aussi des répercussions importantes sur les décisions des autorités sécuritaires. L’absence d’une compréhension théorique et conceptuelle du phénomène pousse les décideurs à prendre des décisions dans le néant; ces derniers ne peuvent pas se baser sur un cadre analytique précis et prouvé.

Alors que le champ criminologique tend à s’élargir – la criminologie ne se borne plus simplement à étudier les causes du crime – il serait normalement permis de croire que le terrorisme - et par extension les autres crimes politiques - prendraient plus de place de le spectre de la recherche. Or, les récentes études portant sur le sujet, notamment celles menées par Andrew Silke (2004), tendent plutôt à démontrer que la criminologie ne s’intéresse que très marginalement au terrorisme.

En faisant une revue de la littérature dévolue au sujet, Silke (2004 : p. 193 à 195) démontre que seulement 2,9% des recherches abordant le terrorisme sont menées par des criminologues. De manière encore plus surprenante, nous pouvons même déceler une tendance à la baisse dans ce type de recherches. Le nombre d’articles sur le terrorisme fait par des criminologues dans la période de 1990 à 1994 était de 3,8%. Ce résultat passe cependant à 2,1% pour la période de 1995 à 1999. Au bas mot, il s’agit d’une baisse de 45% de la production criminologique. Force est donc d’admettre que, encore aujourd’hui, les recherches criminologiques sur le terrorisme n’ont pas la cote et demeurent minoritaires, voire exceptionnelles.

Il est surprenant de voir cette situation perdurer dans le champ criminologique, surtout que, depuis des années, bon nombre d’auteurs classent le terrorisme comme une forme de criminalité. C’est entre autres le ca de Manual Lopez-Rey (1974) qui établi la différence entre les crimes conventionnels – les crimes dits traditionnels - et les crimes non-conventionnels. Les crimes conventionnels sont les crimes qui sont commis par « l’homme de la rue » et qui sont généralement pris en charge par les forces policières et le système pénal. Les crimes non- conventionnels, de leur côté, correspondent aux :

[…] offenses against international law; criminal law violations committed for patriotic, ideological, revolutionary, and similar reasons; crimes committed under the cover of official and semi-official governmental positions; and similar offenses (Martin et Romano, 1992 : p. 17).

Lopez-Rey affirme toutefois que la frontière entre les crimes conventionnels et les crimes non-conventionnels est très floue et poreuse; certains crimes peuvent être catégorisés à la fois comme conventionnels et non-conventionnels. Malgré cela, il demeure clair que dans la catégorie des crimes non conventionnels, nous pouvons aisément intégrer le terrorisme. Surtout si nous considérons que les actes terroristes sont bien souvent le résultat d’une forme de sponsorisation de la part d’États.

 
     
 

Les théories de science politique

Dans cette section, nous analyserons la façon dont les principales théories de science politique peuvent apporter des éléments intéressants pour l’étude du terrorisme. Il ne s’agira donc pas d’étaler de long en large les positions ontologiques des théories, mais plutôt de vérifier comment elles pourraient apporter des éléments d’analyse pour mieux comprendre le terrorisme. Notons que les théories présentées sont essentiellement étiologiques.

L’idéalisme

L’idéalisme est le courant théorique qui accompagna la naissance du champ des relations internationales. Il apparaît dans la foulée de l’après Première Guerre mondiale, avec la naissance de la Société des Nations (SDN). Ses bases philosophiques vont puiser dans les travaux d’Emmanuel Kant sur la montée d’une confédération d’États et sur la rationalité de l’humain (Projet de paix perpétuelle, 1795).

Les promoteurs de l’idéalisme - dont les plus connus sont Alfred Zimmern (1931), Norman Angell (1938), Leonard Woolf (1916) et David Davies (1930) - croient que la rationalité humaine lui permettra de régler ses conflits sans effusion de sang. Les institutions supra-étatiques – comme la SDN et l’Organisation des Nations Unies (ONU) – devraient, à terme, canaliser les tensions politiques présentes entre les États.

Une des thèses présentes dans l’idéalisme est que la poursuite de la sécurité collective est nécessaire (Davies, 1930). Dans cette vision des choses, la sécurité – militaire et policière - est vue comme un bien collectif qui devrait être poursuivi par les États d’une manière commune. Les idéalistes soutiennent donc que les États devraient s’en remettre aux législations internationales afin de mieux encadrer leurs activités sécuritaires; de cette façon, ils créeraient une collectivité sécuritaire qui, à terme, annihilerait les volontés de conflits. L’idéalisme sous-tend toute une série d’institutions sécuritaires contemporaines comme l’ONU et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Pour l’étude du terrorisme, l’idéalisme apparaît d’une utilité fort relative. En effet, cette théorie se concentre essentiellement sur les relations entre les États et sur les méthodes permettant de les empêcher d’entrer en conflit les uns avec les autres. Or, le terrorisme est majoritairement mené par des groupes non-étatiques, ce qui cadre mal avec l’ontologie idéaliste. Deux éléments apparaissent toutefois intéressants. Le premier est étiologique et est en relation avec la sponsorisation du terrorisme par les États. Le second touche à la réaction face au terrorisme et aux moyens sécuritaires mis en place pour le contrer.

Dans le cas de l’élément étiologique, nous pourrions étirer le raisonnement de l’idéalisme, qui soutient que le jeu étatique des alliances est nuisible pour la sécurité. Le blocage de la tension politique engendré par le jeu des alliances engendre, à terme, la montée aux extrêmes et l’explosion de la violence; la Première Guerre mondiale étant l’exemple de ce type d’événement. De plus, ce blocage pousserait les États à utiliser des moyens détournés pour affaiblir leurs adversaires – comme les assassinats ciblés par exemple.

Dans cette optique, la commandite d’attentats terroristes pourrait être employée comme méthode alternative de combat indirect contre leurs adversaires. Le meilleur exemple étant probablement l’assassinat de l’archiduc d’Autriche-Hongrie François-Ferdinand par Printsip, membre de l’organisation terroriste Main Noire, qui était supportée par des membres des services secrets de Serbie (Ferro, 1990). Le but avoué de la Serbie était de mettre fin aux volontés politiques de François-Ferdinand de réunir les Autrichiens, les Hongrois et les Slaves sous une même bannière.

En ce qui concerne la réaction au terrorisme, il apparaît clair que la posture idéaliste demeure, même aujourd’hui, très présente dans la vision sécuritaire. À preuve, la réaction sécuritaire post-11 septembre de bon nombre d’États a été d’en appeler à une plus grande coopération sécuritaire, notamment au travers des institutions internationales existantes comme l’ONU et l’OTAN.

Un exemple intéressant de cela est le Canada, qui dans sa politique de sécurité nationale décrit la position canadienne en termes de coopération :

Depuis le 11 septembre, le gouvernement a réitéré l’engagement du Canada envers l’OTAN et les Nations Unies et s’est engagé sur plusieurs plans à parer aux menaces qui pèsent sur notre sécurité nationale. Compte tenu du contexte actuel des menaces, nous avons donné la priorité absolue aux tâches consistant à neutraliser le terrorisme international, à empêcher la prolifération des armes de destruction massive, à venir en aide aux États déliquescents ou en déliquescence et à désamorcer les conflits qui surgissent au sein d’États ou entre des États et qui menacent notre sécurité nationale (Bureau du Conseil privé, 2004 : p. 54).

Ce que l’on peut voir, c’est que la coopération sécuritaire internationale est non seulement vue comme étant une réponse pour contrer le terrorisme, mais aussi comme une bonne façon d’assurer la sécurité nationale canadienne.

Le réalisme classique et ses variantes

Le réalisme classique émerge à la fin de la Seconde Guerre mondiale en réaction à l’analyse idéaliste qui prédominait au cours de l’entre-deux-guerres. Cette posture théorique et fait souvent référence à la Realpolitik et se veut être la réflexion de ce qui se passe réellement plutôt qu’idéalement. La philosophie de cette approche théorique se base essentiellement sur des travaux classiques comme ceux de Thucydide, Hobbes et Machiavel. Des pionniers de l’approche réaliste, comme Hans Morghentau (1985) et Raymond Aron (1962), auront tôt fait de placer le réalisme au cœur de la discipline des relations internationales.

Les théories réalistes classiques placent l’État – principalement les États jugés puissants -   au centre de leurs analyses. Selon les réalistes classiques, l’État est l’acteur principal des relations internationales et il évolue dans un système international anarchique. L’anarchie du système dans lequel les États évoluent fait en sorte qu’ils se retrouvent en constante compétition, afin d’assurer leur sécurité et de préserver leurs intérêts. La nature des États, une nature essentiellement égoïste (selon les tenants de cette théorie, c’est la nature humaine, égocentrique, mesquine et toujours en compétition, qui se projette au sein des relations internationales), les pousse à satisfaire au maximum leur intérêt national. Cet intérêt national est construit à partir de la recherche de la puissance.

Quoique ce courant soit dominant en science politique, notamment en relations internationales, il demeure assez limité en ce qui concerne la compréhension du terrorisme. En effet, étant donné que l’acteur principal des relations internationales est l’État, il demeure difficile d’y connecter le terrorisme, qui est souvent le fruit d’initiatives groupales, voire individuelles, qui agissent à l’intérieur des États. En fait, cette approche a le même défaut que les études cybernétiques, l’État étant au réalisme ce que la boîte noire est à la cybernétique (voir les travaux de Wiener, 1948) : ce qui se passe à l’intérieur n’est pas pris en considération.

Les nombreuses critiques portées contre le réalisme ont poussé la théorie à « ouvrir la boîte noire ». Ainsi, des nouvelles variantes du réalisme, comme le réalisme néoclassique, tendent de plus en plus à prendre en considération le point de vue des acteurs dans le processus décisionnel. Mais, encore une fois, étant donné que ce sont les États qui sont au centre des études, ce sont les chefs d’États qui sont considérés dans les analyses.

Notons, néanmoins, que le réalisme pourrait apporter un éclairage intéressant sur (1) le terrorisme d’État et (2) la sponsorisation d’activités terroristes. La première pourrait s’expliquer comme étant une manière d’appliquer les principes de la Realpolitik, - une vision très machiavélique dirait que le règne par la peur du peuple est plus efficace que le règne par l’amour du peuple - la seconde pourrait être analysée comme une manière détournée d’augmenter la puissance de l’État.

Le libéralisme

Le libéralisme est une théorie majoritairement fondée sur la rationalité et sur le mouvement « rationaliste » émanant de l’époque des lumières. Elle se base sur la pensée de philosophes comme Emmanuel Kant (1988) et prend pour prémisse de base la rationalité des individus. Dans cette vision des choses les États, les groupes et les individus agissent rationnellement dans la poursuite du bien-être matériel. Ainsi, les libéraux partagent un élément fondamental avec les réalistes : les États sont vus comme étant des acteurs rationnels.

Toutefois, même si les États sont les éléments les plus importants des relations internationales, les libéraux croient que d’autres entités jouent dans le déroulement du système international : les grandes entreprises ou les institutions internationales par exemple. Les auteurs libéraux les plus influents sont probablement Robert O. Keohane et Joseph S. Nye (1977), ainsi que R. N. Rosecrance (1986).

Tout comme le réalisme, le libéralisme a plusieurs variantes. Celles qui semblent les plus pertinentes pour l’étude du terrorisme sont le libéralisme républicain, qui fait le lien entre la démocratie et la paix, ainsi que le libéralisme commercial, qui fait un lien entre commerce et paix. Ainsi, une vision libérale expliquerait les causes du terrorisme comme une conséquence de la pauvreté   - une thèse qui est d’ailleurs souvent invoquée quand vient le temps d’aborder les « causes profondes » du terrorisme - ou par l’impossibilité de jouir d’institutions démocratiques.

Dans les deux situations, la réalité du terrorisme ne semble pas concorder avec la théorisation proposée. Dans le cas du lien entre pauvreté et terrorisme, les travaux de Marc Sageman (2004) démontrent que bon nombre des terroristes jihadistes sont issus de la classe moyenne. De même, la récente étude menée par James A. Piazza (2006) détruit empiriquement ce postulat théorique et démontre que la pauvreté n’est pas statistiquement liée au terrorisme.

Dans cette même étude, Piazza (2006) vient également défaire le postulat voulant que le terrorisme naisse dans les endroits où la démocratie est inexistante ou faible. Le chercheur démontre plutôt que le terrorisme tend à naître dans les régimes démocratiques ayant une démographie importante et où de nombreux partis faibles doivent coexister. Par exemple, un pays comme les États-Unis ne serait donc pas à considérer puisqu’il s’agit d’un système essentiellement bipartisan et les deux sont relativement forts. Le terrorisme n’est donc pas la conséquence d’un déficit démocratique, comme pourraient le croire les libéraux.

Au final, la théorie libérale n’apparaît que peu utile pour comprendre le phénomène terroriste. Même si de prime abord il semble mieux positionné que le réalisme pour aborder cette question, en accordant un intérêt aux acteurs non-étatiques, le libéralisme a des postulats qui ne sont empiriquement incompatibles avec le phénomène.

 
     
   
 
2002-2014, ERTA