L'affaire Ahmed Ressam : parcours d'un terroriste
 
     
Débuts en Algérie
 
 

1967
Ahmed Ressam est né le 19 mai 1967 à Bou Ismaïl, petite ville de 40 000 habitants, située sur le littoral ouest d'Alger.

 
   

Environnement familial
Ressam a grandit à Bou Ismaïl. Il est l'aîné de 7 enfants. Le père, Belkacem Ressam, avait combattu les forces françaises pendant la guerre d'Algérie. Celle-ci prit fin avec les accords d'Évian en 1962. Il parlait, dit-on, rarement de la guerre à ses enfants. En tant que vétéran de la guerre, Belkacem Ressam pouvait prétendre à certains emplois et il obtînt un emploi du gouvernement comme chauffeur. Il installa sa famille à Bou Ismail dans une maison de six pièces.

Le style de vie des Ressam, comme c'était le cas de beaucoup d'autres Algériens, reflétait le mélange de tradition musulmane et de culture européenne et française. L'islam, sans cesse une obligation dans la maison familiale, était présent. Belkacem Ressam priait cinq fois par jour et il fréquentait aussi la mosquée les vendredis soirs. Il demanda à ses cinq fils de le suivre mais ils demeurèrent dans l'ensemble peu pratiquants. La mère, Benoir Malika, et les deux soeurs portaient le hijab à l'extérieur de la maison. Par contre, à l'intérieur, elles étaient vêtues à l'occidentale. Selon son frère Kamel, Ahmed Ressam fut le premier de la famille à avoir bénéficié d'une éducation « moderne » ( Newsweek, 8 mai 2000).

Ahmed Ressam est décrit comme un garçon fin, au regard noisette perçant et aux cheveux bruns. Il était vif et aimait jouer au soccer dans les rues voisines ou aller à la pêche. C'était un lycéen au parcours plutôt modeste mais Belkacem Ressam espérait que son fils continue des études après le lycée, ce qui lui permettrait de bénéficier d'une bonne éducation et d'intégrer la classe moyenne algérienne.

 
   

1984
À l'adolescence, Ahmed se mit à souffrir de violentes douleurs à l'estomac. Les docteurs ne purent déterminer ce dont il souffrait et il passa des nuits sans dormir. « Il souffrait vraiment », se souvient un ami d'enfance, Morad Cherani. « Nous le trouvions tout le temps souffrant de maux d'estomac et il avait beaucoup mal. » (Bernton et coll. (2002), chap. 2).

Alors qu'il avait 16 ans, son père envoya Ahmed à Paris pour y être soigné. Sur place, les médecins diagnostiquèrent un ulcère et l'opérèrent. Il dut rester à Paris seul, en convalescence, dans la capitale française.

Selon différentes sources, Ressam lut, en France, des livres - interdits en Algérie - sur la façon dont les militaires, qui avaient pris le pouvoir après l'indépendance du pays, dirigeaient le pays, sur leur corruption et sur le manque de démocratie du nouveau pays. À son retour, selon son frère, Ressam fut très amer à ce sujet et au sujet de son pays (Bernton et coll., 2002, chap. 2).

 
   

Retour en Algérie
Lorsque Ressam retourna chez lui plusieurs mois après son départ, il avait raté beaucoup de cours et il dut redoubler une année. Cependant, comme il était bon en mathématiques, il désirait poursuivre des études dans cette branche.

 
   

1988
Ressam termina sa scolarité mais il échoua, en 1988, à l'examen du baccalauréat, qui sanctionne la fin des études secondaires et qui lui aurait permis d'entrer à l'université. Il postula pour différents emplois dans la police algérienne et dans les forces de sécurité, mais il ne fut pas admis car il n'était pas assez qualifié. Il travailla alors quelques années dans le café qui appartenait à son père. En effet, celui-ci avait utilisé ses économies pour ouvrir un petit café. Ressam y travaillait de 4 h 30 du matin jusqu'à midi, servant du thé à la menthe et du café aux hommes qui jouaient pendant des heures aux dominos sur les tables (Berton et coll., 2002).

La situation économique en Algérie, dans les années 80, se dégradait et le gouvernement faisait de plus en plus de mécontents en raison de ses piètres résultats économiques et sociaux. Le régime en place, inspiré par le modèle soviétique et chapeauté par le parti unique, le Front de libération nationale (FLN), qui revendiquait sa légitimité pour avoir conduit la guerre d'Indépendance contre la France de 1954 à 1962, interdisait néanmoins l'expression de toute opposition. Parallèlement, les forces islamistes gagnaient de l'influence en Algérie, comme dans d'autres pays musulmans. Olivier Roy parle de « la réislamisation conservatrice » (2002 : 45).

     « Le fait que les sociétés musulmanes se soient largement réislamisées dans les années 80 est une évidence visuelle (voile, symboles religieux, port de la barbe..). Sociologiquement, cette réislamisation, spontanée ou induite par l'État, s'est traduite par le développement des écoles religieuses étatiques (en Turquie sous Özal) ou privées (en Égypte, au Pakistan, mais aussi au Mali) ; ces écoles pallient d'autant plus les insuffisances de l'Éducation nationale qu'elles sont parfois financées par les « pétro-dollars ». »

Par ailleurs, pour contrer cette influence radicale, notamment iranienne après 1979, de nombreux États ont accepté de réislamiser le droit. Ainsi, l'article 2 de la Constitution égyptienne de 1972 précise que la charia est la principale source de droit ; le Soudan promulgue en 1983 un Code pénal islamique. Autre exemple, le Code algérien de 1984 réintroduit la charia dans le statut personnel (Roy, 2002 : 46-47). À partir 1995, les États essayèrent cependant de reprendre en main les réseaux religieux. Selon Keppel, ce sont les mouvements de réislamisation qui ont connu, en 1990, le plus grand potentiel de développement. (Keppel, 2003 [1991] : 261).

À Bou Ismail, mais aussi dans d'autres villages, les mosquées étaient devenues un terrain de recrutement pour les islamistes (Selon Antoine Sfeir (2001 : 10) : « L'islamisme est un concept purement français pour désigner les intégristes musulmans, ceux que les Anglo-Saxons appellent les fondamentalistes. » C'est dans ce sens que nous l'emploierons). Ils proposaient aux jeunes hommes de participer au djihad, à la guerre sainte, menée pour aider leurs frères afghans musulmans contre l'envahisseur soviétique. Pour être un bon musulman, il fallait combattre les infidèles. Des centaines d'Algériens, comme tant d'autres musulmans du monde entier, répondirent à cet appel et partirent en Afghanistan aider leurs frères afghans à combattre les troupes soviétiques.

Après la guerre en Afghanistan, une partie de ces combattants revinrent en Algérie. D'autres, désabusés ou blasés, s'installèrent principalement en Europe de l'Ouest ou en Europe centrale et réussirent leur réinsertion dans la vie civile (Sfeir, 2001). Ceux qui étaient revenus en Algérie étaient surnommés « les Afghans ». Ils voulaient faire évoluer le gouvernement et extirper les racines communistes de son idéologie.

« Ils étaient seuls dans le pays à avoir noué des relations avec l'extérieur, notamment les groupes radicaux égyptiens, le Hezbollah iranien, le régime soudanais, le courant tunisien Al Nadha qui, sans plonger lui-même dans la violence, offre à ces groupes un soutien logistique important. Ils avaient naturellement du mal à supporter la hiérarchie des chefs locaux qui veulent ignorer leur expérience de plusieurs années contre une armée soviétique suréquipée en chars et protégée par l'aviation. » (Sfeir, 2001 : 124).

Plusieurs manifestations eurent lieu contre le gouvernement algérien, formées notamment par des individus qui étaient venus à l'âge adulte sans avoir jamais connu d'autres régimes que celui qu'ils voulaient combattre. Elles s'inscrivent dans le contexte d'une dégradation de l'économie du pays. En 1986, le retournement du marché pétrolier fragilisa le régime. Jusque là, les hydrocarbures représentaient plus de 95 % de la valeur des exportations et assuraient plus de 60 % des recettes budgétaires (Keppel, 2003 : 255). Les revenus du pétrole avaient permis au régime, qui en accaparait les bénéfices, de se maintenir en place et d'acheter la paix sociale en subventionnant les biens de consommation importés. Mais en 1986, la baisse des hydrocarbures fissura cet édifice en entraînant une baisse de la moitié du budget de l'État. À cela s'ajouta l'explosion démographique qui suscitait des besoins nouveaux (logements, écoles, débouchés professionnels). C'est dans ce contexte que, au soir du 4 octobre 1988, des émeutes éclatèrent et des jeunes gens s'en prirent violemment aux symboles du pouvoir et de l'État. Plus de 500 d'entre eux furent tués par les forces de l'ordre et les militaires. Le Front islamique du salut (FIS) (dont la naissance fut officiellement proclamée le 10 mars 1989) émergea comme une force politique nouvelle (même si les racines de l'islamisme étaient anciennes en Algérie), inspirée par une vision radicale de l'islam. Ses leaders souhaitaient que le pays suive la loi islamique, la charia. Les discours islamistes recevaient un écho favorable auprès de nombreuses couches du pays mais surtout les plus pauvres. « C'était le langage de l'époque - simple, démagogique et puissant », se souvient Omar Belhouchet, directeur du journal indépendant El Watan.

Deux tendances s'opposaient au sein du FIS. Les « algérianistes » de la Djazairia, courant nationaliste, conduit par Abassi Madani et les Salafis, emmenés par Ali Benhadj. Ceux-ci prêchaient le retour du califat, se montraient totalement opposés à un État qui ne serait pas islamique et ils étaient inspirés par la doctrine des Frères Musulmans égyptiens et par les théories de Sayyed al Kotb. C'est dans leur rang que l'on retrouvait les « Afghans » (Sfeir , 2004 : 120 ; voir aussi Sfeir, 2002).

Si beaucoup de jeunes gens répondirent à cet appel, Ahmed Ressam continua à travailler dans le café de son père. Il se tenait assez loin des remous politiques qui secouaient le pays. « Nous disions, 'Ahmed, apporte nous une limonade', dit All Rakeche, un enseignant qui fréquentait le café. Il était très timide et n'aurait pas fait de mal à une mouche. »

Ressam et ses amis ne fréquentaient pas non plus la mosquée. Ils portaient tous des jeans de marque et fréquentaient les discothèques (Sageman, 2005). Un autre des amis de Ressam, Morad Cherani, a aussi précisé que leur petit groupe fumait du hashsih, buvait du vin et fréquentait un nigth-club avec un billard, le Materez. Un ami de la famille, Yousif Boualem se souvient : « Ahmed aimait choisir lui même ses vêtements et recherchait la compagnie des femmes. Il n'avait rien à faire avec l'islam. C'était un beau jeune homme. Il était cool et n'avait pas de problème pour trouver des jeunes filles. Pas des femmes des rues, mais de jeunes filles charmantes. » (Bernton et coll., 2002).

 
   

1990-1991
Les islamistes ont le vent en poupe en Algérie et gagnent les élections municipales et régionales le 12 juin 1990. La jeunesse urbaine pauvre du pays a voté généreusement pour ce parti. Enhardis par la victoire du Front islamique du salut aux élections municipales, des militants prirent le contrôle des mosquées et imposèrent dans les rues leur vision de l'islam fondée sur une stricte application de la charia. Elle se traduisit par

« la mise en ouvre de la « morale islamique » : les employées municipales doivent se présenter voilées ; débits de boisson, vidéo-shops et autres commerces « immoraux » sont convaincus de fermer leurs portes, les femmes de mours légères (ou supposées telles) sont l'objet de la vindicte, et les municipalités côtières organisent la ségrégation de la baignade, interdisent les tenues « indécentes », etc. » (Keppel, 2003 : 269-270).

À Bou Ismaïl, ils chassèrent l'imam de la mosquée, Mohammed Tazroot, et menacèrent de le tuer s'il revenait. « Ils m'ont banni de la mosquée et ont prêché une religion de la haine qui n'avait rien à voir avec le vrai islam », dit Tazroot. « Ils disaient que toute personne qui ne les suivait pas était contre Allah. » (Bernton et coll., 2002 : chap. 2).

Une période de tension commença avec le pouvoir en place. En mai 1991, des sit-in sont organisés sur une des plus grandes places d'Alger que le pouvoir est obligé de laisser aux mains du FIS. L'état major militaire décide alors d'intervenir directement pour empêcher que ces manifestations ne tournent à l'insurrection. Le 3 juin 1991, l'état de siège est proclamé et des chars dispersent les manifestants. Les militaires nomment un nouveau Premier ministre, Sid Ahmed Ghozali, qui annonce le report des élections. Celles-ci ont finalement lieu en décembre 1991 (Keppel, 2003).

Le FIS arriva largement en tête avec 47 % des voix et 178 députés contre 16 au FLN. Les projections pour le second tour donnaient une majorité absolue au FIS.

 
   

1992
Le 11 janvier 1992, le président Chadli est « démissionné » par les militaires, qui interrompent le processus électoral le 13 janvier suivant (Keppel, 2003). Le FIS sera dissout le 4 mars. Entre-temps, ses militants et des centaines d'élus locaux du Front islamiste du salut sont arrêtés et emprisonnés. Les mosquées sont aussi placées sous surveillance. La guerre civile éclate. Aux attentats commis par les mouvements islamistes, les forces gouvernementales ripostent par des détentions, des tortures et des exécutions.

Belkacem Ressam n'aimait pas les militants du FIS et leurs méthodes. Pour lui, c'était des terroristes. Quant à ses fils et à leurs amis, ils se trouvèrent devant un choix : soit l'armée algérienne, soit les islamistes. « Ahmed voulait partir. Il voulait trouver la liberté hors du pays. », se souvint Belkacem Ressam. Ahmed Ressam dit à des amis qu'il allait retourner en France pour y trouver un emploi.

 
 
 
   
   
 
2002-2014, ERTA