Le financement d'activités terroristes au Canada

 
     
  Loi antiterroriste (C-36) et activités de financement  
 

 

 
 

Introduction

Le Canada a opt, l'instar des tats-Unis et de plusieurs pays en lutte contre le terrorisme, pour l'adoption d'une loi ciblant les activits de financement du terrorisme. En lgifrant sur les aspects spcifiques des activits de financement des groupes terroristes, le Canada cherche empcher que des fonds soient recueillis pour des activits terroristes, par exemple, sous couvert d'activits lgales, comme les collectes de fonds organises par des organismes humanitaires. La Loi antiterroriste vise ainsi prcisment le territoire financier des groupes terroristes : il s'agit de leur couper les vivres et de s'assurer qu'ils ne seront pas en mesure de runir les sommes ncessaires la planification d'activits terroristes. Le paysage lgal canadien, suite l'adoption de la Loi antiterroriste, se trouve modifi. En effet, de nouvelles infractions relatives au financement du terrorisme sont cres et les organes de contrle disposent d'un cadre oprationnel leur permettant de procder des arrestations lorsqu'ils souponnent que des individus ou des groupes sont impliqus dans une activit terroriste.

La critique de la Loi antiterroriste s'est structurée autour de deux points principaux. Premièrement, il s'agit de l'efficacité, voire de l'utilité de la Loi pour assurer la scurit intrieure du pays. Deuxièmement, plusieurs critiques ont aussi relevé une rosion des droits et liberts fondamentaux. Scurit intrieure, lutte antiterroriste et pouvoirs des organes de contrle seraient synonymes de l'effacement progressif des droits constitutionnels. Plus précisément, la Loi donne lieu des plusieurs rflexions : pour plusieurs l'largissement de la dfinition de l'activit terroriste n'apparat pas comme un choix judicieux, tant donn qu'un grand nombre de personnes pourraient tre inculpes en vertu de la loi sans pour autant tre des terroristes. L'octroi de pouvoirs supplmentaires aux forces policires ne s'accompagnerait pas de garanties constitutionnelles suffisantes. Notons aussi au passage que les dveloppements multiples des dernires annes en matire d'arrestations et de poursuites pnales de présumés terroristes montrent à quel point diffrentes instances de contrle autorises intervenir fonctionnent avec des mandats diffrerents, sinon contradictoires. En fait, ce que les donnes empiriques rvlent, c'est que le contexte international de la lutte contre le terrorisme joue un rle de premier plan en matire de mise en oeuvre des lois. La ncessit de cooprer avec les instances d'un pays ami, par exemple les tats-Unis, peut court-circuiter la mise en oeuvre d'une loi pourtant sensée être en mesure de rpondre toutes les situations.

Enfin, la Loi antiterroriste modifie galement la Loi sur le recyclage des produits de la criminalit, qui touche en majeure partie le blanchiment d'argent. L'importance de couper les fonds aux groupes terroristes tient compte de la possibilit qu'ils sont en mesure d'obtenir de l'argent rsultant d'activits illgales. Cependant, ce qui vaut pour les organisations criminelles ne s'applique pas ncessairement aux groupes terroristes. En effet, les groupes terroristes ont souvent accs des fonds provenant de sources lgales et c'est dans cette perspective qu'il convient de recourir avec prudence toutes les analogies ayant pour rfrence les organisations criminelles.

 
     
 

1. Les lments novateurs de la Loi antiterroriste

1.1. Définir l'activit terroriste

1.1.1 Dfinition

En ce qui concerne la dfinition d' activit terroriste , le Canada se distingue de ses partenaires commerciaux. En effet, la dfinition stipule l'article 83.01 est large et vise les actes commis au Canada ou l'tranger :

 activit terroriste 

[...] b) soit un acte action ou omission, commise au Canada ou l'tranger :

(i) d'une part, commis la fois:

(A) au nom exclusivement ou non d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature      politique, religieuse ou idologique,

(B) en vue exclusivement ou non d'intimider tout ou partie de la population quant sa scurit, entre autres sur le plan conomique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale accomplir un acte ou s'en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l'organisation soit ou non le Canada [...]

Sont viss par la prsente dfinition, relativement un tel acte, le complot, la tentative, la menace, la complicit aprs le fait et l'encouragement la perptration

1.1.2 Citiques

La dfinition de l'activit terroriste fait rfrence une notion conomique, ce qui est susceptible de contribuer une certaine confusion au moment d'appliquer la loi. En effet, en raison de l'imprcision de la dfinition de l'activit terroriste, un grand nombre de personnes qui se livreraient des activits conomiques sans lien avec des activits terroristes pourraient tre inculpes.

De fait, selon Roach (2001), la dfinition de l'activit terroriste est trop imprcise. Elle incorpore non seulement des actes relatifs la violence politique, religieuse ou idologique et pouvant mettre en danger la vie, la sant et la scurit des habitants du pays, mais aussi des actes illgaux et des dommages la proprit qui pourraient causer de srieux problmes aux services essentiels publiques et privs. Roach remarque que de nombreux acteurs pourrait tre apprhends sur la base des dispositions de la loi, entre autres des environnementalistes ou des contestataires anti-globalisation. Le cadre lgal octroyant des pouvoirs immenses aux organes de contrle pourrait se traduire par des peines svres, tant donn le champ largi de l'enqute et de l'inculpation. Le soin d'établir le risque sécuritaire que représente une activité est laissé aux acteurs judiciaires, qui déterminent ainsi ce qui constitue un crime au sens de la loi. Moins leur seuil de tolrance est lev, plus grande est la possibilit que des activits n'ayant pas de lien avec le financement du terrorisme fassent l'objet de suspicions de la part des autorits (Davis, 2001). Machado (2001) montre que le flou de cette définition entraîne des problemes pour l'ensemble des lments de la loi : les infractions prsentent des ambiguts et renvoient des situations extrmes. Il n'y aurait pas de discrimination entre les conduites des groupes terroristes et celles de groupes contestant les politiques sociales du gouvernement.

Le Barreau du Qubec ajoute que si l'aspect conomique n'est pas vacu de toute la dfinition d'acte dans le cas d'une grve illgale, des travailleurs pourraient tre viss par cette disposition. La dfinition d'une infraction de financement d'activits terroristes et la notion de  menaces envers la scurit du Canada  ne devrait pas, selon le Barreau du Qubec, comporter de rfrence une notion conomique, car ce concept conomique pourrait porter prjudice la population en visant des activits conomiques lgitimes, qui sont peut-tre illgales, mais qui ne sont pas ncessairement des activits terroristes.  Les difficults lies ce concept conomique aura le mme impact sur la population canadienne en gnral, sinon pire, puisqu'on le lie au concept de menaces envers la scurit du Canada . En effet, en intgrant des rgles de droit commun des rgles relatives aux activits terroristes, le risque de cibler un ensemble de situations qui ne seraient pas des activits terroristes suscite des inquitudes au sein de la communaut des acteurs judiciaires, prcisment eu gard la confusion des concepts et des dfinitions prvus par la loi. La position de l'Association du Barreau canadien (ABC, 2001) est similaire.

1.2. Nouvelles infractions relatives au financement du terrorisme

Suite la rsolution 1373 du Conseil de scurit des Nations Unies, dont le Canada est signataire, trois nouvelles infractions sont créées par la Loi antiterroriste. L'objectif de la rsolution tait de procder au gel des avoirs des individus ou des groupes qui participent des activits terroristes afin d'empcher que des fonds soient verss ou recueillis aux fins du terrorisme.

1.2.1 Article 83.02:  Fournir ou runir des biens en vue de certains actes 

83.02 Fournir ou runir des biens en vue de certains actes Est coupable d'un acte criminel [...] quiconque, directement ou non, fournit ou runit, dlibrment et sans justification ou excuse lgitime, des biens dans l'intention de les voir utiliser ou en sachant qu'ils seront utiliss en tout ou en partie, en vue:

a) d'un acte action ou omission qui constitue l'une des infractions prvues [...] de la dfinition de  activit terroriste  au paragraphe 83.01(1).

1.2.2 Article 83.03:  Fournir, rendre disponibles, etc. des biens ou services des fins terroristes 

83.03 Fournir, rendre disponibles, etc. des biens ou services des fins terroristes  Est coupable d'un acte criminel [...] quiconque, directement ou non, runit des biens ou fournit ou invite une autre personne le faire ou rend disponibles des biens ou des services financiers ou connexes:

a) soit dans l'intention de les voir utiliser ou en sachant qu'ils seront utiliss , en tout ou en partie, pour une activit terroriste, pour faciliter une telle activit ou pour en faire bnficier une personne qui se livre une telle activit ou la facilite;

b) soit en sachant qu'ils seront utiliss, en tout ou en partie, par un groupe terroriste ou qu'ils en bnficieront, en tout ou en partie, celui-ci.

Dans cet article l'activit terroriste semble inclure des actes qui relvent de certaines formes de financement du terrorisme. Ainsi, la loi tente de dfinir une activit conomique qui ne serait lie au financement d'activits terroristes que dans certains cas. Pour Davis, un aspect particulier de la loi concerne la difficult de dterminer avec prcision le degr de relation que doit prsenter une activit conomique avec une activit terroriste pour que cette activit conomique soit traduite devant les instances pnales. Compte tenu du fait que le lien est parfois si tnu et compte tenu des droits et liberts individuels, il serait peut-tre opportun de ne pas porter des accusations au pnal sur la base de l'activit conomique. En effet, dans le cas de grve ou de manifestations antigouvernementales, des citoyens qui ne mettent pas en danger la scurit du Canada pourraient tre inculps en vertu de la Loi antiterroriste.

Enfin, l'ABC estime que l'article 83.03 est si ouvert  qu'il pourrait mme englober la reprsentation juridique en l'assimilant une forme d'aide une activit terroriste . Les avocats eux-mmes ne seraient pas protgs aux termes de la loi.

1.2.3 Article 83.04:  Utiliser ou avoir en sa possession des biens des fins terroristes 

83.04 Utiliser ou avoir en sa possession des biens des fins terroristes Est coupable d'un acte criminel [...] quiconque, selon le cas:

a) utilise directement ou non, en tout ou en partie, des biens pour une activit terroriste ou pour la faciliter;

b) a en sa possession des biens dans l'intention de les voir utiliser ou en sachant qu'ils seront utiliss directement ou non, en tout ou en partie, pour une activit terroriste ou pour la  faciliter.

La Cour pourrait envisager un certain nombre d'lments pour l'aider dterminer si un individu a particip ou a contribu une activit terroriste, par exemple, le fait que l'accus ait utilis un nom, un mot, un symbole ou toute autre signe distinctif associ un groupe terroriste dont l'utilisation par ce groupe est d'un usage frquent (Schneiderman et Cossman, 2001).

Davis (2001), note le manque de cohrence dans la loi : selon l'article a teneur des actes varie et peut prendre iss est susceptible de varier et de prendre des connotations diverses. Ainsi, tantt il est question de faciliter ou de participer une activit terroriste, tantt il est question d'aider une personne ou un groupe terroriste faciliter ou perptrer une activit terroriste :

One of the financing of terrorism offences, the one set out in proposed section 83.02, applies to different types of  terrorist activity  from the other provisions. Section 83.02 essentially adopts the definition of terrorist activity used in the Financing of Terrorism Convention, [the General Assembly of the United Nations] whereas the other two financing of terrorism offences simply use the general definition of  terrorist activity  provided in proposed section 83.01. The rationale for this lack of uniformity is unclear (Davis, 2001 : 316, note 5).

Pour l'ABC (2001), la porte des articles 83.02 83.04 est trop gnrale et risque de faire obstacle des leves de fonds en lien avec des organismes qui se porteraient la dfense de peuples opprims. Ainsi, des causes qui pourraient sembler légitimes au Canadiens pourraient être assimiles aux activits prvues par la Loi antiterroriste. Ici, lgitimit pourrait s'opposer lgalité selon l'apprciation qui serait faite de la ncessit d'aider des victimes de rgimes totalitaires, le contexte de l'activit (conomique) l'tude et la capacit des organisations vises inscrire leur lutte au sein des proccupations éthiques et politiques des pays riches.

Roach (2001) conclue que la Loi antiterroriste ajoute peu aux lois existantes. La cration de nouvelles infractions ne serait qu'une dmonstration tout au plus symbolique, visant rassurer des spectateurs-clés sur le sérieux avec lequel le Canada prend la lutte contre le terrorisme, sans que les forces de contrle ou les procureurs ne soient ncessairement dots de meilleurs outils pour mener ce combat.

1.3. Un nouveau concept : la  facilitation 

1.3.1 Dfinition et limites

L'article 83.19 rend compte de l'infraction ayant trait l'aide apporte une activit terroriste (facilitation), savoir que toute personne qui facilite sciemment une activit terroriste commet une infraction:

83.19 (1) Facilitation dune activit terroriste Est coupable d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque sciemment facilite une activit terroriste.

(2) Facilitation Pour l'application de la prsente partie, il n'est pas ncessaire pour faciliter une activit terroriste:

a) que l'intress sache qu'il se trouve faciliter une activit terroriste en particulier;

b) qu'une activit terroriste en particulier ait t envisage o elle est facilite;

c) qu'une activit terroriste soit effectivement mise excution.

1.3.2 Problmes

Davis (2001) constate que le manque de clart de la loi en ce qui a trait au concept de facilitation peut donner lieu des interprétations et applications douteuses. En effet, non seulement une personne qui donne sciemment de l'argent ou un litre de lait un membre d'un groupe terroriste pourrait tre inculpe en vertu des dispositions lgislatives sur le financement du terrorisme, mais galement celui qui vend un litre de lait un membre d'un groupe terroriste (Davis, 2001:301).

Par ailleurs, les dispositions de la Loi antiterroriste qui concernent des transactions ou des transferts de fonds en relation avec des possessions pouvant appartenir des groupes terroristes sont recenses l'article 83.08 sous la rubrique  blocage des biens . Conformment l'article 83.08 (1), une nouvelle infraction de conclure une transaction dans une proprit qui serait possde ou contrle par un groupe terroriste. En outre, seront aussi considres comme des infractions le fait d'initier une transaction en lien avec ces biens ou favoriser la transaction, ou encore fournir un service financier ou un service qui soit associ l'aspect financier de la transaction.  Pour Machado (2001), les articles 83.03 et 83.08 ne prsentent pas de cohrence interne avec la notion  d'apporter une aide  (facilitation) qui est incorpore dans l'infraction.

1.4. Les acteurs viss par la loi

1.4.1 Personnes et groupes

Le Canada associe dans la loi la personne et le groupe terroriste. En effet, aux termes de la loi, selon l'article 83.03 et l'article 83.01 (1), une personne peut tre un groupe terroriste. Le terme  groupe terroriste  est dfini de la manire suivante l'article 83.01 (1):

 groupe terroriste »
a) Soit une entit dont l'un des objets ou l'une des activits est de se livrer des activits terroristes ou des les faciliter;
b) soit une entit inscrite.
Est assimile un groupe terroriste un groupe ou une association form de groupes terroristes au sens de la prsente dfinition.

1.4.2 Problmes

Pour Davis (2001:303), l'article 83.03 pose un problme de taille. En effet, cet article renvoie aux personnes qui la fois participent une activit terroriste et qui sont en relation avec un groupe terroriste. En effet, comme le terme  entit  est lui-mme dfini et inclut une personne, il ressort donc qu'une personne (physique) qui aurait facilit ou particip une activit terroriste serait aussi qualifie de groupe terroriste aux termes de la loi; ainsi, les nouvelles dispositions lgislatives pourraient permettre l'inculpation de personnes dont les liens avec le terrorisme ne seraient qu'incertains et fort loigns.

1.5. tablissement d'une liste de groupes terroristes

La Loi antiterroriste prvoit l'tablissement d'une liste de groupes terroristes et d'individus associs des activits de terrorisme. L'article 83.05 (1) est formul de la faon suivante:

83.05 (1) tablissement de la liste Le gouverneur en conseil peut, par rglement, tablir une liste sur laquelle il inscrit toute entit dont il est convaincu, sur la recommandation du solliciteur gnral du Canada, qu'il existe des motifs raisonnables de croire:

a) que sciemment, elle s'est livre ou a tent de se livrer une activit terroriste, y a particip ou l'a facilite;

b) que, sciemment, elle agit au nom d'une entit vise l'alina a), sous sa direction ou en collaboration avec elle.

1.6. La loi donne des pouvoirs accrus aux forces de l'ordre

La Loi antiterroriste accrot les pouvoirs confrs aux organismes mandats pour lutter contre le terrorisme. Comme le met en vidence le Mmoire du Barreau du Qubec, le projet de loi introduit une nouvelle disposition au Code criminel, l'article 83.28, qui permet dornavant un agent de la paix, avec le consentement du procureur gnral, de requrir auprs d'un juge de la Cour suprieure de juridiction criminelle, une ordonnance autorisant la recherche d'lments de preuve. Dsormais, la personne frappe par l'ordonnance est tenue de collaborer et de parler, ce qui supprimerait le droit au silence. Pour l'Association du Barreau Canadien (ABC), la procdure d'arrestation prventive constitue un cart par rapport ce qu'on considre acceptable au Canada. En dpit de l'quilibre recherch par le lgislateur entre des objectifs lis la scurit intrieure et des proccupations lies au respect des droits des individus, l'ABC craint que cette mesure n'entrane des applications discriminatoires. On peut d'ailleurs mettre l'hypothse que plus le niveau d'alerte de la menace terroriste est lev, plus nombreuses seront les arrestations sur la base de soupons. L'article 83.4 prvoit que l'agent de la paix, s'il a des motifs raisonnables de souponner qu'une activit terroriste est imminente, peut, sans mandat, arrter une personne et la mettre sous garde vue pour une priode de 24 ou 28 heures (Mmoire du Barreau du Qubec). Il s'agirait d'une disposition qui favorise l'apprciation subjective de motifs relis la ncessit de procder l'arrestation de personnes sans mandat, pour une priode de 48 heures.

Le Barreau du Qubec estime aussi que  les simples soupons  devraient tre rvalus la hausse et que la norme devrait tre tablie en fonction de  motifs raisonnables de croire . On peut d'ailleurs remarquer que les dispositions relatives l'investigation imposent la magistrature d'accomplir des activits d'enqute proches de celles rserves la police. Par ailleurs, dans le cas de l'article 83.13 (1) prvoit qu'un juge de la Cour fdrale peut rendre une ordonnance de blocage dans le cas de biens situs l'tranger ou un mandat de saisie dans le cas o les biens sont situs au Canada (Mmoire du Barreau du Qubec, 2001). La Cour fdrale dispose d'une comptence exclusive en la matire.

Friedland (2001 : 273) met un avis intressant sur le choix du Canada de doter tous les agents des forces policires de pouvoirs accrus aux termes de la Loi antiterroriste. En effet, l'assertion voulant qu'en cette matire le Canada ait simplement adopté la mme approche que les États-Unis et le Royaume-Uni est tout simplement fausse. Des diffrences notoires existent entre l'organisation des forces de police au Canada et ce qui se passe aux tats-Unis et au Royaume-Uni. Aux tats-Unis, les pouvoirs spciaux ne sont pas attribus tous les reprsentants des forces de l'ordre, mais au FBI, l'organe de contrle qui est responsable de la question du terrorisme sur le territoire national. Au Royaume-Uni, l'organisation de la police est beaucoup plus centralise et contrle qu'au Canada, tant donn que le Home Office assume l'entire responsabilit de l'administration de la police (Friedland, 2001). Par consquent,  to apply the UK or US legislation to Canada and to give every municipal or provincial police force these special powers goes much further than is desirable  (Friedland, 2001).

 
 

 

 
 

2. Critiques doctrinales

2.1 Manque de cohrence entre le Code criminel et la Loi antiterroriste

D'une manire gnrale, les argumentations critiques des acteurs judiciaires, des juristes ou des professeurs de droit, portent sur la ncessit de maintenir une cohrence entre les textes de loi, c'est--dire entre les articles initiaux du Code criminel et les nouvelles dispositions de la Loi antiterroriste, pour viter que les nouvelles dispositions lgislatives soient source de confusion. C'est d'ailleurs en grande partie pourquoi le Barreau du Qubec revendique fermement qu'une loi concernant le terrorisme ne devrait pas tre incorpore au Code criminel comme c'est le cas avec la Loi antiterroriste. Il conviendrait plutôt d'indiquer le caractre exceptionnel de ces mesures de lutte contre le terrorisme en votant une loi distincte qui leur soit spcifique. Toute confusion serait ainsi vite entre les principes de droit pnal inscrits au Code criminel et les dispositions de la Loi antiterroriste qui concernent la scurit intrieure.

Des dispositions relatives au terrorisme existaient déjà dans le Code criminel depuis les vnements d'octobre 1970. La Loi antiterroriste va plus loin que ces statuts controverss en stipulant que la responsabilit repose non pas sur la commission des infractions (dj inscrites dans le Code criminel) mais sur la dfinition imprcise de l'activit terroriste que l'on retrouve l'article 83.01. L'ensemble de la Loi antiterroriste porte sur des crimes qui pourraient tre commis et donc sur des responsabilits potentielles en lien avec la participation, l'aide, le soutien des activits (terroristes) pouvant se produire. Inutile de le noter, la plupart des aspects jugés problématiques de la nouvelle loi sont ceux qui on trait au financement et autres formes de support du terrorisme.

2.2 Culpabilité par association

Pour Roach (2001 : 152), c'est notamment par le biais d'une nouvelle infraction de la loi, celle qui stipule que faire partie d'une organisation terroriste est un crime, que l'esprit de la loi dvelopp dans le Code criminel est susceptible d'tre le plus dtourn du sens que le lgislateur avait voulu y donner dans un premier temps. Pour cet auteur, la Loi antiterroriste s'loigne des principes directeurs du Code criminel. En effet, comme la nouvelle loi recouvre l'aspect spcifique de l'appartenance un groupe, dsormais, le risque est grand que le fait d'tre membre ou de faire partie d'une association illgale soit considr comme un crime. Pour l'heure, ce qui constitue un crime, c'est de faire partie d'une organisation criminelle. Au moment de la crise d'octobre, les lois d'exception alors mises en place avaient pour eu pour effet de criminaliser le fait de faire partie d'une organisation illgale. Par la suite, ces mesures avaient t abroges (Roach, 2001).

Dsormais, dans sa lutte contre le terrorisme, le Canada a choisi de cibler non seulement les personnes identifies comme des terroristes, mais galement tous ceux qui participent des activits qui de prs ou de loin y sont associes. Avec la Loi antiterroriste, nous pouvons remarquer que les individus coupables de participer au financement d'actes terroristes seront traits la mme enseigne que ceux qui les commettent (Roach, 2001). Le cas de M. Suresh (Manickavasagam Suresh c. Le ministre de la Citoyennet et de l'Immigration et al., CFA, 18 janvier 2000, paragraphe 43) retrace l'itinraire d'un membre suppos d'un groupe terroriste. C'est dans cette perspective qu'un jugement de la Cour fdrale, rendu par le juge J.A. Robertson, avait statu sur la culpabilit de M. Suresh, savoir que ceux qui participent des activits de financement d'activits terroristes sont aussi coupables que ceux qui commettent les actes terroristes (SCRS, 3 mai 2000. Rapport No 2000/04).

2.3 La ncessit de prouver l'intention criminelle (mens rea) n'est plus une priorit

Pour Davis (2001), la question de l'intention criminelle eu gard aux exigences de la loi ncessite un examen approfondi des diffrentes composantes requises par la loi:

The mental elements of the offence created by proposed section 83.02 are slightly different from those of the offences created buy the other two provisions dealing with financing of terrorism: section 83.02 requires the accuseds conduct to be  wilfully and without lawful justification . Section 83.02 is similar in this (and other) respects to the Financing of Terrorism Convention. The reasons for and implications of the lack of uniformity between the various financing of terrorism offences are unclear (Davis, 2001:317, note 24).

De fait, pour Machado (2001 : 105), les consquences des nouvelles infractions prvues dans la Loi antiterroriste bouleversent le paysage lgal canadien. En effet, que les actions soient  directes ou indirectes , la responsabilit criminelle de l'accus est en jeu. Incidemment, il importe de noter que les (nouvelles) exigences relatives l'intention criminelle (mens rea) se dfinissent sur la base de l'intention ou de la connaissance au pralable.

Adoptant un point de vue similaire celui de Machado (2001), l'ABC envisage la possibilit que les dispositions prvues par l'article 83.01 (2), o il est spcifi qu'une  activit terroriste est facilite que l'intress sache ou non qu'il se trouve faciliter une telle activit , sont potentiellement source d'ambiguts. En effet, pour l'ABC, la question se pose de savoir pourquoi aucune intention criminelle n'est exige. Ainsi,  comment quelqu'un peut-il faciliter une activit terroriste s'il ignore qu'il a fait ou s'est abstenu de faire quelque chose qui a facilit une telle activit?  Incidemment, les lments dont la loi fait tat sont propices inculper une organisation qui aurait fourni des contributions une autre organisation ayant des liens avec le terrorisme  mme dans l'ignorance que cette contribution ira la seconde organisation . La Loi antiterroriste aurait donc cr des infractions exigeant  a priori un critre infrieur la mens rea complte ou intention criminelle . Ce serait une situation proccupante pour l'ABC, compte tenu des peines d'emprisonnement importantes qui sont prvues.  Un organisme de bienfaisance lgitime au Canada pourrait faire l'objet d'une poursuite s'il a vers des fonds un agent lgitime l'tranger, lequel a, son insu, fourni de l'argent, des ressources ou de l'aide une organisation qui se livre une  activit terroriste   (ABC).

2.4 Des rgles de preuve qui s'loignent des exigences ayant cours au pnal

Pour Davis (2001), deux lignes d'attaques caractrisent la perspective volutive de la Loi antiterroriste du Canada. La premire a pour objectif de poursuivre ceux qui financent les activits terroristes, c'est--dire les individus et les organisations qui fournissent de l'argent ou des biens immobiliers pour soutenir le terrorisme. La deuxime ligne d'attaque porte sur la possibilit de geler, de saisir et de confisquer des biens ou une proprit qui a t ou qui pourraient tre utiliss en vue de mener terme une activit terroriste. Selon Davis (2001) cette stratgie deux volets, tout en tant simple formuler, n'en prsente pas moins une difficult majeure en ce qui concerne son application.

En effet, en ce qui concerne l'article 83.04 (b), Davis (2001) souligne que cette disposition lgale ne require pas que la Couronne fasse la preuve que des biens ont effectivement t fournis une personne en voie de faciliter ou qui est train de participer une activit terroriste. Ainsi, contrairement aux articles 83.02 et 83.03 qui font rfrence une personne qui prend possession de biens pour des intentions similaires, l'article 83.04 (b) n'exige pas que le procureur, de manire mettre en vidence que l'intention de l'inculp est bien illicite, fasse la preuve que l'accus a rellement commis un acte terroriste. Il suffit que la poursuite dmontre que l'accus a eu en sa possession des biens ce qui va l'encontre des dispositions prvoyant qu'une personne a fourni, a mis la disposition ou utilis des biens et ce, mme si l'accus possdait les biens avant que l'intention illicite soit formule. L'article 83.04 (b) en vient prsenter comme une infraction le fait d'avoir une intention proscrite par la loi au mme titre que s'il s'agissait effectivement d'un acte rellement commis. Pour Davis (2001), le danger est grand. De fait:

The concern is essentially that such an offence unduly limits individuals' freedom to form and express - but not act upon - illicit intentions. This kind of argument is typically used to justify the rule that criminal liability for an attempts cannot be imposed unless the accused has committed an overt act that goes beyond mere preparation (Davis, 2001:302).

Davis prend soin, toutefois, de souligner qu'en certaines occasions, aux termes du Code criminel, l'intention de commettre un crime suffit pour inculper le prsum auteur de cette intention (sans qu'un acte ait t commis).

2.5 Pour les entits suspectes aussi : des rgles de preuve revues la baisse

Le processus visant tablir des listes de terroristes  commence par la production de rapports de renseignements sur une entit qui rvlent qu'il existe des motifs raisonnables de croire que  cette entit se serait livre des actes terroristes conformment aux dispositions de la loi (SCRS Rapport public 2002). En effet,  une section intgrale de la Loi antiterroriste exige la publication d'une liste de groupes considrs comme une menace pour la scurit du Canada et des Canadiens (SCRS, « La lutte antiterroriste »).

Pour sa part, l'ABC estime que la rvision de la liste, galement prvue par les nouvelles dispositions, pose problme puisque les organismes de bienfaisance souponns de financer des groupes terroristes ne seraient pas autoriss consulter les renseignements sur lesquels la dcision de les inclure dans la liste est fonde. Ainsi, en cette matire aussi, la Loi antiterroriste s'loigne des principes directeurs du systme juridique canadien, tant donn que  les tribunaux seraient habilets recevoir des lments de preuve autrement irrecevables . En effet, la preuve de nature secrte n'est pas dans certains cas dvoile l'inculp, compte tenu de l'importance de cibler la scurit intrieure du pays et de ne pas risquer de dvoiler des informations qui pourraient y porter atteinte.

En fin de compte, compte tenu du flou entourant la dfinition de l'activit terroriste, l'ABC estime que les dispositions relatives la liste des entits vises par la loi sont assorties de garanties constitutionnelles insuffisantes. En effet, eu gard au cadre lgal largi que la Loi antiterroriste confre dornavant aux organes de contrle, des campagnes de financement menes par des groupes opprims pourraient faire l'objet d'une attention de la part des autorits comptentes avec pour consquence que des personnes sans intention criminelle seraient cibles.

 
 

 

 
 

3. Rvision de la Loi antiterroriste en cours

C'est en partie en lien avec la ncessit de procder une remise en question en profondeur des dispositions de la loi qu'une rvision est en cours actuellement, au terme d'une priode de trois ans suivant l'adoption de la loi. En effet, compte tenu des mesures exceptionnelles qui ont t adoptes, notamment en ce qui concerne les pouvoirs confrs aux forces de l'ordre, la loi devait, au terme d'une priode de trois ans, tre examine nouveau pour juger de la pertinence de son maintien au sein du paysage lgal canadien. En effet, les nombreux pouvoirs extraordinaires introduits par la Loi n'ont pu tre adoptes qu'avec une mesure de temporisation. Toutefois, le législateur n'est pas tenu d'adopter les changements qui lui sont proposs. L'ABC juge d'ailleurs que le mcanisme de rvision prvu par la loi est insuffisant et qu'il faudrait l'assortir d'une vritable clause de temporisation qui limite, par exemple, les pouvoirs extraordinaires dont on été dotes les forces de l'ordre. Dans ce cas la loi devrait tre dbattue à nouveau au Parlement. Cette manire de procder est plus favorable un dbat en profondeur sur tous les lments contenus dans la loi (Armstrong, 2002).

Enfin, certains observateurs estiment que l'effort des lgislateurs devrait porter sur l'importance de ne pas rvler un cart entre le texte dans une des langues officielles et dans sa traduction dans l'autre. En effet, la version franaise est particulirement dfaillante en ce qu'elle laisse place beaucoup d'ambigut (Mmoire du Barreau du Qubec, 2001).

 
 

 

 
 

Conclusion

Pour la plupart des observateurs, le dbat portant sur la Loi antiterroriste ne peut se faire sans examiner les principes mmes qui rgissent les dmocraties et la manire dont cette loi est susceptible d'intervenir au niveau des garanties constitutionnelles. Ce discours met en scène des dmocraties dont la lutte contre le terrorisme pose le dilemme de l'équilibre entre les droits et liberts fondamentaux et la sécurité nationale. En général le constat est que la sécurité a primé et que le gouvernement n'a pas suffisamment permis au public de s'exprimer sur ces questions.

Pourtant, l'usage minimal et désorganisé fait de la Loi en pratique souligne qu'en réalité le problème est plus complexe et tient beaucoup des apparences et d'un langage politique qu'Edelman (1964) qualifiait d'« exhortateur ». C'est un langage public qui fait appel à une combinaison d'éléments — annoncer des crises, appeler à la confiance, rassurer quant à la compétence du gouvernement — visant à renforcer la légitimité du pouvoir de l'État.

 
     
 
 
     
   
2002-2008, ERTA