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L'engagement des femmes dans une forme particulière du terrorisme : l'attentat suicide | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
A. L'attentat suicide : une méthode efficace | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
L'attentat
suicide constitue « un acte opérationnel
violent indifférent aux victimes civiles, dont la réussite
est largement conditionnée par la mort du ou des terroristes.
Pour comprendre la nouveauté du phénomène, il
faut exclure la référence aux Kamikazes japonais,
qui se voulaient des combattants s'attaquant à des objectifs
militaires. L'originalité du phénomène actuel
tient plutôt à l'exacerbation du comportement sacrificiel
dans des contextes de plus en plus mythifiés» (Conesa,
2004 :
14- 15). Il faut garder à l'esprit la distinction entre « martyre » et « kamikaze » afin
que ces termes soient compris comme tels dans ce qui suit. Le premier,
dont le culte est présent notamment chez les musulmans, se purifie
par sa mort de tous ses péchés, témoigne de la
croyance qu'il professe et subit l'injustice consacrée par sa
mort. Le kamikaze quant à lui ne peut plus supporter une vie
qui lui semble dépourvue de sens et sans aucun avenir. Son monde
est déserté par le divin, et la violence lui apparaît
comme seule solution pour mettre fin au non-sens de la vie et pour
venger les siens. |
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B. Aperçu sommaire des attaques suicides perpétrés par des femmes |
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C. Facteurs susceptibles d'influencer la décision de ces femmes concernant la réalisation d'un attentat suicide | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Il
est très compliqué de déterminer ce qui motive réellement une personne à commettre de tels actes. Nous savons qu'ils sous-tendent une certaine idéologie politique (nationaliste ou religieuse), qui serait d'ailleurs partagée par les femmes, mais cela n'explique certainement pas tout. D'ailleurs les motivations qui suggèrent ce type de comportement ne peuvent pas, selon moi, être généralisées. Mon objectif sera d'explorer différentes hypothèses (non exhaustives) afin d'essayer de cerner les différents contextes culturels qui pourraient influencer ces prises de décisions. Plusieurs
raisons sont invoquées pour expliquer cette violence particulière : acte politique, délire fondamentaliste, vengeance, désespoir, haine de l'ennemi ou réaction à l'oppression des femmes. Mais l'incompréhension demeure toujours. Davantage que pour les hommes.
Kurde, Palestiniennes, Tchétchènes, Tamoules, Libanaises, celles qui se transforment en bombes humaines sont jeunes, elles sont étudiantes, juristes, infirmières, enseignantes. Parfois enceintes ou mères de famille, toujours militantes, mais pas forcément versées dans le fanatisme.
Il
est intéressant de noter que si les femmes
impliquées dans des activités terroristes partagent la plupart
des inspirations masculines, certaines d'entre-elles possèdent
une motivation que les hommes ne présentent pas : quand ces femmes
deviennent des bombes humaines, leur intention, au-delà d'un pays,
d'une religion ou d'un chef, peut être de promouvoir leur genre.
Dans des Pays ou la dichotomie des rôles masculins et féminins
est importante, il s'agit d'échapper à une vie prédestinée
et conditionnée par des valeurs profondément enracinées.
Cela ajoute encore un peu plus de détermination à leurs
actes. Sri Lanka
Le 21 mai 1991, dans la ville indienne de Sriperumbudur près de Madras, Thenmuli Rajaratnam a tué le Premier Ministre Rajiv Gandhi et seize autres personnes en se faisant exploser lors des élections parlementaires. Elle était connue comme faisant partie du groupe terrorise les Tigres de Libération d'Eelam Tamoul (LTTE).
La motivation personnelle
de Rajaratnam viendrait du viol qu'elle a subit de la part des soldats
indiens envoyé par Gandhi au Sri Lanka en
1987. En effet, ces troupes ont combattu les guérilleros séparatistes
tamouls et ont harcelé la population. Un grand nombre de femmes
ont été violé par l'ennemi et par conséquent
souillées dans leur corps, leur âme et leur statut. Comme
la société tamoule est de type traditionnel et qu'elle rejette
les femmes victimes de ce genre de crime, certaines d'entre-elles ont
perçu le LTTE comme une entité leur permettant de racheté
leur dignité. Le LTTE a donc justifié la participation des
femmes en affirmant que cela contribuait à la libération
de celle-ci et contrecarrait le traditionalisme accablant du système
actuel. Turquie
Fondé en 1987 par Abdullah Ocalan (actuellement incarcéré en Turquie), le Parti des Travailleurs Kurdes (PKK) a opté pour les l'attentat suicide comme moyen de libération du peuple kurde en 1995. La plupart de ces attaques ont été perpétrées par des femmes (66%). Comme le LTTE, le PKK les implique activement depuis la création du groupe et les forme dans les mêmes conditions de violence que les hommes. Dans les années
90, la milice du groupe Kurde terroriste comptait 20 000 membres, hommes
et femmes confondus.
En résumé, au Sri Lanka ou en Turquie, ces bombardements suicides ont été généralement imposés aux membres féminins des organismes terroristes dans lesquels elles s'étaient engagées. Les Tamouls et les Kurdes partagent des dispositifs communs tels qu'une société très traditionnelle où les rôles des femmes sont déterminés et statiques. Le LTTE et le PKK ont donné à des femmes l'occasion qu'aucune autre structure ne pourrait jamais leur offrir, avec un fond féministe soutenant leur participation. Cependant, même si ces femmes étaient désireuses de prouver leur dévotion au groupe, certaines ont sans aucun doute été manipulé pour le faire. Palestine Le
phénomène des femmes palestiniennes
impliquées dans des activités terroristes est récurrent
dans l'histoire palestinienne. Il se retrouve à plusieurs niveaux,
le phénomène des femmes kamikazes étant le plus critique.
Elles se retrouvent aussi de plus en plus impliquées dans la préparation
d'attaques et dans le transport de terroristes.
Parmi
celles ci se trouvent de jeunes femmes « éclairées » ayant étudié à l'université, et des femmes indépendantes dans une société de plus en plus occidentalisée où la femme a acquis une liberté de plus en plus grande, surtout en comparaison avec d'autres sociétés du monde arabe. Ces femmes palestiniennes diffèrent de celles d'autres pays parce que la mort n'était pas dans ces cas-là le seul échappatoire à une destinée servile, et pour la plupart elles avaient un avenir plein de promesses devant elles. Leur décision
est le fruit d'un choix : celui de mourir et de tuer.
Plusieurs auteurs on suggéré qu'un des motifs qui les pousserait éventuellement à passer à l'acte serait de nature économique. En effet, les familles des martyres masculins tirent bénéfice d'une compensation financière financée par l'Irak pour les honorer, et compenser la mort d'un « héro ». Ces femmes espèrent probablement que leur famille se verront récompensée pour l'acte sacrificiel. Tchétchénie Encore peu répandu entre 1994 et 1996, l'engagement des femmes a pris une nouvelle ampleur depuis le déclenchement du second conflit russo-tchétchène. Actuellement, les femmes constituent plus de 50% des auteurs d'attaques suicides en Tchétchénie. Le pouvoir russe et les médias y voient l'action concertée de groupes terroristes associées aux réseaux Al-Qaeda, tandis que les tchétchènes pensent plutôt que ces femmes sont guidées par un désir de vengeance suscité par la violence de l'armée russe et alimentent ainsi le mythe des «veuves noires» (Le terme de « veuves noires », qui apparaît en octobre 2002, renvoie à la symbolique portée par les femmes, membres du commando de la Dubrovka : de longues robes noires et le passé traumatique vécu par plusieurs d'entre elles).
Lorsque
nous abordons l'engagement de femmes dans des groupes terroristes en
Tchétchénie, le premier événement marquant qui nous vient à l'esprit est bien sûr la prise d'otage du théâtre de la Dubrovka à Moscou en octobre 2002. Attaque surprenante non seulement de part sa cible, mais aussi par la composition du groupe qui la perpétré (22 hommes et 19 femmes). Cependant, cette tragédie ne constitue pas le premier acte terroriste posé par des femmes tchétchènes. Dès 2000, ces dernières se sont engagées aux côtés des hommes et sont devenues des acteurs centraux de la lutte menée par plusieurs groupes tchétchènes radicaux. La première attaque suicide commise par une femme en Tchétchénie est celle conduite par Hawaa Barayev contre l'armée russe le 9 juin 2000. Depuis, près de 40 femmes ont mené ou participé à des
attaques terroristes.
En effet, Si ces femmes tchétchènes sont motivées par la vengeance, le ressentiment ou le désespoir, elles répondent aussi à une demande des groupes tchétchènes radicaux engagés dans une lutte inégale avec les forces armées russes et qui se sont appropriés un répertoire d'action jusque-là inédit en Tchétchénie, dont l'utilisation a été rendue possible grâce à la radicalisation de la société tchétchène et l'héroïsation
des martyrs. |
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D. Réaction des différentes structures terroristes face à ce phénomène | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Il est possible de
diviser les organisations terroristes en deux groupes distincts : ceux
qui ont depuis le début approuvé et organisé la participation active des femmes et leurs attaques suicides, et ceux qui n'avaient nullement prévu ce phénomène
des femmes missiles et en furent les premiers surpris.
Dans ce premier groupe se trouvent les femmes membres du PKK ou du LTTE qui bénéficient du même entraînement rigoureux que leurs homologues masculins. Elles n'auraient aucun traitement de faveur et en serait d'ailleurs reconnaissantes. Leur sacrifice et leur transformation en bombe humaine sont devenus pour elles un des rares moyens d'accéder à un statut autre que celui de femme soumise et effacée. Les membres du PKK et du LTTE partagent une croyance unique chacun de leur côté (musulmane chez les Turcs, hindoue chez les Tigres tamouls), mais la religion n'est pas un dispositif important. Toutes les incitations et les justifications des attaques suicide ont été basées sur les ordres d'un chef, Abdullah Ocalan pour le PKK et Velupillai Prabhakaran pour le LTTE. Ces leaders charismatiques ont une puissance et une influence telle sur les membres du groupe qu'ils n'ont pas eu besoin du prétexte de la religion pour justifier leurs attaques. Par conséquent, lorsque ceux-ci ont permis à des femmes de participer à ces activités, non seulement celles-ci ont été très bien accueillies mais elles ont même été incitées à s'engager dans ces organisations terroristes.
Les
femmes qui viennent se greffer dans la deuxième catégorie sont celles qui se sont fait connaître dans et par le sang qu'elles ont versé lorsqu'elles ont frappé par surprise. Les palestiniennes qui se sont transformées en missiles humains ont créé la surprise générale simultanément chez les israéliens et les palestiniens. Fondamentalement, l'Islam ne s'oppose pas formellement à l'envoi de femmes pour perpétrer des attentats suicide. Cependant, les avis sont partagés concernant les motivations premières de ces femmes et l'implication éventuelle de groupes terroriste. Toutes sortes de fatwas se sont mises à circuler, justifiant ou condamnant la participation spontanée
de ces femmes au Jihad. L'Arabie Saoudite
a d'abord refusé de légitimer les bombardements suicide des femmes et de les considérer comme des martyres. Cependant, le 1er août 2001, le haut Conseil islamique d'Arabie Saoudite a publié un fatwa encourageant les femmes palestiniennes à réaliser
ces attentats. En Egypte, Al Qaradawi,
pour sa part, a refusé d'accorder le statut de martyr à ces
femmes, comme la plupart des disciples musulmans du monde arabe. |
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E. Conséquences engendrées par ce phénomène | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Un
problème important qui se pose actuellement est lié à la glorification de ces actes sacrificiels perpétrés par des femmes. Elles sont d'autant plus célébrées que leur entrée sur la scène terroriste a surpris, notamment en Palestine. Ces femmes sont à présent des modèles pour les enfants de la nouvelle génération, qui n'attendent plus que le bon moment pour suivre leurs pas. Ceci est alarmant particulièrement dans les endroits comme le Sri Lanka, la Palestine et la Tchétchénie, où les enfants représentent la moitié de
la population. Il risque d'y avoir des
problèmes dans les endroits où les enfants représentent une majorité de la population. D'ailleurs, selon un grand nombre de dirigeants, d'universitaires et de psychiatres, il y a déjà davantage de volontaires pour ces missions mortelles en Palestine qu'il n'y a de moyens matériels
et de cibles pour les employer. Un autre problème lié à cette image idéalisée de ces femmes commettant des attaques suicides est le respect qu'inspirent ces tueuses non seulement dans leur société mais aussi dans une grande partie de la communauté internationale. Même lorsque leur comportement se tourne vers cette forme extrême de violence, la société l'interprète comme le résultat d'une situation injuste et désespérée. Les médias justifient et légitime souvent ces actes criminels qui contredisent nos ancrages au sujet du sexe « faible ». Les médias dépeignent les femmes kamikazes comme des symboles du désespoir, des « combattantes de la liberté », plutôt que comme des meurtrières ou des terroristes. Ils minimisent ainsi l'impact de la violence engendrée par ces actions sur l'opinion publique. Il devient donc difficile de blâmer leur comportement. La société condamne ainsi les mesures prises à l'égard de ces femmes et désigne comme coupables les organisations terroristes et les gouvernements eux-mêmes qui contribuent largement à l'évolution de la violence. Pire encore, ces attaques perpétrées par des femmes en Palestine permettent aux groupes terroristes de généraliser le conflit : certaines femmes issues d'autres pays arabes soutiennent ces palestiniennes en devenant à leur tour des bombes humaines. Elles sont très fières des actions de leurs soeurs, interprétées comme l'émancipation de la femme arabe. La porte est ouverte à ce qui est maintenant présenté comme un combat pour la libération de la femme, et bon nombre d'entre-elles se réjouissent de cette nouvelle dimension. Le succès des attentats suicides et l'intérêt accordé à la violence terroriste encourage d'autres incidents et d'autres groupes à répéter ces attaques afin de garder l'attention du public sur les buts ou les idéologies poursuivies par ceux-ci. Mais dans d'autres pays ces actes ont engendré une certaine persécution des femmes, notamment en Tchétchénie : la télévision russe entretient la psychose des « veuves noires » en diffusant des documentaires sur les femmes kamikazes tchétchènes, décrites comme « transformées en zombies, droguées et violées jusqu'à la soumission pour commettre des crimes ». La récente vague d'attentats terroristes en Russie, attribués généralement à des veuves noires, a donné lieu en Tchétchénie à un regain de violences militaires contre les femmes. Si ces dernières ont longtemps été épargnées par les arrestations arbitraires et les enlèvements, elles sont devenues une cible privilégiée depuis la prise d'otages du théâtre de la Dubrovka à Moscou en octobre 2002. L'opération « Fatima », lancée par les forces armées russes, a d'abord touché toutes celles qui, portant le voile, étaient soupçonnées d'appartenir à la mouvance islamiste mais, actuellement, l'augmentation du nombre de disparitions va dans le sens d'une généralisation de ces pratiques au-delà de toute considération sécuritaire. |
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2002-2008, ERTA
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