L'engagement des femmes dans une forme particulière du terrorisme : l'attentat suicide  
     
  A. L'attentat suicide : une méthode efficace  
     
 

L'attentat suicide constitue « un acte opérationnel violent indifférent aux victimes civiles, dont la réussite est largement conditionnée par la mort du ou des terroristes. Pour comprendre la nouveauté du phénomène, il faut exclure la référence aux Kamikazes japonais, qui se voulaient des combattants s'attaquant à des objectifs militaires. L'originalité du phénomène actuel tient plutôt à l'exacerbation du comportement sacrificiel dans des contextes de plus en plus mythifiés» (Conesa, 2004 : 14- 15). Il faut garder à l'esprit la distinction entre « martyre » et « kamikaze » afin que ces termes soient compris comme tels dans ce qui suit. Le premier, dont le culte est présent notamment chez les musulmans, se purifie par sa mort de tous ses péchés, témoigne de la croyance qu'il professe et subit l'injustice consacrée par sa mort. Le kamikaze quant à lui ne peut plus supporter une vie qui lui semble dépourvue de sens et sans aucun avenir. Son monde est déserté par le divin, et la violence lui apparaît comme seule solution pour mettre fin au non-sens de la vie et pour venger les siens.
    
Le premier attentat suicide contemporain fut la destruction de l'ambassade d'Irak à Beyrouth en 1981. Avec l'assassinat du président libanais pro israélien Bashir Gemayel en septembre 1982, cette méthode devint une arme de stratégie politique qui eu bientôt un impact géopolitique avec le « Parti de Dieu » libanais pro-iranien (Hezbollah) et l'attentat d'octobre 1983 qui força les États-Unis et la France à abandonner la force multinationale qui maintenait l'ordre au Liban. Elle apparait également au Sri Lanka en 1987 avec les Tigres de Libération D'Eelam Tamoul (TLET). En Israël et en Palestine, le terrorisme suicide commença en 1992, et devint vers la fin de 1993 partie intégrante d'une campagne systématique avec les attaques de membres du Mouvement de la Résistance Islamique (Hamas) et du Jihad Palestinien Islamique (JPI) entraînés par le Hezbollah, ayant pour but de faire dérailler les accords de paix d'Oslo. S'ensuivit de la Turquie en 1995 avec le Parti des Travailleurs Kurdes (PKK), puis de la Tchétchénie en 2000, de la Russie en 2002 et enfin de l'Irak en 2003.
     
Les attaques suicides se sont mondialisées et visent des cibles de plus en plus disparates. La multiplication de ce type d'attentat s'explique peut-être par l'échec des autres formes de terrorisme. En effet, selon une étude de la Rand Corporation (An alternative strategy for the war on terrorism) du 11 décembre 2002, l'attaque suicide entraîne quatre fois plus de victimes que les attaques terroristes classiques et permet de frapper directement dans les endroits les plus sensibles du territoire de l'adversaire. L'attentat suicide est progressivement devenu une technique vulgarisée du terrorisme contemporain. Parce qu'il est un moyen efficace et bon marché, c'est actuellement l'action terroriste la plus répandue.
    
C'est également une forme de terrorisme difficile à combattre, tant dans les sociétés démocratiques que dans les pays où sévissent des conflits de longe durée et pour lesquels le dispositif sécuritaire devrait être plus présent. Ce type d'attentat est difficilement détectable tant qu'il n'a pas été réalisé. En effet, quoi de plus facile que d'entrer dans un centre commercial faisant mine de magasiner et soudainement déclencher l'amorce d'une bombe soigneusement dissimulée dans un sac ou sous un manteau. Prévenir ce type d'attaque demande un déploiement de moyens techniques et humains important dont les pays les plus touchés ne disposent pas.
     
L'évolution ne s'arrête pas là. En effet, actuellement nous assistons à un élargissement du champ concernant les auteurs de ce type d'attentat. Cette forme de terrorisme a finalement ouvert la porte à des femmes combattantes qui sont de plus en plus impliqués dans ce qui était par le passé une affaire majoritairement masculine. Il semble même qu'elles aient trouvé dans ce type d'action leur terrain de prédilection pour participer activement à la lutte terroriste.

 
     
 

B. Aperçu sommaire des attaques suicides perpétrés par des femmes

 
 

Date

Lieu

Nom

Données biographiques

Attentat

Cible

Réussi

21.05.91

Sriperumbudur (Sri Lanka)

Thenmuli Rajaratnam

Violée par des soldats indiens

Bombe

Rajiv Gandhi

oui

06.06.00

Alkhan-Yourt (Tchétchénie)

Khava Baraeva

Nièce du chef de guerre Arbi Baraev

Camion piégé

Militaire

oui

09.06.00

Russie

Hawaa Barayev

19 ans

Camion priégé

Militaire

oui

19.12.00

Groznyï

Mareta Doudoueva

17 ans, aurait agi sous les ordres ou la menace du chef de guerre Magomet Tsagaraev

Bombe

Politique

non

21.07.01

Tchétchénie

Sveta Tsagaroeva

Aurait agi pour venger son mari, Mahomet Tsagaraev

Camion piégé

Politique

oui

09.08.01

Jérusalem

Ahlam Tamimi

20 ans, member du Hamas

Ceinture d'explosifs

Civile

oui

29.11.01

Ourous-Martan (Tchétchénie)

Luiza Gazoueva

mari et frère tués au Daghestan

Ceinture d'explosifs

Politique

oui

27.01.02

Jérusalem

Wafa Idriss

Divorcée sans enfant, volontaire au Croissant Rouge

Bombe

Civile

oui

05.02.02

Tchétchénie

Zarema Inarkaeva

15 ans, aurait été enrôlée de force

Camion piégé

Politique

raté

27.02.02

Israel

Dareen Abu Aysheh

21 ans, étudiante, Tanzim

Ceinture d'explosifs

Militaire

oui

21.03.02

Jérusalem

Kahera Sadi
Souna Shhade

26 ans, mariée, 4 enfants, Fatah
27 ans, camps de réfugiés Kalandia

Bombe

Civile

oui

29.03.02

Jérusalem

Ayat Al Akhras

18 ans, camps de réfugiés Deheisha, Tanzim

Bombe

Civile

oui

12.04.02

Jérusalem

Andalev Takatka

21 ans, FPLP

Ceinture d'explosifs

Civile

oui

19.05.02

 

Diva Gayoussi

21 ans, FPLP

 

Civile

oui

22.05.02

Jérusalem

Arin Ahmad

20 ans, étudiante

Ceinture d'explosifs

Civile

oui

23.10.02

Moscou (Théâtre de la Dubrovka )

Aishat et Khadishat Ganieva
Assia

Zoura Bitsieva

Sekilat Alieva
Zareta Bairakova
Marina Bisoultanov
Aset Gichlourkaeva
Madina Dougaeva 24
Raiman Kourbanova
Malijha Moutaeva
Aiman et Kokou Khadjieva
Liana Khouseinova
Fatimat Chakova
Seda Elmourzaeva
Zaira Ioupaeva
Louisa Bakoueva et Esira Vitalieva

27 et 18 ans. Deux de leurs frères tués
28 ans, divorcée, enseignante dans une école de comptabilité
22 ans, divorcée, musulmane pratiquante. Témoin de mort violente
25 ans
25 ans
26 ans
19 ans
29 ans
38 ans
31 ans
28 et 26 ans
23 ans
25 ans
18 ans
24 ans
n/d

Prise d'otages

Civile

oui

27.12.02

Groznyï (Tchétchénie)

Gelani Toumriyev et Alina Toumrieva

La dernière, 14 ans, a été associée à son père

Camion priégé

Politique

oui

05.06.03

Mozdok, Ossétie de Nord

Femme non identifiée

 

Ceinture d'explosifs

Militaire

oui

20.06.03

Groznyï (Tchétchénie)

Femme non identifiée avec un homme

 

Ceinture d'explosifs

Civile

oui

05.07.03

Moscou

Zoulikhan Elikhadjieva
Zaida Alieva

19 ans, étudiante en médecine
jeune fille qui a perdu son père

Ceinture d'explosifs

Civile

oui

10.07.03

Moscou

Zarema Moujikoeva

23 ans, mariée, 1 enfant, mari mort violemment,liens avec un groupe de rebelles, supposément celui de Chamil Basaev.

Bombe dans un sac

Civile

non

27.07.03

Tsatsan Yourt (Tchétchénie)

Mariam Taskhoukhadjieva

20 ans, soeur du chef de guerre Rouslan Mangeriev tué quelques mois plus tôt

Ceinture d'explosifs

Politique

oui

24.10.03

Haifa (Israël)

Hanadi Jaradat

29 ans, célibataire, son jeune frère et un cousin sont morts, avocate

Ceinture d'explosifs

Civile

oui

09.12.03

Moscou

Khadishat Mangerieva

26 ans, femme de Rouslan Mangeriev, disparu un mois avant l'attentat

Ceinture d'explosifs

Civile

oui

14.01.04

Israël

Reem Salih al Rayasha

22 ans, mariée, 2 enfants

Bombe

Militaire

oui

25.08.04

Tula

Aminat Nagaeva
Satsita Dzherbikhanova

30 ans, frère enlevé, torturé et assasiné
37 ans, originaire du même village qu'Aminat

Bombes dans 2 avions

Civile

oui

31.08.04

Moscou

Roza Nagayeva

Sur d' Aminat Nagaeva

Bombe dans le métro

Civile

oui

01.09.04

Beslan (Ossétie du Nord)

Commando de 52 personnes dont 1 ou 2 femmes non identifiée(s)

 

Prise d'otage

Civile

oui

22.09.04

Jérusalem

Zeinab Abu Salem

18 ans, camps de réfugiés d'Askar

Bombe

Civile

oui

 
     
  C. Facteurs susceptibles d'influencer la décision de ces femmes concernant la réalisation d'un attentat suicide  
 
Il est très compliqué de déterminer ce qui motive réellement une personne à commettre de tels actes. Nous savons qu'ils sous-tendent une certaine idéologie politique (nationaliste ou religieuse), qui serait d'ailleurs partagée par les femmes, mais cela n'explique certainement pas tout. D'ailleurs les motivations qui suggèrent ce type de comportement ne peuvent pas, selon moi, être généralisées. Mon objectif sera d'explorer différentes hypothèses (non exhaustives) afin d'essayer de cerner les différents contextes culturels qui pourraient influencer ces prises de décisions. Plusieurs raisons sont invoquées pour expliquer cette violence particulière : acte politique, délire fondamentaliste, vengeance, désespoir, haine de l'ennemi ou réaction à l'oppression des femmes. Mais l'incompréhension demeure toujours. Davantage que pour les hommes.
    
Kurde, Palestiniennes, Tchétchènes, Tamoules, Libanaises, celles qui se transforment en bombes humaines sont jeunes, elles sont étudiantes, juristes, infirmières, enseignantes. Parfois enceintes ou mères de famille, toujours militantes, mais pas forcément versées dans le fanatisme.

La perte répétée d'êtres chers, la brutalité quotidienne, l'absence de perspectives de paix et de normalisation dans un conflit qui dure depuis des décennies pourraient expliquer que des femmes nées dans un environnement hostile et inhumain basculent dans une violence extrême. Ces dernières ont une capacité de résistance à l'agression nettement supérieure à celle des hommes. Elles peuvent encaisser longtemps avant de passer à l'acte, le recours à la violence est presque toujours la dernière solution. Mais une fois la limite de tolérance dépassée, la violence féminine n'est pas moins redoutable que la violence masculine. Au contraire. Dans ce domaine, les femmes agissent rarement de façon impulsive, leur geste est réfléchi, il est d'autant plus déterminé (Barde : 2004).

Il est intéressant de noter que si les femmes impliquées dans des activités terroristes partagent la plupart des inspirations masculines, certaines d'entre-elles possèdent une motivation que les hommes ne présentent pas : quand ces femmes deviennent des bombes humaines, leur intention, au-delà d'un pays, d'une religion ou d'un chef, peut être de promouvoir leur genre. Dans des Pays ou la dichotomie des rôles masculins et féminins est importante, il s'agit d'échapper à une vie prédestinée et conditionnée par des valeurs profondément enracinées. Cela ajoute encore un peu plus de détermination à leurs actes.
    
Les raisons de participation des femmes aux attaques suicides varient considérablement d'un pays à l'autre, selon les sociétés de fond et selon le vécu de chaque femme. Il est difficile de généraliser les cas, parce qu'il n'y a pas assez de recherches sur ce phénomène trop récent. Je vais donc essayer de dégager les spécificités de certaines sociétés. J'ai décidé de cibler le Sri Lanka, la Turquie , la Palestine et la Tchétchénie parce qu'ils sont, selon moi, les pays les plus touché par ce phénomène actuellement.

Sri Lanka

Logo du LTTE

Velupillai Prabhakaran, fondateur et leader du LTTE au Sri Lanka

Le 21 mai 1991, dans la ville indienne de Sriperumbudur près de Madras, Thenmuli Rajaratnam a tué le Premier Ministre Rajiv Gandhi et seize autres personnes en se faisant exploser lors des élections parlementaires. Elle était connue comme faisant partie du groupe terrorise les Tigres de Libération d'Eelam Tamoul (LTTE).

Rajiv Gandhi

La motivation personnelle de Rajaratnam viendrait du viol qu'elle a subit de la part des soldats indiens envoyé par Gandhi au Sri Lanka en 1987. En effet, ces troupes ont combattu les guérilleros séparatistes tamouls et ont harcelé la population. Un grand nombre de femmes ont été violé par l'ennemi et par conséquent souillées dans leur corps, leur âme et leur statut. Comme la société tamoule est de type traditionnel et qu'elle rejette les femmes victimes de ce genre de crime, certaines d'entre-elles ont perçu le LTTE comme une entité leur permettant de racheté leur dignité. Le LTTE a donc justifié la participation des femmes en affirmant que cela contribuait à la libération de celle-ci et contrecarrait le traditionalisme accablant du système actuel.
    
Les Tigres Tamouls détiennent le triste record d'attentats suicide commis à ce jour. Dans la guerre qui les oppose aux forces gouvernementales de Colombo depuis vingt ans, les femmes participent à un peu près 40% des activités liées à des attaques suicides du LTTE. Le nombre de combattants armés dans ce groupe est estimé entre 10 000 et 18 000 personnes, dont la moitié serait des femmes. Plusieurs combattantes sont recrutées quand elles sont des enfants, et certaines mènent à bien des missions suicides dès l'âge de 10 ans. Elles sont présentes au sein du LTTE depuis sa création. Aujourd'hui, elles constitueraient la majorité des recrues des Tigres noirs, le corps d'élite qui prépare à ce type d'action.
     
Ici, les femmes ne sont pas stigmatisées en raison de leur genre : elles sont l'équivalent des hommes lors de ces missions, et il semble même qu'il y ait une préférence pour les femmes et les jeunes garçons, en raison de leur aspect innocent. De plus, les premières peuvent plus facilement cacher un dispositif d'explosifs en dessous de leur robe.
     
Dans le cas du LTTE, donc, nous constatons que les femmes appartiennent au groupe terroriste en tant que membres et sont formées et préparées de la même façon que les hommes. Les motivations intrinsèques qui pousseraient ces femmes à s'engager dans ce type d'actions relèveraient plus de la vengeance et d'un espoir de restaurer une certaine dignité. Un viol par les soldats d'occupation déclenche parfois la décision de la jeune femme, doublement déshonorée par l'occupant et par rapport à sa société.

Turquie

supporters d'Abdullah Ocalan

Fondé en 1987 par Abdullah Ocalan (actuellement incarcéré en Turquie), le Parti des Travailleurs Kurdes (PKK) a opté pour les l'attentat suicide comme moyen de libération du peuple kurde en 1995. La plupart de ces attaques ont été perpétrées par des femmes (66%). Comme le LTTE, le PKK les implique activement depuis la création du groupe et les forme dans les mêmes conditions de violence que les hommes. Dans les années 90, la milice du groupe Kurde terroriste comptait 20 000 membres, hommes et femmes confondus.
    
La société Kurde est traditionnellement décrite comme féodale et tribale. L'organisation terroriste était la seule structure offrant à des femmes un choix autre que le traditionnel rôle de l'épouse et de la mère. Le groupe leur a donné l'occasion d'améliorer leur statut. Dans cette organisation, elles ne sont plus définies en tant que subalterne d'un homme, ni comme épouses ou mères. Pour la première fois il leur est offert d'être productives (ou destructive) en devenant active sur le terrain et en conduisant des attaques suicides. Quand elles sont devenues membres de l'organisation, celle-ci leur a fourni un nouveau style de vie.

Dans la société kurde traditionnelle, imprégnée des structures féodales, les femmes étaient des citoyens de deuxième classe. Mais avec le mouvement kurde, en particulier avec le PKK, est apparue l'idée que si nous voulions un Kurdistan libre, il fallait que les femmes soient libres elles aussi. Depuis le début du mouvement, les femmes ont participé en prenant part à la lutte armée, à la lutte politique et diplomatique, elles sont journalistes, députées, écrivaines, elles sont présentes dans la direction du PKK et de l'armée, où elles se sont organisées séparément des hommes. Notre combat est aussi un combat pour la transformation sociale, et la question des femmes est fondamentale. Tout le mouvement est convaincu qu'on ne peut parvenir à une libération du Kurdistan sans libérer la moitié de sa population (Mizgin Sen, porte-parole du PKK, dans une interview en 1999).

En résumé, au Sri Lanka ou en Turquie, ces bombardements suicides ont été généralement imposés aux membres féminins des organismes terroristes dans lesquels elles s'étaient engagées. Les Tamouls et les Kurdes partagent des dispositifs communs tels qu'une société très traditionnelle où les rôles des femmes sont déterminés et statiques. Le LTTE et le PKK ont donné à des femmes l'occasion qu'aucune autre structure ne pourrait jamais leur offrir, avec un fond féministe soutenant leur participation. Cependant, même si ces femmes étaient désireuses de prouver leur dévotion au groupe, certaines ont sans aucun doute été manipulé pour le faire.

Palestine

Le phénomène des femmes palestiniennes impliquées dans des activités terroristes est récurrent dans l'histoire palestinienne. Il se retrouve à plusieurs niveaux, le phénomène des femmes kamikazes étant le plus critique. Elles se retrouvent aussi de plus en plus impliquées dans la préparation d'attaques et dans le transport de terroristes.
    
Parmi les plus célèbres d'entre elles, Leila Khaled, du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) impliquée dans des détournements d'avions en 1970 et 1977, Randa Naboulsi, condamnée en 1969 à dix ans de prison pour avoir placé une bombe dans un supermarché d'Al-Qods, ou encore Atef Eleyan, activiste du Jihad Islamique qui prévoyait de perpétrer un attentat-suicide à l'aide d'une voiture piégée à Jérusalem en 1987.
     
Le phénomène plus spécifique des attaques suicides perpétrés par des femmes en Palestine est né quant à lui avec la seconde Intifada. En effet, le 27 janvier 2002, Wafa Idriss a été tuée dans le centre d'Al-Qods-ouest à Jérusalem par l'explosion d'une bombe qu'elle transportait dans un sac. Les Palestiniens l'avaient présentée comme un kamikaze mais la police israélienne avait estimé qu'elle projetait uniquement de déposer l'engin explosif quelque part dans la ville. La première femme kamikaze avérée, Dareen Abu Aysheh, s'est fait explosée à un barrage militaire israélien en Cisjordanie le 27 février 2002, blessant trois policiers israéliens. Ces exemples ont ensuite rapidement été imités par d'autres : durant les six mois qui suivirent l'attentat de Wafa Idriss, les femmes ont participé de plus en plus au conflit Israelo-Palestinien et ont représenté un cinquième des auteurs d'attaques suicides.

Wafa Idriss Dareen Abu Aysheh

Parmi celles ci se trouvent de jeunes femmes « éclairées » ayant étudié à l'université, et des femmes indépendantes dans une société de plus en plus occidentalisée où la femme a acquis une liberté de plus en plus grande, surtout en comparaison avec d'autres sociétés du monde arabe. Ces femmes palestiniennes diffèrent de celles d'autres pays parce que la mort n'était pas dans ces cas-là le seul échappatoire à une destinée servile, et pour la plupart elles avaient un avenir plein de promesses devant elles. Leur décision est le fruit d'un choix : celui de mourir et de tuer.
    
Elles représentent un nouveau modèle d'attaquants suicides, car elles sont les seules à s'être offertes pour de telles missions. Les femmes qui ont commis des bombardements suicides l'on fait de façon indépendante et ont exprimé leur volonté de les conduire; autrement dit, ces femmes ont émis le souhait de devenir des « martyres ». Il semble que les femmes palestiniennes en général ont plus de droits pour choisir leur action politique, tel que le bombardement suicide.
     
Pourtant, elles ne sont ni formées ni préparées, d'une part parce qu'elles ne sont pas les bienvenues dans les groupes terroristes qui refusent de les engager en tant que membres, et d'autre part parce ces femmes sont déjà largement influencées par la propagande anti-Israélienne et l'atmosphère violente et pleine de haine qui règne dans les zones de contrôle palestiniennes.
     
Les médias décrivent généralement ces martyrs comme ayant vécu une tragédie ou un événement traumatique qui les inciterait à voir dans le sacrifice la seule issue à leur mal surtout dans les situations où l'opprobre est présent. Depuis la création de l'État d'Israël, en 1948, et l'expulsion des Palestiniens qui en est résultée, un profond sentiment de honte s'est installé dans le cur des Arabes. Dans cette culture, ce sentiment est perçu comme terrible et fait que la vie ne mérite plus d'être vécue. Le plus difficile, dans de telles situations, devient finalement de ne pas devenir un martyr. Ce constat n'épargne plus les femmes et les enfants. Ces première, humiliées, n'ont plus d'autres choix que de mourir pour réparer le mal dont elles ont été victime. Ainsi, Wafa Idriss, répudiée par son mari pour cause de stérilité, n'a trouvé comme moyen pour laver l'infamie que le sacrifice suprême apte à renverser l'ordre social. La seule manière de redevenir une citoyenne respectable était de mourir.
     
Cependant, ceci n'est pas leur seule motivation. Des épouses et des mères finissent également par adopter ces comportements criminels : en janvier 2004, Reem Salih al Rayasha, 22 ans, a laissé à la maison sa fille de 18 mois et son fils de trois ans pour aller se faire exploser au point de passage d'Erez, entre Israël et la Bande de Gaza, tuant quatre militaires israéliens. Il fut dit qu'elle était accusée d'avoir trompé son mari membre du Hamas, mais ces affirmations ne s'appuient sur aucune certitude et son profil ne correspond pas à celui de la plupart des femmes terroristes qui ont perpétré des attentats dans le passé. L'humiliation ou le rejet de la société ne sont donc peut-être pas les seules causes.

Reem Salih al Rayasha

Plusieurs auteurs on suggéré qu'un des motifs qui les pousserait éventuellement à passer à l'acte serait de nature économique. En effet, les familles des martyres masculins tirent bénéfice d'une compensation financière financée par l'Irak pour les honorer, et compenser la mort d'un « héro ». Ces femmes espèrent probablement que leur famille se verront récompensée pour l'acte sacrificiel.

Tchétchénie

Encore peu répandu entre 1994 et 1996, l'engagement des femmes a pris une nouvelle ampleur depuis le déclenchement du second conflit russo-tchétchène. Actuellement, les femmes constituent plus de 50% des auteurs d'attaques suicides en Tchétchénie. Le pouvoir russe et les médias y voient l'action concertée de groupes terroristes associées aux réseaux Al-Qaeda, tandis que les tchétchènes pensent plutôt que ces femmes sont guidées par un désir de vengeance suscité par la violence de l'armée russe et alimentent ainsi le mythe des «veuves noires» (Le terme de « veuves noires », qui apparaît en octobre 2002, renvoie à la symbolique portée par les femmes, membres du commando de la Dubrovka : de longues robes noires et le passé traumatique vécu par plusieurs d'entre elles).

Femmes engagées dans des groupes terroristes tchétchènes Camion piégé, mode opératoire priviliégié des terroristes tchétchènes

Lorsque nous abordons l'engagement de femmes dans des groupes terroristes en Tchétchénie, le premier événement marquant qui nous vient à l'esprit est bien sûr la prise d'otage du théâtre de la Dubrovka à Moscou en octobre 2002. Attaque surprenante non seulement de part sa cible, mais aussi par la composition du groupe qui la perpétré (22 hommes et 19 femmes). Cependant, cette tragédie ne constitue pas le premier acte terroriste posé par des femmes tchétchènes. Dès 2000, ces dernières se sont engagées aux côtés des hommes et sont devenues des acteurs centraux de la lutte menée par plusieurs groupes tchétchènes radicaux. La première attaque suicide commise par une femme en Tchétchénie est celle conduite par Hawaa Barayev contre l'armée russe le 9 juin 2000. Depuis, près de 40 femmes ont mené ou participé à des attaques terroristes.
    
Dans ce type d'organisation terroriste, la participation des femmes est exigée, mais principalement en adhérant aux rôles traditionnels d'infirmière, de cuisinière, de soutien logistique et moral, etc.
     
Le caractère particulièrement violent de la guerre en Tchétchénie peut sans aucun doute servir d'élément déclencheur de l'engagement. La vengeance tient même une place particulière dans la société tchétchène, dont les codes culturels intègrent la vendetta, pratique encore très répandue. Ainsi, une semaine avant son passage à l'acte, Shakhidat Baimouradova se faisait enlever son dernier fils alors qu'elle avait déjà perdu son mari et son premier fils auparavant. Akhmad Kadyrov s'est engagée en tant que martyr suite au non aboutissement de ses efforts pour faire libérer son fils. L'attentat de Luiza Gazoueva a, quant à lui, directement visé le commandant de l'armée russe responsable de la mort de son mari et de son frère. Il existe d'ailleurs une corrélation évidente entre les méthodes employées par les forces armées russes et le nombre d'actions kamikazes. « L'augmentation du nombre d'actes terroristes tout au long de l'année 2002 et 2003 correspond à l'accroissement de la répression » (Larzillière, 2003 : 161 ; Reuter, 2004 : 4).
    
En exécutant un acte de vengeance, en exprimant par les armes et la mort leurs ressentiments et leur haine, les femmes s'identifient aux hommes. Elles dépassent l'identité culturelle qui leur est traditionnellement associée et soutiennent l'illusion d'une unité nationale défendue par les groupes tchétchènes indépendantistes. Les mécanismes de repli sur soi induits par l'humiliation et le ressentiment peuvent, dès lors, provoquer l'engagement.
     
Cependant, si le désir de vengeance, le ressentiment, la haine ou le désespoir ne peuvent être ignorés, ils n'expliquent pas à eux seuls les causes profondes d'un engagement qui conduit à une mort volontaire. Plusieurs facteurs suggèrent une certaine organisation et une certaine planification. Il en est ainsi des cibles choisies qui sont militaires avant d'être politiques ou civiles, de même que les moyens mis en uvre tels les camions béliers piégés et les bombes placées dans des sacs ou au niveau de la ceinture. Il s'agit aussi de mises en scène, comme en témoignent ces femmes voilées portant de longues robes noires et récitant des sourates du coran dans des rituels pré-attaque structurés. La dimension organisationnelle est donc très présente, même si elle s'avère difficile à disséquer.
     
Autres caractéristiques du terrorisme tchétchène : il n'y a pas a priori de phase d'endoctrinement et de conditionnement avant les attentats suicides et, contrairement à la Palestine, l'action terroriste n'est pas rétribuée; les proches des kamikazes ne se voient pas remettre une somme d'argent après la mort d'un fils ou d'une fille. Bien au contraire, si les femmes martyres sont élevées au statut d'héroïnes de la résistance, leurs familles ont tendance à choisir la discrétion, fuyant les interrogatoires des services russes et d'éventuelles représailles.

Il faut s'interroger sur l'engagement extrême des femmes dans le second conflit russo-tchétchène. Ce phénomène est communément interprété comme une manifestation du désespoir qui les saisirait et les inciterait à passer à l'acte. Les médias russes et occidentaux ont largement participé à la diffusion de ce mythe, intériorisé depuis par les Tchétchènes eux-mêmes. Si le ressentiment et le désespoir suite à la mort violente d'un proche ou à une détention dans les prisons russes constituent une motivation individuelle forte, l'attentat suicide est le produit de stratégies mises en place par les groupes tchétchènes ayant versé dans l'intégrisme islamiste (Reuter, 2004 : 17 ).

En effet, Si ces femmes tchétchènes sont motivées par la vengeance, le ressentiment ou le désespoir, elles répondent aussi à une demande des groupes tchétchènes radicaux engagés dans une lutte inégale avec les forces armées russes et qui se sont appropriés un répertoire d'action jusque-là inédit en Tchétchénie, dont l'utilisation a été rendue possible grâce à la radicalisation de la société tchétchène et l'héroïsation des martyrs.
     
Une autre piste peu explorée est celle des enlèvements de filles tchétchènes organisés par ces groupes islamistes radicaux, qui obligeraient ensuite ces dernières à commettre ces attentats suicides. L'histoire de Zarema Inarkaeva relèverait de ce cas de figure. Arrêtée le 5 février 2002, elle devait faire exploser une bombe transportée dans son sac devant un bâtiment de la police à Grozny. Elle affirme ne pas avoir choisi cette mission, mais avoir été enlevée, droguée, abusée, et forcée à passer à l'acte. D'autres parlent de femmes mercenaires monnayant des services rendus qui ne seraient d'ailleurs même pas musulmanes. Ce type de récit selon moi, reste peu crédible, il s'agit de rester prudent.

 
     
  D. Réaction des différentes structures terroristes face à ce phénomène  
 
Il est possible de diviser les organisations terroristes en deux groupes distincts : ceux qui ont depuis le début approuvé et organisé la participation active des femmes et leurs attaques suicides, et ceux qui n'avaient nullement prévu ce phénomène des femmes missiles et en furent les premiers surpris.
    
Dans ce premier groupe se trouvent les femmes membres du PKK ou du LTTE qui bénéficient du même entraînement rigoureux que leurs homologues masculins. Elles n'auraient aucun traitement de faveur et en serait d'ailleurs reconnaissantes. Leur sacrifice et leur transformation en bombe humaine sont devenus pour elles un des rares moyens d'accéder à un statut autre que celui de femme soumise et effacée.
    
Les membres du PKK et du LTTE partagent une croyance unique chacun de leur côté (musulmane chez les Turcs, hindoue chez les Tigres tamouls), mais la religion n'est pas un dispositif important. Toutes les incitations et les justifications des attaques suicide ont été basées sur les ordres d'un chef, Abdullah Ocalan pour le PKK et Velupillai Prabhakaran pour le LTTE. Ces leaders charismatiques ont une puissance et une influence telle sur les membres du groupe qu'ils n'ont pas eu besoin du prétexte de la religion pour justifier leurs attaques. Par conséquent, lorsque ceux-ci ont permis à des femmes de participer à ces activités, non seulement celles-ci ont été très bien accueillies mais elles ont même été incitées à s'engager dans ces organisations terroristes.
Velupillai Prabhakaran Abdullah Ocalan

Les femmes qui viennent se greffer dans la deuxième catégorie sont celles qui se sont fait connaître dans et par le sang qu'elles ont versé lorsqu'elles ont frappé par surprise. Les palestiniennes qui se sont transformées en missiles humains ont créé la surprise générale simultanément chez les israéliens et les palestiniens. Fondamentalement, l'Islam ne s'oppose pas formellement à l'envoi de femmes pour perpétrer des attentats suicide. Cependant, les avis sont partagés concernant les motivations premières de ces femmes et l'implication éventuelle de groupes terroriste. Toutes sortes de fatwas se sont mises à circuler, justifiant ou condamnant la participation spontanée de ces femmes au Jihad. L'Arabie Saoudite a d'abord refusé de légitimer les bombardements suicide des femmes et de les considérer comme des martyres. Cependant, le 1er août 2001, le haut Conseil islamique d'Arabie Saoudite a publié un fatwa encourageant les femmes palestiniennes à réaliser ces attentats. En Egypte, Al Qaradawi, pour sa part, a refusé d'accorder le statut de martyr à ces femmes, comme la plupart des disciples musulmans du monde arabe.
    
Le chef spirituel du Hamas fondamentaliste, cheik Yassin a déclaré le 31 janvier 2002 à Al-Awsat d'Al-Sharq au sujet des attaques suicide perpétrés par des femmes qu'il leur permettrait seulement de les conduire si elles étaient surveillées par un homme. Dans un deuxième rapport, datant du 2 février 2002, Yassin a par la suite approuvé ces attentats. Cependant, aucune des attaques suicides conduites par des femmes n'a été organisée ni revendiquée par son organisation terroriste. Même si, dans la théorie, le Hamas et les brigades des martyres d'Al Aqsa soutiennent les attaques suicides des femmes, dans la pratique, la participation de ces dernières au sein de ces organisations est relative : aucune femme à ce jour n'a été rapportée en tant que membre de ces groupes. Il semble aussi que ces organisations veuillent mettre des limites à ce phénomène : les femmes mariées avec enfants seront a priori épargnées, à moins qu'un mari ou un membre de la famille n'aille crier à l'adultère, faisant tomber la honte et l'injure sur l'une d'elle et signant son arrêt de mort...
     
Concernant l'organisation al Qaïda, aucune information ne laisse supposer qu'elle engage des membres féminins pour perpétrer ses attentats suicides. Cependant, elle a publié sur Internet un magazine destiné aux femmes, avec quelques bons « tuyaux » pour se préparer à devenir une femme martyre. Ce mensuel en ligne, en arabe, est relayé par plusieurs sites islamistes sur la toile, s'appelle Al-Khansa et contient des textes sur les martyres et la Guerre Sainte.
     
Les rebelles tchétchènes sont également peu disposés à donner le plein statut d'adhésion aux femmes. Les attaques suicides perpétrées par celles-ci en Tchétchénie et en Israël ont surpris non seulement les victimes, mais aussi les terroristes.
     
Le Fatah Tanzim, le plus laïque de tous les groupes terroristes sévissant en Israël, a revendiqué la majorité des attentats féminins. Ces terroristes sont les premiers à avoir permis aux femmes de participer aux activités terroristes, et à leur accorder le droit de mourir pour la cause.
     
Si les mouvements islamistes ne sont pas impliqués directement dans ce phénomène et qu'ils n'ont pas nécessairement prévu l'incursion des femmes dans cette lutte, ils l'encouragent effectivement. C'est notamment Yasser Arafat qui a, le premier, féminisé le terme de « shahide » (shahida) dans un discours aux femmes palestiniennes de Ramallah, quelques heures avant l'attentat suicide de Wafa Idriss. Saddam Hussein a même déclaré son intention d'ériger un monument commémoratif pour Wafa Idriss. Et, au lendemain du premier bombardement féminin, les fonctionnaires du Fatah ont énoncé leur intention de créer une unité de femmes spécialisées dans les attaques suicides au nom de Wafa Idriss.
     
De nombreuses raisons pratiques poussent les organismes terroristes à confier des missions d'infiltration et d'attaque à des femmes. D'abord, les femmes généralement représentées comme douces, dociles et non-violentes sont moins susceptibles d'être soupçonnées par la sécurité des forces de l'opposition que les hommes. De plus, certaines d'entre-elles arrivent très belles, parfois maquillées et habillées à l'occidental, ce qui complique d'autant plus le travail des soldats. Ensuite, dans les sociétés conservatrices du Moyen-Orient et d'Asie du Sud, on hésite à fouiller une femme au corps. Surtout dans ces régions du monde où le tabou de la mixité complique singulièrement les procédures de contrôle et de fouille les concernant. Enfin, les femmes peuvent dissimuler un engin explosif sous leurs vêtements et faire comme si elles étaient enceintes. Les femmes auraient donc de meilleures chances de succès dans ce genre d'attaque en vertu des stéréotypes dont elles font l'objet dans ces sociétés.

 
     
  E.  Conséquences engendrées par ce phénomène  
 
Un problème important qui se pose actuellement est lié à la glorification de ces actes sacrificiels perpétrés par des femmes. Elles sont d'autant plus célébrées que leur entrée sur la scène terroriste a surpris, notamment en Palestine. Ces femmes sont à présent des modèles pour les enfants de la nouvelle génération, qui n'attendent plus que le bon moment pour suivre leurs pas. Ceci est alarmant particulièrement dans les endroits comme le Sri Lanka, la Palestine et la Tchétchénie, où les enfants représentent la moitié de la population. Il risque d'y avoir des problèmes dans les endroits où les enfants représentent une majorité de la population. D'ailleurs, selon un grand nombre de dirigeants, d'universitaires et de psychiatres, il y a déjà davantage de volontaires pour ces missions mortelles en Palestine qu'il n'y a de moyens matériels et de cibles pour les employer.
    
Un autre problème lié à cette image idéalisée de ces femmes commettant des attaques suicides est le respect qu'inspirent ces tueuses non seulement dans leur société mais aussi dans une grande partie de la communauté internationale. Même lorsque leur comportement se tourne vers cette forme extrême de violence, la société l'interprète comme le résultat d'une situation injuste et désespérée. Les médias justifient et légitime souvent ces actes criminels qui contredisent nos ancrages au sujet du sexe « faible ». Les médias dépeignent les femmes kamikazes comme des symboles du désespoir, des « combattantes de la liberté », plutôt que comme des meurtrières ou des terroristes. Ils minimisent ainsi l'impact de la violence engendrée par ces actions sur l'opinion publique. Il devient donc difficile de blâmer leur comportement. La société condamne ainsi les mesures prises à l'égard de ces femmes et désigne comme coupables les organisations terroristes et les gouvernements eux-mêmes qui contribuent largement à l'évolution de la violence. Pire encore, ces attaques perpétrées par des femmes en Palestine permettent aux groupes terroristes de généraliser le conflit : certaines femmes issues d'autres pays arabes soutiennent ces palestiniennes en devenant à leur tour des bombes humaines. Elles sont très fières des actions de leurs soeurs, interprétées comme l'émancipation de la femme arabe. La porte est ouverte à ce qui est maintenant présenté comme un combat pour la libération de la femme, et bon nombre d'entre-elles se réjouissent de cette nouvelle dimension.
    
Le succès des attentats suicides et l'intérêt accordé à la violence terroriste encourage d'autres incidents et d'autres groupes à répéter ces attaques afin de garder l'attention du public sur les buts ou les idéologies poursuivies par ceux-ci.
    
Mais dans d'autres pays ces actes ont engendré une certaine persécution des femmes, notamment en Tchétchénie : la télévision russe entretient la psychose des « veuves noires » en diffusant des documentaires sur les femmes kamikazes tchétchènes, décrites comme « transformées en zombies, droguées et violées jusqu'à la soumission pour commettre des crimes ». La récente vague d'attentats terroristes en Russie, attribués généralement à des veuves noires, a donné lieu en Tchétchénie à un regain de violences militaires contre les femmes. Si ces dernières ont longtemps été épargnées par les arrestations arbitraires et les enlèvements, elles sont devenues une cible privilégiée depuis la prise d'otages du théâtre de la Dubrovka à Moscou en octobre 2002. L'opération « Fatima », lancée par les forces armées russes, a d'abord touché toutes celles qui, portant le voile, étaient soupçonnées d'appartenir à la mouvance islamiste mais, actuellement, l'augmentation du nombre de disparitions va dans le sens d'une généralisation de ces pratiques au-delà de toute considération sécuritaire.
 
     
     
   
2002-2008, ERTA