Les Doukhobors - « Lutteurs de l'esprit »  
     
 

L’action des forces de police et gouvernementales

Le gouvernement provincial se montra très ferme à certains moments face aux agissements des Sons of Freedom. Il accentua la répression tout en essayant d’intégrer de force les jeunes Doukhobors à la société canadienne (McLarren, 1999). Les autorités provinciales adoptèrent ainsi un train de mesures destinées à renforcer la répression. En 1931, le Code Criminel fut amendé pour faire des parades de nudité des infractions passibles de 3 ans d’emprisonnement. La peine prévue jusque là était de 6 mois. L’aggravation de cette peine ne sembla pas cependant modérer les ardeurs des Sons of Freedom et, en 1932, 745 hommes, femmes et enfants furent arrêtés aux termes de parades de nudité (Torrance, 1986 ; Yerbury et Griffiths, 1991). L’emprisonnement de masse d’hommes, de femmes et d’enfants fut facilité (Torrance, 1986). Les autorités tentèrent également de faire déporter le leader des Doukhobors hors de la province. Enfin, les enfants des Sons of Freedom furent contraints de quitter leurs parents et ils furent placés dans des internats. Cependant cette répression sembla seulement rendre plus dure et active la résistance des Sons of Freedom (Torrance, 1986). Ce qui ne saurait surprendre dans la mesure où les Sons of Freedom se voyaient là confirmés dans leur statut de martyrs et de seuls défenseurs de leur cause.

Dans les années 50, l’administration sembla cependant adopter une attitude plus souple et une conciliation fut tentée tandis que, dans le même temps, des efforts furent également déployés pour tenter de réconcilier les différentes factions au sein de la communauté. Cette action ne sembla pas cependant entraîner des résultats tangibles immédiats. Mais Hoffman (1999, p.158) constate à propos des terroristes dit religieux que « Les concessions politiques, les compensations financières, les amnisties et autres avantages personnels, qui ont souvent été employés avec succès à l’égard des terroristes laïcs, ne manqueraient pas seulement d’efficacité, mais seraient tout simplement inappropriés à la vision du monde fondamentalement extérieure, et inapplicables aux exigences souvent extrêmes, et ne souffrant pas la moindre compromission, des terroristes religieux. » L’initiative du gouvernement provincial a pu cependant influencer les autres Doukhobors, leur permettre de mieux s’intégrer dans la société et saper une partie de l’influence que les Sons of Freedom pouvaient avoir sur les plus indécis.

En outre, ajoutée à cette nouvelle attitude du gouvernement provincial, Torrance (1986) estime que l’action de la police peut être regardée comme un succès. La GRC fut en première ligne contre les actions et les débordements des Sons of Freedom. Les effectifs déployés à cette fin se révélèrent à certains moments très importants. Ainsi, en 1962, 200 des 700 membres de la GRC sous contrat avec le gouvernement de la Colombie Britannique furent concentrés dans le district de Kootenay (Holt, 1964).

La GRC avait la responsabilité de s’occuper des nouveaux immigrants qui arrivaient et elle dut remplir des fonctions supplémentaires au simple maintien de l’ordre et la paix. Ses membres « jouèrent le rôle d’agents de l’immigration, d’agents des terres, d’experts en agriculture et d’agents d’aide sociale. » Ce fut avec les Doukhobors qu’elle rencontra les plus grandes difficultés, notamment dans la prévention et la lutte contre les incendies. On peut lire sur le site de la GRC : « La prévention et la lutte contre les incendies étaient alors deux tâches les plus difficiles et les plus dangereuses. On encourageait les colons à creuser des tranchées pare-feu autour des propriétés et à prendre d’autres précautions. Ces derniers ne prêtaient pas souvent attention à ce conseil, ce qui entraîna des pertes de vie tragiques ». Mais la GRC « réussit néanmoins à conserver le contrôle » (Histoire de la GRC).

Kellet (1995) émet cependant un avis contraire à celui de Torrance (1986) et estime que les autorités rencontrèrent peu de succès dans la découverte et la poursuite des Sons of Freedom impliquées dans des actes de violence. Il est certain également que le mode d’organisation et le style de vie des Sons of Freedom, qui se montraient plutôt fermés aux non Doukhobors et qui vivaient dans des communautés isolées du district de Kootenay, rendait difficile l’obtention de renseignements. Par ailleurs, un certain nombre de leurs actions se faisaient sous l’impulsion du moment, ce qui rendait la prévention délicate. Hoffman relève (1999, p.157) que la menace que représente ce type de groupe religieux, dont certains mouvements millénaristes et sectes, est beaucoup plus difficile à identifier. « Ces entités éthérées et vagues n’ont généralement pas « l’empreinte » ni le modus operandi d’une organisation terroriste qui existe réellement : l’établissement d’un portrait précis par les services de renseignement, les forces de l’ordre ou les spécialistes de la sécurité est difficile. On ne peut donc se faire une idée certaine de leurs intentions et de leurs moyens, encore moins de la violence dont ils sont capables, avant qu’ils ne l’aient déchaînée. » Une grande activité de renseignement est nécessaire pour suppléer à ces difficultés.

Le nombre d’incidents commis par des Sons of Freedom chuta cependant brusquement après 1962. Mais les forces de police furent aidées dans leur action par un élément extérieur et imprévu. En 1962, un Son of Freedom confessa soudainement sa participation à de nombreux incendies et attaques à la bombe. Cette première confession provoqua des confessions de masse d’autres membres groupes, ce qui conduisit à l’arrestation de 126 Sons of Freedom. Ceux-ci indiquèrent qu’ils s’étaient confessés pour se conformer à une prophétie qui prévoyait que la seule voie à suivre pour que les Doukhobors puissent terminer leur migration passait par la prison et l’exil (Woodcok et Avakumociv, 1968, p.351 ; Holt, 1964, p.7). Certains Sons of Freedom furent cependant acquittés en raison du retrait de leurs confessions.

Le nombre de Doukhobors emprisonnés, détenus pour différents types de crimes, ne cessant de croître, une nouvelle prison fut construite, la Stony Mountain Prison, à Agassiz, près de Vancouver. Cette nouvelle prison devint rapidement le point de ralliement des Sons of Freedom contestataires. À la fin de l’été 1962, une marche fut organisée par ces derniers et les membres des communautés isolées de Kootenay, de Krestova et Brillant se rendirent à Agassiz. Conduits par des femmes, 1 400 Sons of Freedom traversèrent les montagnes et s’installèrent autour de la prison. Cette longue marche les amena à côtoyer de nombreuses communautés non Doukhobors.

Selon Woodcok et Avakumovic (1968, p.332), ce contact avec le monde extérieur, nouveau pour beaucoup de Sons of Freedom, privés en outre de leurs leaders, entraîna une « assimilation extraordinairement rapide » de leur part à la société canadienne. Les auteurs prédirent ainsi la « fin d’une ère de violence » des Sons of Freedom (p. 332).

Les raisons de la chute des activités terroristes des Sons of Freedom après cette période demeurent sujettes à discussion parmi les auteurs. Kellet (1995) se demande ainsi si c’est effectivement ce contact avec le monde extérieur qui est à l’origine de la baisse d’activité des Sons of Freedom ou tout simplement le fait que la majorité des fabriquants et porteurs des bombes artisanales étaient incarcérés. Il est difficile de trancher au vu des maigres sources disponibles (sur les auteurs de violence notamment) depuis 1980 mais on peut supposer que la conjonction de ces deux éléments a joué un rôle dans la diminution des attaques des Freedomites.

Kellet (1995) constate également que le nombre d’incidents n’a pas totalement disparu après cette période de haute activité. Il y eut certes un large déclin de la violence des Sons of Freedom, qui connut son apogée en 1961 avec 52 incidents terroristes répertoriés. De 1963 à 1979, le nombre d’actes de violence chuta à 13 mais, de 1980 à 1986, il y eut encore 23 attaques commises par des Sons of Freedom (Kellett, 1995). Parmi les actes commis en 1970, on peut relever l’incendie de la maison de John J. Verigin, à Grand Forks, et la destruction du Krestova Commununity Hall.

Nos données révèlent que de 1973 à 2003, il y eut 44 incidents commis par les Sons of Freedom dont près de la moitié (20) étaient constitués d’attentats à la bombe, ce qui montre encore une activité assez importante des Sons of Freedom et la capacité de pouvoir confectionner des engins explosifs. Les tactiques utilisées et les cibles sélectionnées lors de la plus récente série d’événements sont identiques à celles que l’on trouve dans les campagnes ultérieures des Sons of Freedom (Ross, 1988 ; Kellet, 1995 ; nos propres données, troisième partie).

Woodcock et Avakumovic (1977, p.355) avaient eux-mêmes constaté qu’en dépit de l’assimilation rapide des Sons of Freedom à partir de cette période et de l’installation d’une paix relative, certains membres demeuraient irréductibles, notamment des femmes, des membres âgés de plus de 50 ans et ayant reçu une maigre formation scolaire :

« The activitists have been reduced to a very small core of a score of individuals whose names tend to recur whenever Sons of Freedom protests are reported. As was the tendency during the early 1960s, the women tend to be a more militant than the men and the activists, whichever their sex, are likely to be aged 50 or over, to have little formal eduction and to be materially deprived. They are, in other words, the minuscule remnant of Doukohobors, who have not in some way been distracted from their millenial visions by the temptations of the Canadian world. » (xii – xiii).

Le peu de sources disponibles sur les auteurs d’actes violents commis par les Sons of Freedom après 1973 ne nous permet pas de confirmer totalement cette affirmation. On constate cependant que dans un certain nombre d’incidents commis dans les années 80 et ultérieurement (voir troisième partie), des femmes furent souvent impliquées et condamnées. En outre, il se peut que certains Sons of Freedom, emprisonnés en 1962, aient recommencé leurs violences après leur libération. Notre recension montre également que dans plusieurs cas, les mêmes personnes furent impliquées dans différentes actions violentes. Il peut donc s’agir d’un même petit nombre composé d’irréductibles éléments, qui ont continué d’agir, insensibles aux attraits de la vie moderne et refusant l’assimilation.

L’étude d’un cas plus développé, celui de Mary Braun (doc. 44 ; troisième partie), qui mit le feu, en 2001, à un immeuble appartenant à la communauté Doukhobor, nous permet d’envisager les observations de Woodcok et Avakumovic comme pertinentes.

On relève ainsi que Mary Braun était une femme âgée de 81 ans et qu’elle avait déjà été condamnée à plusieurs reprises pour des actes de violence (10 condamnations et 12 incendies depuis 1971, ce qui avait entraîné un total de 23 ans de prison). Selon d’autres informations, elle avait été emprisonnée récemment, en 1988, lorsqu’elle avait fait une grève de la faim avec deux autres membres des Sons of Freedom.

Il est indiqué également dans la dépêche d’agence relatant les faits qu’au moment où elle fit son entrée dans la Cour supérieure, 12 membres aînés Doukhobors avaient récité le Notre Père en russe. Elle refusa également de porter ses vêtements pendant son procès mais les gardes la recouvrirent d’une couverture. Le fait que Mary Braun était âgée de 81 ans et soutenue par des aînés de la communauté laisse supposer qu’une partie des activistes qui avaient continué à commettre des actes de violence après 1973 étaient des membres âgés, qui avaient déjà par le passé commis de tels actes et qui ne s’étaient pas intégrés à la société extérieure, comme l’indiquent Woodcok et Avakumovic. Cela pourrait également expliquer l’absence de commission d’actes terroristes à partir de 1986 à l’exception de ce cas.

 
     
 
 
   
 
2002-2014, ERTA