Le cas de Manickavasagam Suresh :
le contexte judiciaire et politique comme frein à l'expulsion
 
     
 

3. Les activités de financement des TLET

 
     
 

Bell (2004) met en lumière les diverses formes que revêtent les activités de financement du TLET au Canada. Certaines modalités sont légitimes, d'autres s'apparentent à celles en vigueur à l'intérieur de groupes criminalisés (Chalk). L'intérêt de recenser, à la suite de Kinsella (1992), de Chalk et de Bell (2004) la manière dont les groupes terroristes ou des individus s'y prennent pour financer leurs activités, c'est de pouvoir cibler que non seulement la position stratégique du Canada, mais également son contexte judiciaire, politique et économique constituent des attraits majeurs pour procéder à des levées de fonds et à d'autres activités lucratives en vue de financer des activités terroristes. Le Canada possédant, entres autres, des frontières communes avec les États-Unis s'étendant sur des kilomètres, des communautés immigrantes installées en grand nombre, des opportunités plurielles de mettre sur pied des entreprises multiples, par exemple des compagnies d'import-export,... est considéré comme le lieu où de nombreuses activités de financement à des fins terroristes prolifèrent, celles-ci pouvant être initiées par des groupes terroristes ou par des individus. Pour mémoire, tel que vu précédemment, Chalk estime que les TLET représentent une organisation structurée au niveau international. Pour preuve, les multiples moyens dont dispose ce groupe pour financer leur lutte armée. Certaines sources d'argent sont légales, d'autres sont illégales:

Les TLET mènent une campagne internationale perfectionnée de collecte de fonds. Le soutien financier provient surtout de l'importante diaspora tamoule éparpillée dans les six grandes régions suivantes: la Suisse, le Canada, l'Australie, le Royaume-Uni, les États-Unis et les pays scandinaves. (...) Aux États-Unis, proviennent essentiellement d'individus riches, dont bon nombre ont promis de verser d'énormes sommes pour faire avancer la cause tamoule. (...) À l'heure actuelle, on croit que les TLET "sollicitent" des contributions pouvant atteindre 1 000 $US par famille auprès des membres de la diaspora tamoule au Royaume-Uni, au Canada et en Australie, pour appuyer la campagne militaire qu'ils ont lancée afin de prendre le contrôle de l'autoroute A9 dans le Nord et des importantes localités auxquelles elle mène (Chalk, 1999).

Au préalable, dans le but de situer l'ampleur des sources de financement des TLET, il apparaît pertinent de préciser les motifs multiples des donateurs :

Les membres plus anciens, donc mieux établis, des communautés d'expatriés croient fermement en la lutte pour un État tamoul indépendant, la création d'un tel État constituant, selon eux, la seule solution à long terme au conflit ethnique qui sévit au Sri Lanka. D'autres, qui sont souvent des immigrants ou des demandeurs d'asile vivant en marge d'une communauté étrangère, comptent sur les TLET pour faciliter leur intégration dans la société en versant des sommes à l'organisation pour qu'elle les aide à trouver un emploi et un logement et à obtenir de fausses pièces d'identité (Chalk, 1999).

Parmi les moyens que l'on pourrait qualifier d'illégaux, il faut tenir compte des détournements de fonds commis par des membres de la diaspora tamoule à l'insu des autres membres de la communauté:

Les TLET détournent souvent des dons destinés à des organismes culturels sans but lucratif pour financer des programmes tamouls de services sociaux, de soins de santé et de réadaptation au Sri Lanka. L'avantage de cette forme de financement, c'est qu'il est très difficile de prouver que les fonds recueillis à des fins humanitaires ont été détournés vers des activités terroristes ou d'autres activités illicites à l'étranger (Chalk, 1999).

Enfin, Chalk, 1999 envisage l'hypothèse que les TLET soient en mesure de recueillir "des fonds au moyen du trafic de drogue, en particulier d'héroïne en provenance de l'Asie du Sud-Est et du Sud-Ouest". En fait, les circuits empruntés par la drogue seraient les mêmes que ceux utilisés pour l'achat d'armes par des individus ou des groupes associés au TLET.

C'est donc dans un contexte international, structuré et aux ramifications complexes, qu'il convient d'examiner l'ensemble des activités menées au Canada par les TLET. En effet, alors que l'on peut attribuer à des raisons historiques et politiques l'expansion des TLET, expansion favorisée, selon (Bell, 2004), par l'indifférence mondiale à l'égard du conflit sévissant au Sri Lanka, ce sont, toutefois, des assises économiques d'envergure qui permettent aux TLET de poursuivre leurs activités:

[The Tiger rebels] have set up a sophisticated overseas support structure that uses crime, front organizations and front companies to keep the fighting units supplied, and the most important of these offshore bases is Canada. The Snow Tigers, as the Canadian branch of the LTTE is known, fundraise for weapons right under the nose of government. "Canada is their bank", says Rohan Gunaratna, a leading world expert on the LTTE (Bell, 2004:26).

Parmi les sources de financement identifiées par Bell (2004), lequel a eu accès à un rapport secret des services de renseignements canadiens expliquant comment se déployait le vaste empire clandestin de la cueillette de fonds des Tigres au Canada, notons l'existence du "marché" des réfugiés:

Tamil immigration has been aided by a sophisticated human smuggling industry that emerged to profit from the refugee flow and to redirect the money back to the Tigers. Agents in Colombo arrange passage for a fee ranging as high as US$30,000. (...) Police told me that some Tamils in Canada will also "rent" their passports to smugglers, who use them to bring more Tamils into Canada (Bell, 2004:32).

Bell considère que les Tamouls vivant au Canada constituent une population vulnérable pouvant facilement devenir la proie de groupes organisés susceptibles de menacer de représailles les familles en exil, si ces dernières ne consentent pas à financer "volontairement" les TLET. Les activités des TLET sont nombreuses, régulières et répétitives, toutefois, les membres de la communauté tamoule hésitent à faire appel aux autorités pour dénoncer les procédés utilisés par les TLET, craignant de perdre leur statut d'immigrant ou d'être renvoyés dans leur pays, lorsqu'ils sont dans une situation illégale.

Comme certaines des cueillettes de fonds des groupes terroristes en général, et en particulier, des LTTE, s'inscrivent dans le cadre de finalités légitimes et dans un contexte légal, il n'est donc pas aisé de retracer le parcours de l'argent, et encore moins de déterminer à qui et à quoi vont servir les sommes recueillies:

"The LTTE operates in Canada under the guise of several front organizations", Canadian intelligence agents wrote in a separate 1999 report. "These organizations perform legitimate cultural and humanitarian functions within the Tamil community, however, a portion of the money they raise is sent back to Sri Lanka in support of the LTTE's terrorist activities". The international LTTE network "operates like a multinational corporation", CSIS wrote in a report. "This network consists of commercial companies and small businesses set up in Malysia, Singapore, Bangladesh, China and some Western countries". It includes "political offices, procurement offices, and humanitarian organizations located in at least 40 countries worldwide" (Bell, 2004:36-37).

Les sommes d'argent récoltées via des rallies tenus dans des établissements scolaires dans des grandes villes, les contributions des réfugiés tamouls et les collectes de fonds dans les temples Hindu sont acheminées aux Tigres Tamouls par les réseaux bancaires officiels en ayant recours à des comptes bancaires secrets et des compagnies de façade (Bell, 2004:44). Dans certains cas, ce sont des entreprises légitimes d'import-export, très lucratives, qui constituent des sources de revenus appréciables pour les TLET, en facilitant l'injection de fonds obtenus de diverses manières dans l'économie légale, par opposition à l'économie souterraine:

The money transfers are concealed using a price-fixing scheme. The Toronto companies import goods from Kumaran's [the LTTE's chief arms buyer] company at hugely inflated prices. For example, the front company in Canada might pay $100 for a head of lettuce that cost Kumaran 10 cents. Kumaran pockets the markup and puts it toward arms purchases. "The laundered amounts would most likely be funds raised by the WTM and /or profits generated by the front companies", the CSIS report says. Invoices sent by Kumaran are paid up immediately, which "may indicate that these funds are destined for more urgent requirements than day-to-day business transactions" (Bell, 2004:45).

En définitive, les TLET, en mesure de capitaliser sur la présence d'une communauté d'expatriés de plus en plus nombreuse au Canada, dont les salaires importants sont prometteurs de revenus futurs pour l'organisation, ont senti la nécessité d'envoyer des membres de leur groupe, des membres sur lesquels ils pouvaient se fier, «disguised as refugees», pour leur permettre d'assurer la coordination des activités entreprises sur le continent nord-américain. C'est dans un tel contexte que M. Suresh, occupant une position élevée au sein des TLET au sein des TLET (Chalk, 1999; Bell, 2004), est venu s'installer au Canada: "In 1990, the Tigers sent one of its veteran operatives to Toronto to run the Canadian branch of the TLET" (Bell, 2004: 37-38). Selon Bell (2004:37-38), M. Suresh a menti aux autorités canadiennes sur son passé, lesquelles lui ont accordé, sur la base des renseignements fournis, le statut de réfugié, le 11 avril 1991. M.Suresh aurait alors assumé la tâche de coordinateur au FACT, une organisation qui serait en lien avec les LTTE et le World Tamil Movement.

 
     
 
 
     
   
 
2002-2014, ERTA