Fonctions connexes des activités de financement

 
     
  Partie 2: La diversité des logiques opérationnelles des types de terroristes  
     
 

Quelques exemples tirés de la banque de données d'ERTA, qui recense plus de 500 cas impliquant des ressortissants canadiens, permettent d'illustrer les diverses stratégies terroristes pour chaque type établi.

2.1 Terroristes religieux

Le cas de Ahmed Saeed Khadr (ou Sa'id; alias Khidr Abu Abdur Rehman ou Abd-al-Rahman)

Ahmed Saeed Khadr est arrêté le 27 novembre 1995 à Islamabad au Pakistan, en lien avec l'explosion d'une bombe ayant détruit l'ambassade d'Égypte. Toutefois, ce cas présente un intérêt évident dans le cadre de la discussion actuelle, puisque l'accusé se défendit toujours d'être un terroriste en faisant valoir son appartenance à une oeuvre de charité canadienne musulmane à Peshawar. Cette stratégie de défense semble avoir donné des résultats: M. Chrétien, alors premier ministre du Canada, a cru bon de s'adresser aux autorités pakistanaises pour le faire libérer et exiger qu'il soit jugé dans le respect des procédures canadiennes. Un des fils de Khadr invoque lui aussi des activités en lien avec des oeuvres de bienfaisance pour justifier ses allées et venues en Afghanistan et les transferts de fonds qui y sont associés. En 2001 les autorités américaines gelèrent les avoirs de HCI, estimant que l'organisation était une société écran pour al-Qaïda.

Ainsi, lorsqu'un individu ou un membre d'une organisation terroriste est arrêté au Canada ou à l'étranger sur la base de soupçons d'avoir été impliqué dans des activités de financement d'actes terroristes, il peut être en mesure d'invoquer son travail pour une organisation de bienfaisance, et tenter de se disculper des accusations portées contre lui en justifiant ainsi les sommes auxquelles il a accès.

Le cas de Mohammed Jabarah (Sammy)

Bell (2004: 201-205) retrace le cas de Mohammed Jabarah, le fils d'un immigrant Koweïtien, venu s'installer au Canada. Jabarah avait été recruté par Sulaiman Abu Gaith, représentant d'al-Qaïda au Koweït, à la fin des années 1990 durant des voyages au Koweït où son père possédait quelques entreprises. Il semble qu'entre 1998 et 2000 il ait levé des fonds pour la guerre en Tchétchénie.

Par ailleurs, le cas Jabarah relève de la planification d'attentats en Asie du sud-est en lien avec l'organisation al-Qada. Il aurait été recruté en raison de sa connaissance parfaite de l'anglais et de son passeport canadien lui permettant de se déplacer sans problème partout dans le monde et sans risquer d'éveiller des soupçons (Stewart Bell, 20 janvier 2003, The National Post). Ces éléments sont importants. En effet, M. Jabarah fait bonne impression dans les camps d'al-Qada et en juillet 2001, il réussit à convaincre Osama ben Laden qu'il pourrait prendre en charge des opérations au niveau international. Il se rend alors à Karachi en août 2001 pour y rencontrer Khalid Sheik Mohammad, l'architecte des attaques dirigées contre le World Trade Center et le Pentagone:

Mohammed Mansour Jabarah is identified as reporting to Khalid Saikh Mohammed according to U.S. and Canadian intelligence documents. Mohammed dispatched Jabarah from Pakistan to southeast Asia on September 10, 2001 to lay the groundwork for truck bombing runs on U.S. and British embassies in Singapore, Indonesia, and the Philippines. (...) Jabarah was arrested in March 2002 and is currently in U.S. custody (Tracking The Threat.com, 22 septembre 2003).

Ainsi, Mohammed Jabarah est arrêté par la police d'Oman en raison d'un mandat international. Au moment de son arrestation, Jabarah est en train d'organiser de multiples attentats devant se dérouler aux Philippines et en Malaisie. Après la capture de Jabarah, la police d'Oman appelle le Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS), qui vient le chercher en avril 2002. En fait, la situation est compliquée pour les autorités d'Oman, en raison des problèmes politiques susceptibles de survenir suite à la manière dont le cas sera traité sur place:

According to Canadian officials, the Omani government did not know what to do with Mr.Jabarah. It did not want to hand him to the Americans, fearing Omanis would be angered that their government had delivered a fellow Muslim into U.S. custody. They decided to give him instead to the Canadians. he was after all a Canadian citizen, and if Canada were to send him to the United States, it would not be Oman's doing (Stewart Bell, 20 janvier 2003, The National Post).

De retour au Canada en avril 2002, le SCRS interroge Jabarah durant une semaine et fait part de ses découvertes au FBI. À la requête expresse de M. Jabarah, ce dernier est transféré aux autorités américaines en mai. Incidemment, M. Jabarah entrevoyait la possibilité de traiter directement avec le FBI pour négocier les conditions de sa reddition. M. Jabarah aurait déclaré au FBI qu'il était responsable des opérations de financement en lien avec les attaques projetées contre les ambassades en Asie du sud-est; c'est du moins ce qui serait rapporté dans un document du FBI du 21 août 2002 intitulé Information Derived from Mohammed Mansour Jabarah (Stewart Bell, 20 janvier 2003, The National Post). À l'évidence, pour les agences américaines, les révélations de Jabarah sur l'organisation al-Qada, en particulier sa connaissance des codes utilisés par les membres pour communiquer entre eux, justifiait de le rencontrer et d'entériner une entente avec lui:

Officials say he knew he had two choices: Keep quiet and face criminal charges for terrorism, extradition and possibly a lengthy prison term, or he could co-operate. According to authorities, he chose to talk. One of the most dangerous terrorists to emerge from Canada became one of its most valuable contributions to the war on terrorism (Stewart Bell, 20 janvier 2003, The National Post).

C'est alors que des associations musulmanes, qui n'étaient probablement pas au courant de ces tractations entre Jabarah et les autorités américaines, clament leur indignation:

After news of Mr. Jabarah's case was first publicized in Canada in July, a Toronto newspaper claimed there was no evidence against him and that the only reason Canadians were not outraged by his treatment was that he was Muslim, "not a Jones or a Bouchard". The Canadian Arab Federation and Canadian Civil Liberties Association held a news conference to demand a government probe. Instead of facilitating his transfer to the U.S., Canada should have "been advising him not to go to the United States where he will get lost in the hellhole of secret detentions, secret evidence and secret hearings", said Raja Khouri, the Arab federation president.

L'exemple du cas de Jabarah rappelle que lorsqu'un des leurs est aux prises avec les autorités canadiennes, la diaspora installée au Canada est en mesure de se mobiliser, via l'arène médiatique pour exiger la libération de l'inculpé. En effet, l'entrée en scène de plusieurs associations de défense des musulmans au Canada confirme que dans certains cas, la communauté dont est originaire un infracteur présumé est susceptible de manifester publiquement sa désapprobation et d'organiser, le cas échéant, une riposte au niveau international. C'est effectivement ce qu'ont fait les supporters de Jabarah en alertant les médias et en exigeant sa mise en liberté immédiate.

Le cas de Hani-al-Sayegh et de Mohamed Husseini: membres du Hezbollah

Al-Sayegh, membre du Hezbollah, vient se réfugier au Canada en août 1996 de manière à se soustraire aux autorités américaines qui le recherchaient en lien avec la mort de dix-neuf soldats américains suite à l'attentat au camion piégé des Tours Khobar. Par la suite, « il s'est efforcé de passer inaperçu et de s'intégrer, apprenant l'anglais et obtenant un emploi à temps partiel. Il a arrêté en mars 1997 et expulsé aux États-Unis en juin et, finalement, remis aux autorités saoudiennes en octobre 1999 pour répondre à des accusations criminelles » (SCRS, 3 mai 2000)

Quant à Husseini, son cas montre que la venue de certains membres d'organisations terroristes ait pour but de se familiariser avec ce qui se passe dans des pays comme le Canada. En effet, selon le journaliste Stewart Bell, Husseini aurait affirmé au SCRS en 1994 que : « Hezbollah wants to collect information on Canada, on life in Canada, its roads and so on, in case there's a problem with Canada ». D'ailleurs, Husseini « was reportedly referring to videotapes of Canadian landmarks sent to Hezbollah ». Il fut déporté sur la base d'accusations relatives à une attaque à la bombe en 1993 en Arabie Saoudite.

 
     
 

2.2 Terroristes politiques

Le cas de Manickavasagam Suresh

Suresh, un membre présumé des TLET (Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul), a réussi à demeurer au Canada en dépit de procédures qui visaient son expulsion après que sa demande d'immigration avait été refusée pour des raisons de sécurité.

La communauté tamoule résidant au Canada a alors organisé des manifestations et a vivement protesté contre cette décision, alléguant d'une part que M. Suresh n'était accusé d'aucun crime et, d'autre part, qu'il risquait de se faire torturer s'il devait retourner au Sri Lanka. À la fois, les Tigres affirmaient qu'ils n'étaient pas un groupe terroriste mais une armée de libération agissant au nom du peuple tamil.

En fin de compte, les TLET ont été en mesure de mobiliser leurs ressortissants et d'engager des avocats spécialisés pour obtenir gain de cause. De plus, de nombreux groupes de pressions ont épousé la cause de M. Suresh, dont Amnistie Internationale, surtout à cause des risques de torture. Après une saga judiciaire, dans le cadre d'un appel logé à la Cour d'appel fédérale, les juges ont statué que M. Suresh ne serait pas déporté en raison du risque réel de torture qui existait pour ce dernier (Cour suprême du Canada).

 
     
 

2.3 Terroristes d'État

Le cas de Mansour Ahani et de Djafar Seyni

Mansour Ahani et de Djafar Seyni sont des agents iraniens envoyés au Canada. M. Ahani a été arrêté en Italie en 1992 pour avoir comploté l'assassinat d'un dissident iranien connu, tandis que Djafar Seyni a été arrêté en lien avec l'intimidation d'Iraniens vivant au Canada.

 
     
 
 
     
   
 
2002-2014, ERTA