Le financement d'activités terroristes au Canada

 
     
  Les transferts de fonds  
 

 

 
 
Introduction

la suite de l'effondrement des certitudes du monde occidental et en particulier de celles des tats-Unis face la menace d'attaques terroristes, l'urgence de lgifrer a t ressentie l'chelle mondiale. L'adoption de lois et de mesures s'est impose comme une ncessit toute la communaut internationale. Ainsi, en matire de financement d'activits terroristes et de transferts de fonds destins aux terroristes, les vnements du 11 septembre 2001 constituent une rfrence la fois politique, culturelle, mdiatique, lgale, judiciaire et rgulatrice pour décider de la nouvelle orientation de la lutte antiterroriste.

Dans cet ordre d'idée, la rsolution 1373 du Conseil de Scurit des Nations Unies (28 septembre 2001, Threats to international peace and security caused by terrorist acts, Sc Res. 1373, UN SCOR, 2001, UN Doc. S/RES/1373), dont le Canada est signataire, a tabli que le financement d'activits relies au terrorisme tait dsormais un crime. Les nouvelles dispositions internationales ont eu pour consquence immdiate d'autoriser le gel de fonds appartenant diverses organisations ou des personnes considres comme tant lies des groupes terroristes.

Pour sa part, le Groupe d'action financire sur le blanchiment de capitaux (GAFI) a adopt de nouveaux paramtres susceptibles de lui permettre de prciser le cadre l'intrieur duquel son intervention va s'exercer. L'intention du GAFI est claire, il s'agit de traiter les systmes informels de transfert de fonds suivant les mmes exigences que les rseaux bancaires officiels (Kennedy, 2002: 361; Franois, Chaigneau et Chesnay, 2002: 44-45; Buencamino et Gorbunov, 2002). Toutefois, puisque les systmes informels, par définition, ne se conforment que partiellement à ces exigences, le terrain propice susciter la controverse. D'une part, nous pouvons constater que les terroristes, tout en ayant recours aux systmes informels de transfert de fonds, utilisent aussi les rseaux bancaires formels pour faire transiter des sommes d'argent destines des activits terroristes. D'autre part, nous pouvons envisager que ceux qui travaillent l'intrieur de la sphre de l'conomie officielle bnficient de ces modes de transfert de fonds, et que bon nombre de personnes des pays occidentaux les utilisent l'occasion. En outre, dans certains cas, les systmes informels de transfert de fonds permettent des conomies chancelantes de subsister, en raison de l'accs rapide des capitaux importants.

Enfin, Brown (2002) soulve un point de discussion qui semble fcond pour valuer l'impact des mesures et des procdures visant encadrer les systmes informels de transfert de fonds. Il suggre que les crimes en lien avec le financement d'activits terroristes relvent d'une catgorie particulire : ces actes relvraient de l'interprtation analogique. Les implications de la dfinition d'un crime bas sur l'intention sont insidieuses : il n'est pas ncessaire d'avoir particip des activits de financement en lien avec le terrorisme, il suffit d'tre souponn de le faire. Le schma est certes caricatural, mais la dialectique souleve par Brown vaut le dtour, en raison des risques de drive dont il est porteur.

 
 

 

 
 

1. Les systmes informels de transfert de fonds

Dans le but de cerner le phnomne l'tude et d'en prciser l'ampleur, la porte et l'importance pour les activits de financement du terrorisme, il importe de confronter entre elles les diverses dfinitions lgales, conomiques, politiques et culturelles des systmes informels de transfert de fonds. En effet, la lecture relative la diffusion, l'utilit et au maintien de ces modes de transfert de fonds oprant en marge des rseaux bancaires officiels, est susceptible de se modifier selon les lments contenus dans la dfinition et les effets recherchs par ceux qui y en prcisent les paramtres. De fait, certains auteurs tentent de distinguer entre la lutte mondiale contre le financement du terrorisme et les aspects fondamentaux des systmes de transfert de fonds. C'est d'ailleurs, la perspective qui est adopte ici.

1.1 Dfinitions et terminologies : des lectures partielles

Premièrement, le mot « Hawala » signifie, à la base, « transfert » et dans certains contextes « confiance », en arabe. Son usage implique que les activités restent informelles et fondées pour l'essentiel sur une relation personnelle entre les participants. (Looney). Le Groupe d'action financire sur le blanchiment de capitaux (GAFI) a recours l'expression « systmes informels de transfert de capitaux ou de valeurs » (ITCV) pour dsigner:

un systme dans lequel de l'argent est reu afin que ces fonds ou leur contre-valeur puissent tre pays un tiers dans un autre lieu, que ce soit ou non sous la mme forme. Ce transfert intervient gnralement en dehors du systme bancaire classique par l'intermdiaire d'institutions financires non bancaires ou d'autres entits commerciales dont l'activit principale peut ne pas tre la transmission d'argent (...). Dans certains pays ou territoires, les systmes ITCV sont souvent dsigns comme des services alternatifs de remise de fonds ou des systmes bancaires souterrains ou encore parallles (nous soulignons; Rapport du GAFI sur les typologies du blanchiment de capitaux 2002-2003).

Il est intressant de remarquer que le Fonds Montaire International (2003) tente de se dissocier de l'utilisation du concept de service « alternatif »:

The forthcoming IMF/World Bank hawala study uses the term "informal funds transfer systems", which the authors prefer in view of their observation that in some jurisdictions, these systems are the dominant means by which financial transfers are conducted, a situation that is not consistent with the word "alternative". This handbook uses the term "alternative remittance systems" in deference to the FAFT terminology (International Monetary Fund, 2003:30, note 80).

Ainsi, la Special Recommendation VI dfinit les systmes informels de transfert de fonds comme: « remittance systems that do not use formal financial sector institutions, such as banks, to effect transfers of funds from one country to another » (International Monetary Fund, 2003:30).

Pour Kuntz, « l'hawala est un systme de transfert de fonds qui ne passe pas par le canal des institutions financires classiques. Ce mode de transfert donc un caractre informel ». Pour leur part, Buencamino et Gorbunov parlent de systmes non rglements (unregulated systems). Ils soulignent également le foisonnement des définitions de ces systèmes dans la littérature. Par exemple, certains auteurs les qualifient de « souterrains » underground). Selon Buencamino et Gorbunov, ce serait une erreur dans la mesure o ces systmes oprent l'air libre dans de nombreuses rgions du globe. De plus, avoir recours à l'expression « systme bancaire » constitue galement une voie errone puisque « their operations do not involve traditional banking transactions such as deposit taking or lending » (Buencamino et Gorbunov, 2002). Dans le Patriot Act, la loi adopte par les tats-Unis pour redfinir leur mode d'intervention en matire d'activits terroristes, c'est l'expression « systmes bancaires souterrains» qui est utilise, combinant deux erreurs conceptuelles. D'autres encore ont adopté la terminologie « systmes alternatifs ». Comme le remarquent fort propos Buencamino et Gorbunov (2002), les systmes informels de transfert de fonds ne sont pas, dans de nombreux cas, des alternatives au systme bancaire officiel, tant donn que ce serait le seul dispositif de transit de fonds disponible au niveau local et rgional. Ainsi: « there are places where conventional banking facilities do not exist, are terribly inefficient, slow or expensive » (Buencamino et Gorbunov, 2002).

des fins de clart et pour rendre compte d'un phnomne rpandu parmi les travailleurs migrants et de nombreuses communauts ethniques et culturelles, nous adoptons la terminologie de Buencamino et Gorbunov de « système informel de transfert de fonds », qui décrit assez bien la réalité de systèmes visant à déplacer des sommes d'importance hautement variable d'un endroit à un autre sans faire usage d'institutions ou de processus formels.

En fait, la principale caractristique de ces systmes est leur absence de bureaucratie. Cependant, dans le but de saisir les diffrents termes en usage dans les crits gouvernementaux et les diverses agences de surveillance des mouvements bancaires, il importe:

de distinguer le systme du terme hawala lui-mme, qui signifie « transfert » ou « tlgramme » dans le jargon bancaire arabe. Dans l'acception retenue ici, l'hawala dsigne un rseau informel de transfert de fonds d'un lieu un autre par le biais de courtiers — les hawaladars — quelle que soit la nature de la transaction ou les pays impliqus (El-Qorchi).

En terminant ce tour d'horizon nominal il importe, l'instar de Jost et Sandhu, de distinguer entre l'hawala blanc et l'hawala noir. En effet, les systmes informels de transfert de fonds peuvent tre l'occasion pour d'honntes travailleurs de faire circuler de l'argent gagn légalement (hawala blanc), comme ils peuvent tre rcuprs par des organisations criminelles ou par des groupes terroristes pour faire transiter des fonds illgalement obtenus (hawala noir). L'interprtation que donnent Jost et Sandhu (2000) ne manque pas d'intrt: « Hawala works by transferring money without actually moving it ». En fait, l'argent circule sans avoir se dplacer. Une dfinition, donc, qui semble approprie au contexte gopolitique de ces systmes informels: « money transfer without money movement ».

1.2 Une continuit sculaire

Les systmes informels de transfert de fonds, dont le financement hawala, sont des modes de transfert d'argent plus que centenaires. Il existe un grand nombre de systmes informels de transfert de fonds, certains connus, d'autres qui oprent dans l'invisibilit, dans la mesure o ils ne sont pas reprs par les organismes gouvernementaux et par les instances affilies la surveillance internationale du financement d'activits terroristes. Dans le cadre de la discussion actuelle, ce sont l'hawala du Golfe arabo-persique et, dans une moindre mesure l'hundi du sous-continent indien, en raison de leur liens supposs avec le financement du terrorisme que nous consacrons les sections subsquentes. Ainsi, « le triangle de l'hawala » est compos du Pakistan, de l'Inde et des mirats Arabes Unis" (Kuntz).

1.3 Des systmes adapts une population migrante

Lorsque des populations migrantes ont tent d'envoyer leurs familles restes au pays leur salaire gagn l'tranger, elle se sont tournes tout naturellement vers des mthodes prouves que ni le temps, ni les guerres, ni les bouleversements historiques, politiques, culturels et sociaux n'avaient altrs (Kuntz). En fait, les travailleurs migrs ont adopt les systmes informels de transfert de fonds non seulement pour des raisons d'conomie ou pour des questions de taux de change avantageux, mais surtout parce que ces systmes correspondaient parfaitement leurs attentes: un service efficace, rapide, apte se dployer dans toutes les rgions, en osmose avec leur pattern de revenus (irrgulier ou rgulier, pour des sommes importantes ou pour de plus petites) et bas sur un rseau d'interactions entre des intermdiaires en mesure de mobiliser des modes de transfert de fonds innovateurs (Buencamino et Gorbunov).

Pour comprendre l'attrait que reprsentent les systmes informels de transfert de fonds pour un grand nombre d'agents conomiques inquiets de l'instabilit politique de leur pays ou d'une rgion en particulier, il faut comprendre que les utilisateurs de ces services y voient la possibilit de bnficier de services adapts, rapides, srs, et en mesure de leur permettre, dans certains cas, de consolider des vasions fiscales. En outre, comme le mettent en vidence Buencamino et Gorbunov, les participants sont en mesure de capitaliser sur les forces du march pour pallier aux insuffisances des infrastructures conventionnelles des pays dvelopps et en voie de dveloppement, incapables de rpondre aux besoins des populations en exil.

1.4 Des liens forts entre les participants

Le systme informel de transfert de fonds hawala se fait en utilisant de nombreux intermdiaires et opre en ayant recours un ensemble de devises. De fait, le systme dans son ensemble est bas sur la confiance, le respect des traditions, l'amiti, les relations galitaires, un sentiment d'appartenance un ethnie commune, une communaut culturelle: « de forts liens ethniques, voire familiaux unissent les diffrents maillons des rseaux de courtiers qui quadrillent le globe » (Kuntz). Le systme fonctionne parce que les participants partagent entre eux le mme sens de l'honneur. En outre, les reprsailles qui pourraient survenir contre ceux qui seraient tents de dsobir aux rgles implicites du rseau suffisent garantir le respect et l'adhsion des membres aux coutumes ancestrales.

1.5 Une rponse aux cots levs des banques

Pour de nombreux travailleurs et pour les immigrants venus chercher asile et fortune dans les pays riches, « traiter avec des tablissements occidentaux comme Western Union qui prennent des commissions beaucoup trop leves » (Kuntz; voir aussi Looney) ne constitue pas une option attrayante. Au contraire, un hawaladar (courtier) se contentera d'une somme moins importante pour effectuer le transfert de fonds.

1.6 Au vu et au su de tous

En matire de systmes informels de transfert de fonds, le circuit de ce mode de transfert de l'argent est si bien implant dans les pays trangers (par rapport au pays d'origine des participants) et la mthode utilise est si rpandue que les courtiers en prestation (broker), les hawaladars ne ressentent pas le besoin de se cacher « puisque leur pratique est lgale » (Kuntz). En dpit des tentatives diverses de rglementer et d'obliger les systmes informels de fonds se conformer aux mmes procdures en vigueur dans les rseaux bancaires officiels, les systmes informels de transfert de fonds ne se sentent pas menacs ni dans leur existence ni dans leur lgalit. De fait, comme le signale Kuntz, « l'hawala est parfaitement lgale au regard du droit musulman moderne ». Deux conceptions s'affrontent donc. L'une, la perspective occidentale, ne souhaite pas voir disparatre compltement ces modes informels de transfert de fonds, recherchant plutt un meilleur contrle et continuer en retirer des bnfices pour l'conomie lgale. L'autre, la perspective musulmane, s'appuie sur des donnes historiques et culturelles, sinon religieuses, des us et des coutumes ancestrales pour affirmer la lgitimit de l'utilisation des systmes informels de transfert de fonds comme moyen privilgi pour faire transiter des capitaux l'chelle mondiale. En fin de compte, revendiquer la libre circulation des marchandises et le dveloppement des marchs a t le terreau fondateur des hawalas. Le désir de contourner les limites frontalires — lesquelles auraient pu tre des obstacles l'conomie naissante du VIe sicle — et d'changer avec les peuples voisins s'est impos comme un mode de vie et une ligne de conduite conformes aux prceptes prns par le Prophte Mahomet.

Les pays occidentaux comme l'Allemagne, les Pays-Bas, Le Royaume-Uni, ont adopt des lgislations diverses, certains pays officialisent les hawalas, en leur octroyant des licences, d'autres essayent plutt d'obliger les Money Service Businesses s'enregistrer et « de tenir certains registres et de rapporter toute activit suspecte aux autorits comptentes » (Kuntz). En effet:

In Canada, the Netherlands, United Kingdom, and United States, the law requires financial institutions, including IMTS [Informal Money Transfer System], to maintain records of their customers and their transactions. In Germany and the United States, a license is needed to engage in the business of money transfer (Buencamino et Gorbunov, 2002).
 
 

 

 
 

2. Les transferts de fonds et le financement d'activits terroristes

Dans le cas du financement d'activits terroristes, Franois, Chaigneau et Chesnay (2002) utilisent l'expression de noircissement (ou « noirciment ») de capitaux. En effet, pour tenir compte des caractristiques spcifiques la problmatique du terrorisme, il convient de ne pas systmatiquement associer le blanchiment de capitaux (que l'on attribue volontiers aux organisations criminelles) et la tentative avoue des terroristes de dissimuler le destinataire des fonds transmis, soit par des voies officielles (les rseaux bancaires) soit par des systmes de transfert de fonds informels. Dans le cas du blanchiment d'argent ce n'est pas le mouvement des fonds qui est le motif d'apprhension des infracteurs prsums, mais bien leur source. En fait, ce qui importe et qui sera pris en compte par les autorits policires et judiciaires, c'est le crime ayant produit les fonds et pour lequel il est apparu ncessaire de procder une opration visant donner une lgitimit aux sommes d'argent encaisses (Franois, Chaigneau et Chesnay, 2002). Généralement il est question de trafic de drogue, de vente d'armes, etc.

2.1 Le financement du terrorisme : un crime par analogie

John Brown, dans une brillante dmonstration, souligne comment, suite l'impact des attentats du 11 septembre 2001, la dfinition du terrorisme procde de plus en plus par analogie. En fait, en associant des comportements, des attitudes, des coutumes, des mthodes de transfert de capitaux des individus ou des groupes terroristes, ceux qui les utilisent sont susceptibles d'tre leur tour suspects de participer des activits terroristes. En se rfrant aux divers textes de loi rcents, comme les conventions internationales pour la rpression des attentats terroristes l'explosif (15 dcembre 1997) et pour la rpression du financement du terrorisme (9 dcembre 1999), Brown retrace le parcours emprunt par une dfinition qui brille par son absence: les textes font rfrence au terrorisme mais le lgislateur ne se positionne pas sur sa nature. D'après Brown ces dispositions visent en premier lieu la coopration internationale et se rfrent donc une forme implicite de comprhension du terrorisme. En gros, ce serait « l'intention politique » qui unirait entre eux les actes cibls, ou alternativement « une action anticapitaliste ». l'vidence, « une action anticapitaliste qui se servirait de moyens la limite de la lgalit, voire illgaux, mais en aucune manire violents, serait ainsi considre comme du terrorisme ». La ligne d'argumentation de Brown tient dans sa capacit souligner que ce qui est considr comme une action terroriste est, par essence, ce qui pourrait en tre une: « on fait appel un critre d'interprtation de triste mmoire en droit pnal : l'analogie et, concrtement, l'analogie d'intention ». Par consquent, les activits terroristes ne se conforment pas aux critres gnralement invoqus pour traiter des crimes inscrits au code pnal. En l'occurrence, « dans une interprtation analogique, un acte quelconque est assimil un acte punissable en vertu d'une certaine proprit commune aux deux actes ». En fin de compte, ce que le 11 septembre a donn, c'est:

un semblant de justification une extension des pouvoirs policiers qui, autrement, aurait t perue comme un danger pour la dmocratie. Dans la lgislation antiterroriste propose au niveau europen, la finalit permet de dfinir l'acte terroriste. (...) En bonne logique policire, l'lment fondamental de l'incrimination dans les dlits de terrorisme n'est pas l'acte, mis l'intention, c'est--dire le sujet lui-mme considr comme un individu « dangereux ».

C'est une constatation similaire que parvient le Fonds Montaire International:

The USA PATRIOT ACT [26 octobre 2001] is also a wide-ranging law providing expanded powers to police authorities, passed in the immediate aftermath of the terrorist attacks of September 11, 2001 in the United States. The Act gives federal officials greater authority to track and intercept communications and vests the Secretary of the Treasury with regulatory powers to combat corruption of U.S. financial institutions for foreign money laundering purposes. (...) It creates new crimes and new penalties, for use against domestic and international terrorists (International Monetary Fund, 2003: 35-36).

Nous pouvons ainsi remarquer, l'instar du Fonds Montaire International, qu'ainsi la seule diffrence entre un don lgal et un don illgal des organisations but non lucratif, ou par une organisation but non lucratif, rside dans l'intention ayant anim la transaction (International Monetary Fund, 2003: 33).

Pour illustrer une facette de cette particularit de la dfinition du terrorisme, savoir que c'est l'intention qui prime, nous nous rfrons au cas de Manickavasagam Suresh. Il s'agit d'une situation o les autorits canadiennes avaient entrepris des procdures d'expulsion contre Suresh, sur la base de son appartenance au groupe des Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul (TLET). Dans cet exemple, qui s'inscrit dans un registre moindre (il ne s'agit pas d'une poursuite au pnal mais d'une procdure d'expulsion), il n'tait pas ncessaire pour les autorits de prsenter les preuves de l'affiliation de Suresh avec une organisation terroriste (TLET). partir du moment o le TLET est considr comme un groupe de terroristes, les allgations d'en avoir fait partie et de procder au Canada des activits en vue de financer le terrorisme suffisaient pour que M. Suresh se voit refuser un statut d'immigrant reu. Suresh s'est adressé auprs de la plus haute instance judiciaire du Canada et en soutenant qu'en tant souponn de faire partie des TLET il risquait la torture lors de son renvoi au Sri Lanka.

2.2 Les terroristes utilisent parfois les systmes informels de transfert de fonds

Un groupe terroriste doit, « tout comme une organisation criminelle, tre capable de mettre en place et de maintenir une infrastructure financire efficace » (GAFI). Les sources de financement sont donc multiples. Il faut ensuite être en mesure d'envoyer ces fonds à ceux qui en ont besoin.

Le problme auquel les autorits des pays en lutte contre le terrorisme sont confronts, c'est que les systmes informels de transfert de fonds sont opaques. Leur manque de transparence en font des outils particulirement bien adapts pour transfrer des fonds des groupes ou des organisations en vue de mener des activits terroristes sans que le destinataire soit connu des organes de surveillance des marchs. Le Groupe d'action financire sur le blanchiment de capitaux a envisag rcemment, que « le financement du terrorisme transite par des systmes informels de transferts de capitaux ou de valeurs (ITCV), notamment le systme hawala [...] Cette anne, les experts du GAFI ont t invits trouver des exemples de ces activits et s'efforcer de montrer les ventuels liens avec le financement du terrorisme » (GAFI). En ce domaine, la prudence est de mise. Comme le soulignent Buencamino et Gorbunov, en dpit de la prsomption qui pse lourdement sur cette ventualit, savoir, que ces systmes sont utiliss par les terroristes, « there is no conclusive evidence that IMTS are the preferred vehicle of criminals and terrorists ».

En fait, le GAFI porte une attention particulire au lien susceptible d'exister entre le financement d'activits terroristes et l'utilisation de services ITCV, dont certains sont apparemment crs dans l'intention de faciliter des transferts de fonds des fins terroristes. « La difficult pour dtecter ces activits est lie la nature des systmes ITCV eux-mmes, savoir le fait qu'ils fonctionnent hors du systme financier rglement » (GAFI, Rapport sur les typologies du blanchiment de capitaux 2002-2003). tablir un lien direct entre les transferts de fonds orchestrs par les systmes informels et le soutien au financement d'activits terroristes ne peut se faire, dans certains cas, sans l'intervention des rseaux bancaires officiels. Toutefois, les oprations suspectes menes par une socit commerciale peuvent rsulter autant de leurs efforts blanchir de l'argent provenant d'activits illgales, comme le ferait un groupe criminalis, que de leur intention faire parvenir des fonds une organisation terroriste. Le GAFI en fournit un exemple:

L'indice essentiel pour dtecter l'opration d'un service ITCV a t que, malgr la petite taille de l'entreprise implique, son compte bancaire prsentait des mouvements sans rapport avec ce que l'on aurait pu attendre d'une entreprise de cette taille et de ce type. [...] Ce n'est qu'aprs l'examen d'autres lments de l'affaire que le lien avec le terrorisme a pu tre tabli.

2.3 L'attrait des systmes informels de transfert de fonds : pas de trace de papier

Les systmes de transfert de fonds fonctionnent sans interruption et tous les jours, leur assurant une popularit et une fidlit de la part de leurs utilisateurs. En outre, celui qui envoie l'argent et le destinataire peuvent tre une seule et mme personne. Dans tous les cas, en vitant les circuits formels de transferts d'argent, le destinataire peut rester anonyme et chapper la surveillance des organes de contrle. l'vidence, le principal attrait des systmes informels de transfert de fonds, c'est qu'il n'y a pas de moyens de reprer le parcours emprunt par l'argent.. tant donn qu'il s'agit de transactions aptes se raliser avec un minimum de documents crits, « it offers discretion, secrecy and anonymity to the sending and receiving parties of the remittance » (Buencamino et Gorbunov).

Les individus ou les groupes terroristes qui optent pour les systmes informels de transfert de fonds pour effectuer diverses transactions manifestent également un rel intrt pour la rapidit et l'efficacit de ces modes particuliers de transit financier. En dfinitive, selon l'expression de Buencamino et Gorbunov (2002), c'est la « safest method to transfer money without a trace ».

La manire dont fonctionnent les systmes informels de transfert de fonds est simple: le courtier livre l'argent partir de sa rserve personnelle ou en utilisant son compte ouvert (les courtiers oprent compte courant) la demande d'un autre courtier pour lequel un client est entr en contact. Dans le pays A, un client fournit une somme d'argent au courtier, en change de quoi, le montant quivalent, converti en devises du pays du destinataire, est remise une autre personne dans le pays B. Le systme est efficace en raison d'un rseau complexe de relais pouvant s'appuyer sur la logistique des pays modernes o l'ordinateur rgne en matre et roi.

Comme le financement d'activits terroristes est susceptible de provenir souvent de sources illgales, les systmes informels de transfert de fonds servent donc au transit de capitaux en provenance de trafics divers. Par exemple, Buencamino et Gorbunov estiment, sur la base des travaux d'un certain nombre de chercheurs, que dans certains cas, l'hawala servirait au blanchiment d'argent et recycler des sommes d'argent issues de la contrebande de l'or.

Dans cet ordre d'ides, Cooley fait tat d'un rapport publi en 2002 par les spcialistes de l'ONU o il est confirm que les enquteurs privs aux trousses des capitaux d'al-Quaïda « se heurtent au systme traditionnel de transfert de fonds, la hawala ». Ainsi, « des sommes de toutes importances se dplacent su simple appel tlphonique avec change de mots-codes convenus ».

2.4 Les terroristes utilisent également les systmes bancaires officiels

Les conclusions auxquelles parvient le GAFI en matire de blanchiment d'argent et de financement d'activits terroristes sont cruciales. En effet, selon le GAFI les organisations criminelles et les groupes terroristes utilisent les mmes circuits et les mmes mthodes pour blanchir de l'argent, « dplacer des fonds ou dissimuler les liens avec leurs activits » (GAFI, 2003; voir aussi, GAFI, 2004).

Pour le GAFI, distinguer entre les oprations des fins de blanchiment de capitaux non lies au terrorisme et celles qui sont effectivement lies au terrorisme rside principalement dans le fait que « l'un des individus impliqus dans le mcanisme figure sur une des listes publies par le Conseil de scurit des Nations Unies ». En fait, les informations actuelles ne permettent pas dans tous les cas de tracer une ligne claire entre ce qui relve de l'utilisation effective par des individus ou des groupes terroristes des systmes informels de transfert de fonds. Ainsi, dans le cas des vnements du 11 septembre, les opinions divergent quant savoir si les participants ont eu recours aux systmes informels de transfert de fonds. Pour Kuntz, le constat est affirmatif:

Pour ce qui est du financement des attentats du 11 septembre, il apparat clairement pour les services occidentaux qu'Al-Qaeda aurait transfr des roupies via l'hawala depuis Hyderabad au Pakistan un sheikh de Duba qui aurait utilis le mme canal pour fournir les dollars ncessaires Mohammed ATTA -l'organisateur des oprations sur le terrain- pour mener bien son entreprise.

Pourtant, le GAFI fait tat de deux rapports, l'un du FINCEN (Suspicious Activity Report Review No 4, aot 2002) et l'autre du FBI, dont les conclusions sont tout autres:

Les autorits amricaines ont pu tablir le profil des diffrents pirates de l'air et de leur activit financire au cours de la priode qui a prcd les attentats du 11 septembre. (...) L'analyse effectue par les tats-Unis confirme que les oprations effectues par les personnes concernes ont t relativement peu importantes et que, dans la plupart des cas, le systme financier classique a t utilis pour crer les comptes, transfrer les fonds et rgler les dpenses (GAFI, 2004).

Incidemment, le GAFI dploie ses nergies retracer les mouvements de fonds (wire or funds transfer) qui seraient relis au financement d'activits terroristes. De fait, en matire de transfert de fonds ou de virement, il importe de se rfrer, l'instar du GAFI, la dfinition suivante: « il s'agit de toute transaction financire opre par une personne en se servant d'une institution financire et effectue par des moyens lectroniques, avec l'intention manifeste de mettre une somme d'argent la disposition d'une autre personne dans une autre institution financire » (GAFI, 2004). Ce sont les usages des transferts de fonds des fins terroristes qui proccupent le GAFI. En effet:

The financial support structure revealed after September 11th attacks in the United States showed the essential role played by wire transfers in providing the hijackers with necessary financial means to plan for and eventually carry out their attacks (GAFI, 2004).

Le GAFI envisage plusieurs exemples concernant l'utilisation des transferts de fonds par des groupes terroristes. Ainsi, des fonds terroristes obtenus dans un pays A sont transfrs une organisation terroriste dans un pays B; une organisation terroriste utilise les transferts de fonds pour dplacer de l'argent pour promouvoir ses activits hors des frontires de son port d'attache; les transferts de fonds sont utiliss l'intrieur d'une campagne de leve de fonds des fins d'activits terroristes. Pour tous ces cas, c'est le systme bancaire officiel qui fournit la logistique ncessaire et non pas les systmes informels de transfert de fonds, en dpit des avantages qu'ils sont susceptibles de reprsenter.

 
 

 

 
 

3. Contexte mondial et systmes informels de transfert de fonds

Kuntz, dans un texte portant sur les systmes informels de transfert de fonds, dplore l'empressement des mdias amricains dsigner les financements hawala comme les complices coupables du terrorisme sans analyser « les propres turpitudes amricaines en la matire ».

3.1 Les systmes informels de transfert de fonds et la fragilit de l'conomie

Comme le remarquent Buencamino et Gorbunov, les systmes informels de transfert de fonds sont ports jouer un rle de premier plan dans certains pays en priode de crise. En effet, en pouvant injecter rapidement des capitaux dans le march, ces systmes constitueraient un soutien aux conomies fragiles: « When a country's financial system is under stress, informal operations become vital to the sustaining of an economy » (Buencamino et Gorbunov, 2002). Eu gard leur rserve d'argent liquide, les systmes informels de transfert de fonds s'imposeraient comme une valve rgulatrice et une force stabilisatrice. L'exemple du Pakistan est instructif. En effet, la position officielle du Pakistan l'gard des systmes informels de transfert de fonds reflte une profonde ambivalence. La Banque d'État du Pakistan, alors qu'elle interdisait les activités les courtiers hundi, sollicitait à la fois leur aide pour se procurer des dollars étatsuniens et équilibrer ses réserves de devises étrangères.

Par ailleurs, les systmes informels de transfert de fonds peuvent aussi compromettre la viabilit de l'conomie des pays o ces transferts sont frquents et importants. En effet, ils « ont un impact sur les finances publiques du pays d'origine comme du pays bnficiaire » (El-Qorchi). Pour El-Qorchi « ces transactions chappent toute imposition directe ou indirecte » et ainsi l'hawala aurait « un impact ngatif sur les recettes publiques, qu'elle finance des activits lgitimes ou non ».

3.2 Les systmes informels de transfert de fonds: partenaires de l'conomie lgale

Pour le GAFI, « les oprations des systmes ITCV peuvent parfois se raccorder aux systmes bancaires formels (par exemple, en recourant aux comptes bancaires de l'oprateur d'un service ITCV) ». L'interdpendance entre systmes bancaires officiels, lgaux, conventionnels et systmes informels de transfert de fonds est mise en vidence par l'analyse du GAFI. En effet, « selon un membre du GAFI, les systmes ITCV ont de plus en plus recours au systme bancaire classique, notamment lorsqu'ils s'agit de traiter d'importants volumes d'espces ».

Kuntz prcise que dans l'opration initiale les voies bancaires classiques ne sont pas utilises, c'est dans la suite des opérations, lorsque lehawaladar désire transformer les devises en dollars, qu'il a recours à une institutions financière. À cette étape les banques new-yorkaises comme la Citibank, la Wall Street Exchange/Banking ou le Multinet Trust Exchange bnficiraient des transactions des systmes informels de transferts de fonds et seraient en mesure de retirer des profits de ces mouvements de capitaux se dployant en marge de leurs places financires. En fait, l'auteur s'tonne que ce n'est qu'au lendemain des vnements du 11 septembre 2001 que le monde occidental a sembl dcouvrir l'existence des systmes informels de transfert de fonds. En effet:

Le recours aux systmes informels de transfert de fonds est pourtant bien connu des services occidentaux puisque la CIA elle mme s'en servait pour financer les mujahidins afghans lors de la guerre contre l'Union Sovitique. Bien avant que les attentats du 11 septembre, les transactions hawala taient dj mises l'index par les Amricains quant leur rle dans le financement des attaques contre leurs ambassades au Kenya et en Tanzanie en 1998.

3.3 Implanter des modalits de contrle pour les systmes informels de transfert de fonds

Pour certains gouvernements engags dans la lutte contre le terrorisme le contrôle des systmes informels de transfert de fonds est apparu comme une priorit. Toutefois, Buencamino et Gorbunov estiment que les systmes informels de transfert de fonds sont l pour rester et toute tentative de les faire disparaître, serait contreproductive. En adoptant une perspective diachronique pour jauger les systmes informels de transfert de fonds, il apparat qu'ils ne peuvent tre dissocis du contexte historique auquel ils renvoient. Ces systmes, dont l'mergence fait appel des lments de nature culturelle, sociale et conomique font partie de la finance internationale: « formal markets could hardly meet the needs of all people, at least in the short run ». En tant la fois fluides, incertaines, lgales, illgales, lgitimes, invisibles et immatrielles, les oprations informelles de transit de fonds tracent un espace dont les contours ne dsignent pas ncessairement un territoire en particulier ni des activits prcises.

En fait, les systmes informels de transfert de fonds utiliss par les terroristes et visant faire transiter des capitaux provenant de sources lgales et illgales sans que le destinataire soit connu des autorits chappent en grande partie la surveillance des contrleurs. En effet, que ce soit en raison de querelles entre le GAFI et le FMI, d'un manque d'enthousiasme manifeste des autorits étatsuniennes qui ne tiennent pas ce que des complicits du plus haut niveau dont al-Qaida aurait bnfici soient rvles au grand jour, ou d'une ignorance des organes de contrle de la manire dont les systmes informels de transfert de fonds fonctionnent, les progrs en matire de pistage des finances des groupes terroristes semblent encore insuffisants (Cooley). Selon Cooley ce ne serait que rcemment que les enquteurs se seraient mis sur la piste des hawalas:

En mars 2002, le secrtaire au Trsor amricain Paul O'Neill dbarque dans le Golfe avec un dtachement de justiciers. Il cherche comprendre si possible, comment la hawala, fonctionnant entre Duba, l'Asie du Sud et le reste du monde, a pu servir financer les kamikazes du 11 septembre et d'autres oprations d'Al-Qaida. Naturellement, pas un seul commerant des souks de Duba, pas un seul banquier ou trader admettra seulement connatre le fonctionnement de la hawala, encore moins son implication personnelle dans le systme (Cooley).
 
 

 

 
 

Conclusion

En oprant en marge des rseaux bancaires officiels, ces systmes privs de transfert de fonds s'imposent comme des moyens privilgis pour manoeuvrer en toute impunit et sans laisser d'lments suffisants pour tablir le parcours emprunt par l'argent. Pour les terroristes, l'avantage est le mme que pour les organisations criminelles. L'argent circule sans que des informations pouvant retracer les participants soient immdiatement accessibles aux autorits dont la mission est de retracer les mouvements financiers ayant pour finalit des activits terroristes. « L'avantage de l'hawala est de ne laisser tout au plus qu'un vague faisceau d'indices », lesquels ne permettraient pas de suivre les mouvements prcis de l'argent envoy par ce moyen spcifique de transfert de fonds (Kuntz).

 
     
 

 
     
   
 
2002-2011, ERTA