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  C. Les motivations derrière le terrorisme nucléaire  
     
 

1. Le désir d'opter pour le terrorisme nucléaire

Un groupe terroriste bien organisé et bien financé ne se qualifie pas automatiquement comme un bon candidat pour le terrorisme nucléaire. Bien que l'explosion atomique représente l'ultime dévastation et devrait être, dans une rationalité axée purement vers la destruction, l'objet de désir par excellence; les motivations et rationalités terroristes sont en réalité beaucoup plus complexes et nuancées. Dans les faits, l'arme nucléaire représente un choix intéressant que pour quelques profils particuliers et rares de groupes terroristes. Il n'est pas seulement nécessaire que les caractéristiques exposées dans la section précédente soient présentes au sein du groupe pour que celui-ci soit intéressé par le terrorisme nucléaire; encore faut-il qu'il ait la volonté et les raisons de le faire. La volonté d'utiliser l'arme nucléaire s'inscrit dans un contexte particulier, propre à notre époque, où les guerres idéologiques et religieuses libèrent le terrorisme des confins étatiques. En effet, peu d'experts du terrorisme dans les années 70 auraient prétendu que les armes de destructions massives étaient une voie convoitée par les groupes terroristes. Dans ces temps où l'expression « terrorists want a lot of people watching, not a lot of people dead » était reconnue comme un fait, où le terrorisme était généralement régional ou intraétatique, l'argument des observateurs du terrorisme était que les groupes extrémistes n'oseraient pas s'engager dans des actes de destructions massives puisque le risque de causer tort à ce qu'ils défendent est trop élevé (Levanthal & Chellaney, 1988). Mais depuis la fin des années 80, avec la hausse des victimes du terrorisme et la subséquente internationalisation des activités terroristes, la scène n'est plus la même et l'emploi d'armes de destruction massives par des regroupements mal intentionnés n'est plus improbable, comme l'a démontré la secte Aum Shinrikyo lorsqu'elle répandit du gaz sarin dans diverses stations du métro de Tokyo . De ce constat surgit alors la crainte que des groupes terroristes puissent maintenant avoir la motivation et la volonté d'avoir recours aux armes nucléaires. Mais quel genre de groupe pourrait présenter ce désir de destruction? La volonté d'employer des armes de destruction massive est-elle rationnelle ou le fruit de la démence? Les subséquentes lignes tenteront de jeter un regard plus éclairé sur la question.

 

2. La volonté de s'engager dans le terrorisme nucléaire est-elle issue d'une rationalité pathologique?

Une conception souvent présente dans les discours populaires et les discours politiques à tendance populiste est de discréditer les individus s'engageant dans des actes de terrorismes au rang de « cinglés », de « psychopathes », de les qualifier de gens en manque d'éducation, facilement manipulable et naïfs. L'individu typique a le réflexe d'imaginer que des actes aussi monstrueux, qui détruisent cruellement et sans prévenir la vie de gens innocents, ne peuvent être le fruit que de personnes tout aussi monstrueuses que leurs gestes. Les gens ont de la difficulté à concevoir que les attentats terroristes sont généralement perpétrés par des gens normaux, rationnels et sains d'esprit, bien éduqués et provenant de familles stables.

Or, les observations faites sur les individus s'adonnant à des actes de terrorismes ne sont pas parvenues à établir un profil psychologique type du terroriste qui le démarquerait de la population normale. Par ailleurs, ces études n'ont pas permis de constater un nombre plus élevé que la moyenne de pathologies mentales dans les rangs du terrorisme. Robin Mark Frost (2005), dans un mémoire intitulé «  Would terrorists go nuclear?  », exposait trois faits permettant de démentir les croyances populaires.

D'abord, il existe des preuves objectives où des études cliniques ont démontré l'absence de taux anormaux de pathologie mentale parmi les groupes terroristes. En guise d'appui, il cite un passage du livre de Taylor et Quayle, «  Terrorist lives  » : « [M]ost active terrorists show few if any of the attributes of clinical abnormality. In a statistical sense, terrorists are not 'normal', by virtue of the lives they lead and the things they do. But there seems [sic] to be no discernible psychopathological qualities of terrorists than can identify them in any clinical sense as different from others in the community from which they come » (Taylor & Quayle, 1995). En fait, la croyance voulant que les terroristes soient des individus souffrant de problèmes de santé mentale se heurte à la réalité que les terroristes sont généralement organisés en réseaux complexes, capables de mener des opérations qui demandent souvent une bonne coordination et coopération entre les différents membres.

Ainsi, comme second argument, l'auteur avance que les gens souffrant de psychose mentale ont généralement des difficultés à suivre les directives hiérarchiques et à travailler en équipe. Ces individus seraient de cette manière incapables de remplir les exigences pour être un terroriste.

Troisièmement, des personnes ayant des problèmes de santé mentale poseraient de graves risques pour la sécurité de l'organisation terroriste. Les troubles de la personnalité et du comportement affectent généralement la loyauté, la fiabilité et la discrétion de l'individu, qualité nécessaire chez les membres du groupe pour éviter toute fuite d'informations vitales et pour mener à terme les opérations. La nécessité de tenir une discipline stricte, la capacité à demeurer discret, l'habileté à préserver une façade de normalité tout en menant une double vie seraient également affectées négativement par des troubles psychopathologiques (Frost, 2005; p.25). En somme, l'auteur conclut que les problèmes de santé mentale handicapent l'individu dans la vie terroriste de la même façon que ceux-ci handicapent l'individu au travail et dans la vie quotidienne. Ainsi, bien que les membres de groupes terroristes ne soient pas à l'abri des problèmes de santés mentales, la dépression, par exemple, peut aussi bien frapper un terroriste que l'individu moyen, il n'existe pas par ailleurs un taux plus élevé de psychopathologie dans leur rang. Les terroristes ne sont pas des individus « fous » qui n'ont pas conscience des gestes qu'ils posent; leurs actions sont complètement réfléchies et ne sont pas le fruit de pulsions meurtrières hors contrôle ou d'idéations psychopathes ou paranoïaques.

De cette façon, si le comportement terroriste n'est pas le résultat d'un désordre mental, il faut dès lors accepter la réalité que ces actes sont exécutés en toute rationalité. Le processus de raisonnement derrière les actes terroristes n'est pas différent de ce celui des gens normaux; ils agissent en fonction de leurs convictions, de ce qu'ils croient juste; ils cherchent à maximiser leurs bénéfices par le biais de leurs actions. Les conséquences, jugées si terribles par le reste de la population, ne sont pour eux qu'un moyen pour atteindre un bien supérieur. Ainsi, pour comprendre le comportement et l'action terroriste, il faut comprendre leur raisonnement, comprendre comment ils peuvent parvenir à se justifier le meurtre de plusieurs personnes, comprendre comment les divers éléments qui constituent leur réalité, tels que la religion, la situation politique du leur pays ou le rapport entre les classes, sont assimilés par eux et quels poids, quelles dynamiques, ces éléments entretiennent dans le calcul coût-bénéfice de l'acte. Le terroriste agit donc en toute conscience, selon ses propres valeurs, croyances et conceptions. Le résultat final, l'attentat terroriste, est le fruit d'un individu conscient de ses gestes, mais dont le cadre de référence idéologique est différent du nôtre.

Cette différence ne provient pas de la personnalité ou de l'intelligence de l'individu, mais est plutôt le produit de différents apprentissages au cours de la vie. Le milieu dans lequel l'individu a grandi, les croyances religieuses et spirituelles de l'entourage, l'environnement culturel, les fréquentations et les groupes d'appartenance jouent un rôle bien plus important dans l'émergence de comportement terroriste que la psychologie de la personne. Un exemple, tiré de la société québécoise d'antan, illustre comment le cadre de référence idéologique peut entraîner des comportements et opinions qui, selon une idéologie contemporaine, ne sont pas acceptables. Au début du XXe siècle, le clergé québécois possédait une forte influence morale et politique sur la population. Un de leurs souhaits était de favoriser une politique très forte de natalité. Ainsi, les femmes mariées devaient enfanter aussi souvent que possible et un couple dans l'âge qui n'avait pas régulièrement des enfants recevait la visite autoritaire du prêtre de la communauté. Toutefois, cette pression s'effectuait même auprès des femmes qui, après un accouchement difficile, recevaient l'avis du médecin qu'un prochain accouchement pourrait lui être fatal. De la sorte, les paroles de l'Église, les croyances de la communauté, avaient priorité sur la vie de la femme. À cet effet, le prêtre et la communauté en général calculaient probablement qu'il était préférable d'obéir aux paroles de Dieu et de terminer sa vie dans les grâces de Seigneur que de passer une éternité en enfer pour lui avoir désobéi. Aujourd'hui, dans une société québécoise culturellement et religieusement différente, un tel raisonnement serait perçu d'un très mauvais oil. Ainsi, il existe des individus dont le cadre de références idéologiques permet de justifier des comportements que la plupart des gens jugeraient monstrueux. Les fanatiques religieux ou les membres d'une secte en sont l'exemple parfait, alors que tout geste, ainsi que les conséquences terrestres qui en découlent, est effectué en vue d'un bien supérieur, divin ou spirituel. Donc, pour comprendre le terroriste, il est nécessaire de comprendre comment celui-ci conçoit le monde. La volonté d'adopter ou non l'arme nucléaire comme mode d'action sera, elle aussi, fortement dépendante de la façon dont le terroriste conçoit son univers. Si le terroriste n'accorde aucune importance à la vie terrestre; la vie des individus, l'environnement et l'avenir des générations futures importeront peu pour lui et l'arme nucléaire pourrait l'intéresser. Par contre, s'il s'agit d'un terroriste qui cherche à libérer ses congénères d'un groupe oppressant, il est fort peu probable que l'arme nucléaire lui procure une avenue intéressante. De cette manière, l'usage de l'arme nucléaire à des fins terroristes dépend fortement du contexte dans lequel se déroule ce terrorisme et du cadre de références idéologiques du groupe.      

La question à se poser alors est la suivante : certaines conditions sociales précises, notamment le statut socioéconomique et l'éducation, peuvent-elles être considérées comme des terreaux fertiles permettant de faire germer les idéologies terroristes? Un stéréotype répandu veut que le terrorisme soit le résultat de jeunes hommes pauvres, célibataires, désespérés, naïfs et vulnérables aux lavages de cerveau des recruteurs (Sageman, 2004). Néanmoins, une étude réalisée par Sageman vient démentir ce stéréotype. La plupart des terroristes de l'échantillon observé par l'auteur provenaient de la classe moyenne (56 sur 102) et 60 % d'entre eux avaient une éducation équivalente ou supérieure au collégial. De même, seulement 25 % de l'échantillon étaient sans emploi et la majorité (73%) vivait en union matrimoniale. De la sorte, les stéréotypes ne sont pas un reflet de la réalité et il est impossible de dresser un profil sociodémographique particulier du terroriste. Trop de facteurs entrent en jeux dans l'apparition des idéologies terroristes et un simple modèle réductionniste ne peut en faire état. De même, comme l'explique l'auteur, une telle approche se heurte au problème de la spécificité. En effet, beaucoup de gens évoluent dans des conditions sociales similaires à celles des terroristes, pourtant la plupart d'entre eux ne se dirigent pas vers cette voie et les modèles des causes communes ne peuvent pas expliquer ce phénomène.  

 

3. Les organisations terroristes susceptibles de convoiter l'arme nucléaire

Dans la littérature contemporaine, une « nouvelle » forme de terrorisme semble accaparer une partie importante de l'attention (voir Gagnon, 2007). Ce « nouveau » terrorisme, dont l'expression ne fait pas l'objet d'un consensus, fait référence à l'observation que le terrorisme d'aujourd'hui est plus meurtrier et plus intensément motivé par des idéologies religieuses. Ainsi, l'image laissée, avant le tournant des années 90, par un terrorisme généralement séculaire, qui peignait ce type d'acte comme un geste politique, où le message était plus important que la destruction engendrée, ne caractérise plus aussi adéquatement certains groupes contemporains. À la différence des groupes terroristes de gauche actifs en Europe dans les décennies de 1960 à 1980, qui inclut les Brigades rouges de l'Italie, l'Action Directe de France et la Fraction Armée rouge de l'Allemagne, les pourvoyeurs de violence d'aujourd'hui semblent moins inclinés vers des énoncés strictement politiques (Center for Conterproliferation Research, 2002). Ceux qui argumentent qu'un « nouveau terrorisme » est en pleine émergence pointent essentiellement le fondamentalisme islamique ou l'extrémisme religieux et leur convergence avec trois autres facteurs : une quête délibérée pour acquérir ou développer des armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires; une volonté a accepter et célébrer le statut de martyr; et une perception que le seul auditoire d'intérêt est celui de la divinité (Center for Conterproliferation Research , 2002; traduction libre). En conséquence, de tels groupes se détachent de ce qui est considéré socialement comme normes morales et, en ce sens, ne se sentent plus restreints envers l'emploi d'armes de destruction massive. Mais l'extrémisme religieux est-il le seul terreau fertile pour le terrorisme nucléaire? Dans la littérature, différents contextes de terrorismes sont identifiés en tant que scène potentielle pour le déploiement d'armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN) : les groupes nationalistes ou séparatistes; les groupes de révolution sociale; les sectes apocalyptiques; les regroupements politico-religieux et le terrorisme axé sur une problématique particulière (Frost, 2005; Fergusson & Potter, 2004). Toutefois, bien que ces groupes puissent être tentés par les armes CBRN, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils pourraient être tentés par le volet nucléaire. Un regard individuel sur chacun de ces types de terrorismes permettra de déterminer ceux qui sont le plus à risques de poursuivre des objectifs nucléaires.

 

3.1 Les groupes nationalistes ou séparatistes

La catégorie des groupes terroristes nationalistes ou séparatistes fait référence aux organisations dont les ambitions se focalisent sur la réalisation d'objectifs politiques, de l'indépendance politique à la revanche politique, en faveur d'une minorité, d'un groupe ethnique ou d'une tranche distincte d'une population (Ex. : Armée républicaine irlandaise, les tigres tamouls du Sri Lanka, le Front de Libération du Québec) (Fergusson & Potter, 2004). Tel que cité par Frost (2005), le terrorisme nationaliste ou séparatiste est contraint par les valeurs de leurs compatriotes, le risque d'une riposte nationale et le désir d'obtenir, de la part de la communauté mondiale, un support à leur cause. À titre d'exemple, le FLQ a perdu tout appui populaire suite à l'assasinat du ministre Pierre Laporte, car le geste posée allait à l'encontre des valeurs défendues par les québécois séparatistes (voir Laurendeau, M). De plus, leur situation géographique, qui les place généralement en côtoiement avec l'ennemi, rend le groupe extrêmement vulnérable aux contre-attaques et un acte terroriste extrême pourrait mettre en danger leur organisation. De même, la proximité des adversaires fait en sorte qu'un acte massivement destructeur risque de causer des pertes auprès de la population alliée. Conséquemment, l'emploi d'armes de destructions massives est peu probable dans de telles conditions. Toutefois, certaines situations, comme le conflit entre la Russie et les séparatistes tchétchènes, démontrent que certaines formes de terrorisme nationaliste ou séparatiste peuvent entraîner des pertes de vie considérables ( Prise d'otages à Beslan en 2004 ; prise d'otages dans un théâtre de Moscou en 2002 où les séparatistes tchétchènes auraient possiblement tué plusieurs otages si les Russes n'étaient pas intervenus pour accaparer cet « honneur »; prise d'otage dans un hôpital de Boudionnovsk en 1995). Ainsi, même dans un contexte de terrorisme nationaliste ou séparatiste, la volonté de tuer en masse, bien que rare, est une possibilité. Mais cette volonté est-elle assez pour que ces organisations terroristes se tournent vers l'emploi d'arme de destruction massive? La proximité géographique des adversaires est un sérieux frein à l'emploi de telles armes puisqu'il serait alors difficile d'infliger des pertes massives à l'ennemi sans courir le risque de causer des décès parmi la population défendue. De même, l'emploi d'armes de destruction massives pourrait faire perdre le support même de la population soutenue par les terroristes. Dans ce contexte, l'arme nucléaire est donc peu souhaitable pour l'organisation terroriste puisqu'un acte de terrorisme nucléaire se solderait presque assurément par des pertes massives au sein de la population alliée, soit par l'explosion ou à plus long terme par les effets de la contamination, la perte de tout support sur la scène locale et internationale, des ripostes importantes provenant de divers pays, et, ultimement, l'échec des projets politiques du groupe. Toutefois, Fergusson & Potter (2004) affirment que certains de ces groupes pourraient bénéficier de laisser planer le doute quant à leur capacité nucléaire, puisqu'il pourrait s'agir d'un bon argument de négociation pour cesser les hostilités ou pour gagner des droits politiques.

 

3.2 Les groupes de révolution sociale

Les groupes de révolution sociale, qu'ils soient de gauche ou de droite dans le spectre politique, sont fondés, par définition, sur la croyance que l'ensemble des structures politiques et économiques d'un État, et parfois celle du monde entier, doit être démantelé afin que soient érigées les charpentes d'une société meilleure (Frost 2004). Par définition de leurs objectifs, certains experts croient que les mêmes règles et contraintes que le terrorisme séparatiste ou nationaliste s'appliquent à ces groupes. Ainsi, leur désir d'employer des armes de destructions massives devrait, en théorie, être limité. Par contre, d'autres auteurs ont la conviction que les révolutionnaires sociaux ne sont pas soumis aux mêmes dynamiques que les nationalistes/séparatistes. Même si les révolutionnaires sociaux agissent pour le bien de certains groupes, par exemple la classe ouvrière, la nature des idéologies de révolution et la rationalité typique des membres de tel groupe pourraient encourager, sous les bonnes conditions, des actes de terrorisme à grande échelle (Frost, 2004). Malgré tout, bien qu'ils pourraient être tentés par des modes d'action plus radicaux, les entités terroristes de ce type n'atteignent pas une taille assez grande pour pouvoir atteindre des objectifs nucléaires. Dans les circonstances, il est donc peu probable que les groupes de révolutions sociales représentent un risque pour le terrorisme nucléaire.

 

3.3 Les sectes apocalyptiques

Les groupes apocalyptiques incluent ceux qui croient que la fin de l'actuel ordre mondial tire à sa fin, qu'ils ont un rôle actif à jouer dans la promotion de cet évènement, et que cet évènement apocalyptique est un impératif pouvant être encouragé par l'usage de la violence (Fergusson & Potter, 2004). Toutefois, bien que ces sectes aient tendance à recourir à la violence, cette agressivité n'est généralement pas dirigée à l'extérieur du groupe, contre les communautés environnantes, mais plutôt à l'intérieur, contre les membres du culte. Dans ce type de culte, les membres de faible rang sont souvent soumis, mal traités et abusés; dans certains cas, le culte ira jusqu'à provoquer la mort de ses membres. Par exemple, le culte millénaire le Mouvement pour la Restauration des Dix Commandements , dirigé par Joseph Kibwetere et Credonia Wmerinde dans l'Uganda, scella le destin, en l'an 2000, d'au moins 780 membres de la secte. Certains furent brûlés vifs dans une église, d'autres furent tués à coups de bâton; poignardement, étranglement et empoisonnement faisait également parti de l'équation (Frost 2004). Toutefois, ces types de regroupements sont hautement imprévisibles, souvent soumis aux paranoïas et fabulations du chef dirigeant, et la violence orientée contre l'extérieur n'est pas impossible. L'exemple le plus flagrant s'illustre dans le culte de Aum Shinrikyo, qui a, à plusieurs reprises, tenté d'employer des armes biologiques et chimiques sur les citoyens japonais, dont la tentative la plus célèbre est celle des attentats au gaz sarin dans le métro de Tokyo. Il s'agit d'ailleurs, avec Al-Qaeda, d'un des rares groupes terroristes qui a sérieusement considéré l'avenue nucléaire. Ainsi, la nature imprévisible des sectes apocalyptiques, de même que leurs doctrines annonçant la fin du monde tel qu'il existe, en font des candidats idéaux pour le terrorisme nucléaire. De même, leurs capacités à recruter un nombre important de membres et leur habileté à recueillir du financement permettent à ce type d'organisations d'atteindre une taille et un pouvoir considérable, améliorant ainsi leur capacité à acquérir l'arme nucléaire.  

 

3.4 Les groupes politico-religieux

Occupant présentement une grande part des inquiétudes sur le terrorisme et étant l'origine des discussions sur le « nouveau terrorisme », les groupes politico-religieux sont devenus le portrait type de l'organisation terroriste dans la culture populaire contemporaine. Spécifiquement, depuis le 11 septembre 2001, les groupes extrémistes Islamiques sont devenus le porte-étendard de la menace terroriste envers l'Occident, regroupés sous l'étiquette surutilisée d'Al-Qaeda. Avec les attentats de 2001, le noyau dur d'Al-Qaeda a démontré sa volonté d'enlever un nombre important de vies, et il est connu que cette organisation ne reculerait pas devant l'emploi d'armes CBRN. Mais est-ce le cas pour l'ensemble des groupes politico-religieux? Les groupes politico-religieux sont hybrides en ce sens qu'ils partagent à la fois des motivations politiques et religieuses et leurs objectifs sont fortement interreliés à leurs discours, à leurs idéologies et leurs actions (Fergusson & Potter, 2004). Certains experts croient qu'Al-Qaeda est une exception à la règle et la majorité des terroristes politico-religieux ne seraient pas portés vers des armes de destructions massives et encore moins vers l'arme nucléaire. Ayant des intérêts politiques, les groupes politico-religieux demeurent soumis aux opinions et pressions de leurs voisins. En agissant trop radicalement, les groupes politico-religieux risquent de ne jamais atteindre leurs objectifs. Néanmoins, cette contrainte n'est vraie que lorsqu'il existe une balance acceptable entre l'aspect politique et religieux du groupe terroriste. Lorsque les motivations religieuses supplantent les volontés politiques, les risques que l'organisation terroriste se penche vers des actes hautement meurtriers augmentent fortement. À cet égard , Bruce Hoffman (1998) disait  : « terrorism motivated either in whole or in part by a religious imperative, where violence is regarded by its practitioners as a divine duty or sacramental act, embraces markedly different means of legitimization and justification than that commited by secular terrorists; and these distinguishing features lead, in turn, to yet greater bloodshed and destruction ». Dans un contexte où les idéologies religieuses priment sur les idéaux politiques, l'utilisation d'armes CBRN augmente en probabilité. Dépendamment de la ferveur des membres et des valeurs prônées par la religion, l'arme nucléaire pourrait dans ce contexte être considérée comme une avenue stratégiquement viable par ce type d'organisation.  

 

3.5 Le terrorisme axé sur une problématique particulière

Le terrorisme axé sur une problématique particulière se décrit par l'engagement d'un groupe à agir en tant que catalyseur d'un changement à l'égard d'une politique ou d'un comportement relié clairement à problème politique ou social bien défini. Dans cette catégorie se retrouvent les activistes pour les droits des animaux, les groupes environnementaux, les mouvements antinucléaires et les préconiseurs de l'antiavortement (Fergusson & Potter, 2004). Les « Vancouver five » du groupe terroriste canadien « Direct Action » sont l'exemple parfait du terrorisme axé sur une problématique particulière. Sans vouloir le déclenchement d'une révolution sociale, les membres de « Direct Action » cherchaient à vaincre les valeurs capitalistes en s'engageant dans la propagande par le fait, espérant ainsi inspirer d'autres individus à intervenir contre les valeurs capitalistes (voir « Memoirs of an urban guerilla » de Ann Hansen pour plus de détails sur ce groupe). Les groupes de ce type ont généralement des objectifs bien précis et la destruction de vies humaines seraient nuisibles à leur cause. Toutefois, Fergusson & Potter notent que des éléments du groupe plus radicaux pourraient apporter une approche extrême à la cause et pourraient se tourner vers du terrorisme radiologique ou monter un canular laissant croire qu'ils ont des capacités nucléaires. Toutefois, pertinemment, il est peu probable que ces groupes se tournent vers le champignon nucléaire. Les groupes environnementaux n'utiliseraient certainement pas une arme qui catalyserait une catastrophe écologique majeure. De même, il est peu vraisemblable que des militants antinucléaires se tournent vers le terrorisme nucléaire, malgré les dires de certains conspirationnistes qui supposent que ces groupes pourraient être portés vers de tels actes pour démontrer le danger de ces technologies et discréditer l'industrie de l'énergie nucléaire.

 
     
 
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