Le Terrorisme NuclÉaire
Une Évaluation de la Menace

 
   
 
Pierre-Eric Lavoie
2009
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«  Pour se protéger d'une épée, il faut un bouclier. Or construire un bouclier
contre l' arme nucléaire s'est révélé jusqu 'ici impossible. »
Jacques Attali, extrait de Économie de l'Apocalypse

 

Introduction

Au crépuscule de l'année 1938, dans les confins d'un laboratoire allemand, les chimistes Hahn et Strassmann firent une découverte qui influencera à jamais le cours de l'histoire de l'humanité. Reprenant les travaux effectués par Fermi (1934), les deux scientifiques sont parvenus à catalyser la première fission nucléaire, et, corolairement, ont ouvert la porte au développement de la science nucléaire. Suite à cette découverte, les connaissances dans ce domaine ont cru de façon exponentielle, permettant éventuellement l'exploitation de la fission nucléaire à des fins énergétiques. Source d'énergie fiable, au rendement constant, dont les impacts sur l'environnement sont, selon certaines opinions, moindres que d'autres sources alternatives, particulièrement celles rejetant des gaz à effets de serre, l'énergie nucléaire offre certaines caractéristiques attrayantes pour les producteurs énergétiques. Malheureusement, la production d'électricité ne sera pas la raison qui gravera ad vitam aeternam la découverte de l'énergie nucléaire dans la mémoire des sociétés. Faisant ombrage à tout bienfait que peut apporter la science nucléaire, s'impose un volet plus sinistre, voir dangereux, de ce savoir, qui rapidement deviendra le principal visage associé au terme « nucléaire ». Certes, peu après la découverte de la première fission, les sombres présages de la guerre ont incité le monde scientifique à explorer d'un oil militaire toute la puissance de l'énergie nucléaire afin de maîtriser et maximiser son potentiel destructeur. Cette volonté de concrétiser le savoir nucléaire sous forme d'arme de destruction massive se cristallisa dans le projet Manhattan (1939-1946), réalisé conjointement entre les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada. Cette collaboration culmina, en 1945, par l'envoi de deux bombes nucléaires sur les villes japonaises Nagasaki et Hiroshima causant instantanément entre 60 000 et 80 000 morts ( BBC, 2005 ), et de 135 000 ( BBC, 2005 ) à 200 000 ( Yamasaki, 2007 ) décès à long terme (note : le nombre de décès à long terme est difficile à évaluer et varie grandement selon la source). Ainsi, dès l'aurore de sa découverte, la science nucléaire s'est scindée en deux volets majeurs, la production d'énergie et la construction d'armes de destructions massives, créant, de cette manière, l'union funeste de deux concepts : l'utilité, voir la nécessité, et le danger. Cette union se résume parfaitement par l'expression technologie à double usage, faisant référence à toutes technologies qui peuvent à la fois servir à des fins civiles ou militaires.

Devant cette dualité des usages se dégage une ambivalence perceptible envers l'énergie nucléaire. D'un côté, la science nucléaire s'est taillé un rôle non négligeable dans plusieurs sociétés modernes et, en conséquence, une dépendance s'est développée envers les fruits qu'apportent les centrales atomiques. En dépit du haut coût initial de construction et des risques associés à l'énergie nucléaire et les déchets radioactifs, beaucoup de pays optent pour cette avenue énergétique. Pour preuve, 16 % de l'électricité mondiale est le produit de centrales nucléaires et ce chiffre est en croissance ( World Nuclear Association, 2008 ). Certains pays ont misé sur la puissance nucléaire comme principal atout de leur programme énergétique et sont actuellement dépendants de ses apports. Par exemple, la France ne pourrait présentement se priver de l'énergie nucléaire puisque 79 % de son électricité ( International Energy Agency, 2007 ) provient de ses 59 centrales atomiques.  

De l'autre côté, les matériaux radioactifs nécessaires à la construction d'armes atomiques, qui ne peuvent être produits qu'artificiellement dans un réacteur nucléaire et n'existent pas à l'état naturel, se multiplient à l'échelle planétaire suite à diverses expansions verticales et latérales de la puissance atomique. Ainsi, de nombreux pays possédant les connaissances et aptitudes techniques nécessaires pour l'édification de centrales nucléaires s'engagent dans la poursuite d'un plan énergétique basé sur l'énergie atomique, accroissant le nombre de centrales atomiques sur son territoire. Parrallèlement, certains pays qui n'avaient pas autrefois la capacité de mettre sur pied un programme nucléaire sont dérénavent aptes à le faire, provoquant un élargissement des régions du globe où se retrouvent des matériaux nucléaires à haut risque. La prolifération nucléaire, expression fréquemment employée dans les discours sur les risques des technologies nucléaires, fait référence à ce dernier fait.

Cette croissance globale de la science nucléaire présente son lot de risques. Une augmentation du nombre de centrales atomiques signifie une amplification de la probabilité d'un accident associé aux bris techniques ou à la négligence humaine et une hausse des opportunités criminelles en multipliant les cibles et en réduisant la capacité à surveiller ces cibles. Une centrale nucléaire civile pouvant facilement servir de couverture pour la production gouvernementale d'armes de destruction massive, la prolifération nucléaire augmente la perspective qu'un pays développe des armes atomiques. Enfin, plus il existe de pays qui possèdent l'arme nucléaire, plus les risques sont élevés qu'un jour une telle arme se retrouve entre mauvaises mains. Ces risques inhérents aux développements et à la progression de l'expertise nucléaire ne sont pas inconnus des autorités mondiales et du public; de nombreux efforts ont été déployés pour freiner la prolifération nucléaire et pour rendre plus sûres et sécuritaires les centrales atomiques. Néanmoins, une insécurité manifeste demeure perceptible auprès des populations mondiales.

À l'origine de ce malaise se loge le souvenir de la Seconde Guerre mondiale, et celui de la catastrophe de Tchernobyl. Cette crainte est amplifiée par une multitude de référents culturels, généralement à connotation négative et loin de la réalité, qui confèrent des pouvoirs mystérieux et inquiétant à la radiation et propage l'impression qu'il s'agit d'un phénomène dont les effets sont peu connus et imprévisibles; alors qu'en réalité, les conséquences de la radiation sont bien documentées (pour un rapide résumé des effets, cliquez ici). Cette peur de la puissance destructrice de l'arme atomique relégua rapidement, dans la conscience collective, la science nucléaire et toutes ses affiliées comme l'une des menaces les plus importantes auxquelles font face les sociétés humaines. En conséquence, l'apocalypse, ou l'ultime destruction, s'est découvert une nouvelle image : le champignon atomique. De la même façon, le sigle de la radioactivité est rapidement devenu un véhicule de la crainte, s'alimentant de la détresse provoquée par ce mysticisme associé à la radiation et ses effets sur le corps humain. Pareillement, un des scénarios les plus fréquents dans les histoires de science-fiction postapocalyptique est la destruction des sociétés humaines et de l'environnement par le déclenchement d'une guerre nucléaire ( Dr. Strangelove, Akira, la série de jeux Fallout, etc.).

Conséquemment, les circonstances ont rapproché les termes « nucléaire » et « danger » pour qu'ils se côtoient fréquemment dans les discours sur l'énergie nucléaire. Toutefois, ces dangers n'empêcheront pas biens des pays d'adopter la centrale nucléaire dans leur plan de production d'énergie puisque cette dernière présente des avantages intéressants, surtout pour les États qui n'ont pas le territoire où les ressources naturelles nécessaires pour exploiter d'autres formes d'énergie. Dans ces conditions, l'énergie nucléaire renferme une dualité contradictoire. Son utilité fait en sorte qu'elle est de plus en plus adoptée dans divers pays, mais cela a pour conséquence d'introduire des risques relatifs aux accidents nucléaires, d'offrir un pont vers l'arme nucléaire et de rendre plus accessibles des matériaux qui constitueraient un danger aux mains d'individus mal intentionnés. L'énergie nucléaire, malgré ses bienfaits, possède un côté tranchant qui restreint cette science en une sorte de mal nécessaire.

Une fois la boîte de Pandore ouverte, impossible de faire marche arrière. Le monde post Hiroshima a eut à apprendre à vivre avec les risques introduits par la bombe atomique. Marquée par le désir d'éviter le déclenchement d'une guerre nucléaire, la communauté internationale s'est pliée à l'énorme poids dissuasif de la menace d'une riposte nucléaire. Plausiblement, jusqu'à maintenant, l'absence de frappe nucléaire entre pays en guerre peut s'attribuer en grande partie à la logique de la destruction mutuelle assurée. De cette façon, selon cette doctrine militaire américaine, l'usage de l'arme nucléaire par un État envers un autre État enclencherait un processus de riposte mutuelle, incluant tout pays allié, caractérisé par une escalade dans la mobilisation de l'armement nucléaire et culminant par la destruction quasi totale des belligérants. Dans un univers rationnel, la possession de l'arme nucléaire serait donc un argument dissuasif et permettrait de se prémunir contre toute attaque nucléaire ennemie. À titre d'exemple, l'absence de frappe nucléaire lors de la guerre froide entre les États-Unis et la Russie démontre l'efficacité dissuasive que pouvait avoir ce raisonnement. En effet, même pendant les moments les plus précaires et dangereux de la guerre froide, une nation qui aurait attaqué les États-Unis à l'aide d'armes nucléaires aurait signé son propre arrêt de mort, puisque la riposte aurait été immédiate et écrasante ( Nykolyshyn, 2006 ). Donc, dans un univers où les rivaux sont connus et territorialement définis, la dissuasion réciproque aurait permis d'éviter l'anéantissement nucléaire. Bien qu'il existe des failles au raisonnement de la destruction mutuelle assurée et que celle-ci n'est plus à l'ordre du jour (il serait plutôt question aujourd'hui de la primauté nucléaire américaine ), cette doctrine a, pendant plusieurs décennies, permis un certain équilibre de la menace nucléaire.

Toutefois, depuis la dernière décennie, une modification progressive des enjeux et des menaces concernant les forces hostiles auxquels doivent faire face les pays occidentaux est en cours. Aujourd'hui, une autre forme de danger prend de l'ampleur et plane sur le monde occidental, apportant des périls et des défis différents de la guerre interétatique; un ennemi difficile à définir, imprévisible et flexible, libre des contraintes que doivent respecter les États : le terroriste. Au travers de cette menace resurgissent les spectres de l'insécurité nucléaire, résultats de divers faits, présages et observations qui sont perçus comme signes avant-coureurs du terrorisme nucléaire. A priori, n'occupant pas un territoire aux frontières définies, se mélangeant généralement aux populations civiles et profitant des barrières frontalières pour freiner les contre-attaques internationales (voir Courmont, 2007), les entités terroristes ne sont pas contraintes par le principe de la dissuasion mutuelle qui a longtemps lié l'utilisation de l'arme nucléaire dans les conflits interétatiques. Impossible, devant ces groupes souvent difficiles à cerner, éparpillés et fragmentés sur divers territoires, de brandir la menace d'une riposte nucléaire, anéantissant ainsi l'un des principaux arguments dissuasifs opposant l'emploi de l'arme nucléaire.

Par ailleurs, le terrorisme contemporain est souvent associé, à tort ou à raison, au fanatisme religieux ou à l'idéalisme sectaire, en particulier aux éléments islamiques (voir Marret, 2002); ce qui contribue à augmenter la crainte populaire voulant que ces groupes ne reculeraient pas devant l'usage de l'arme atomique. Pour appuyer ce raisonnement, l'attention est souvent dirigée sur le fait qu'en adoptant une rationalité ancrée dans le domaine de la spiritualité, le fanatique religieux sera généralement moins préoccupé par les conséquences physiques de ses actions. De cette manière, plusieurs principes moraux qui prohibaient l'usage de l'arme nucléaire ne sont plus en vigueur lorsque placés dans une rationalité basée sur certaines croyances spirituelles. De la sorte, suivant ce fil de raisonnement, l'action de tuer pourrait être effectuée, sous certaines convictions religieuses, en vue d'un bien qui est supérieur à toutes conséquences terrestres, y compris la perte de vie humaine. Dans un même ordre d'idées, suite à la dispersion de gaz sarin dans le métro de Tokyo et des attaques du 11 septembre 2001, une perception s'est formée voulant que les terroristes ne cherchent plus seulement à obtenir de la publicité et générer de la peur par leurs actes, mais aussi à infliger de lourdes pertes de vies humaines. Ces attaques, spectaculaires, inédites et inquiétantes, seraient-elles précurseures d'autres évènements similaires, dont l'explosion d'une charge atomique?

Au cours de la dernière décennie, Al-Qaeda et d'autres organisations terroristes ont exprimé un intérêt dans la recherche de moyens d'attaques non conventionnels, comme les armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (Ferguson, 2006) et ont ainsi proclamé leur désir de se tourner vers des armes massivement meurtrières.

Finalement, pour clôturer cette énumération partielle des raisons pour lesquelles le terrorisme nucléaire est une source d'inquiétude contemporaine, la prolifération nucléaire amène plusieurs à craindre que l'arme atomique soit toujours plus accessible, tant au niveau de l'acquisition que de la construction. Pays instables politiquement, États pauvres où les officiels sont corruptibles, nations entretenant des relations avec des groupes terroristes; chacun de ces profils étatiques, advenant qu'il soit en possession de technologies nucléaires, présente des risques de fournir un soutien déterminant pour un groupe terroriste voulant obtenir ou construire l'arme nucléaire. Ce cumul de perceptions, de raisonnements, d'observations, de prévisions, est à l'origine de cette crainte renouvelée d'une frappe nucléaire, attaque qui ne s'inscrirait plus dans le cadre de la guerre, mais dans celui du terrorisme. Donc, la combinaison de ces présages rend le scénario d'une attaque nucléaire par un groupe terroriste plus crédible que jamais.

Mais cette menace ressentie est-elle justifiable? L'arme nucléaire est-elle une avenue concevable pour le terroriste? Le terrorisme nucléaire est-il un risque réel ou le fruit de quelques constats alarmistes? Cette menace est-elle assez crédible pour que les gouvernements déploient des efforts et financent la lutte contre cette forme de terrorisme? Dans cette vague de questionnements et d'appréhensions, plusieurs experts se sont intéressés à ce danger potentiel. Puisque le terrorisme nucléaire ne s'est jamais actualisé en un véritable évènement, toutes discussions et réflexions à ce sujet relèvent du domaine de la spéculation. Néanmoins, cela n'a pas empêché nombre d'observateurs de produire une littérature impressionnante à ce sujet. Par conséquent, un des objectifs de ce document sera de faire une revue littéraire des écrits sur le terrorisme nucléaire pour en extraire les principaux points. Des rapports publics rédigés par des spécialistes de la question du terrorisme nucléaire formeront le noyau principal des sources utilisées pour produire ce document. Toutefois, livres, articles d'actualités et sites internet viendront complémenter l'ouvrage. Cette recherche d'informations sera motivée par le désir de répondre à certaines questions. Particulièrement, est-il plausible que les terroristes soient en mesure de construire ou d'acquérir une arme nucléaire? Les connaissances et les matériaux pour construire une arme atomique sont-ils accessibles aux groupes terroristes? Les armes nucléaires existantes sont-elles bien gardées? Les groupes terroristes sont-ils réellement motivés à se tourner vers l'arme nucléaire? Pour répondre à ces questions, une évaluation, étape par étape, de la chaîne d'action nécessaire à aboutir à un cas de terrorisme nucléaire sera effectuée. Cette démarche offrira une façon organisée de traiter des sujets pertinents au terrorisme nucléaire, tout en fournissant un fil conducteur à la réflexion. À terme, cette méthode peindra un portrait intéressant de la problématique, tout en offrant des pistes de réflexion pour les actions préventives.

 
     
 
 
   
 

Contenu

A. Terrorisme nucléaire : Quelques précisions
1. Terrorisme nucléaire vs. Terrorisme radiologique
2. Terrorisme et menace nucléaire : Comment aborder le risque?
3. La Prolifération nucléaire

B. Terrorisme et Armes Nucléaires : Objectifs, Organisation et Financement
1. Les différentes étapes du terrorisme nucléaire : une voie pour comprendre les enjeux de la question et pour évaluer la menace
2. Objectifs, Organisation et financement
2.1. Des objectifs extrêmes
2.2. L'organisation
2.3. Les technologies au service du terroriste
2.4. Le financement

C. Les motivations derrière le terrorisme nucléaire
1. Le désir d'opter pour le terrorisme nucléaire
2. La volonté de s'engager dans le terrorisme nucléaire est-elle issue d'une rationalité pathologique?
3. Les organisations susceptibles de convoiter l'arme nucléaire
3.1 Les groupes nationalistes ou séparatistes
3.2 Les groupes de révolution sociale
3.3 Les sectes apocalyptiques

3.4 Les groupes politico-religieux
3.5 Le terrorisme axé sur une problématique particulière

D. La construction de l'arme nucléaire : la quête des matériaux fissiles
1. L'acquisition de matériaux fissiles en vue de construire une arme nucléaire
1.1 Les matériaux fissiles et leur masse critique
1.2 La production de matériaux fissiles
1.3 Le vol ou l'acquisition frauduleuse de matériaux fissiles
1.4 Comment les terroristes pourraient-ils se procurer des matériaux fissiles?
2. La construction de l'arme nucléaire : les embûches supplémentaires

E. Le vol d'une bombe nucléaire complète
1. Comment faire l'acquisition d'une arme nucléaire?
2. Briser les protections

F. Le transport et la détonation de l'arme nucléaire
1. Le transport de l'arme nucléaire
2. La détonation de la bombe

 
     
 
 
     
 

Conclusion

Réaliser un acte de terrorisme nucléaire requiert que de nombreux obstacles soient surmontés. Pour parvenir à cette fin, le groupe terroriste devra avoir la ferme résolution d'atteindre ses objectifs et il devra posséder les ressources financières et humaines suffisantes pour y parvenir. Concrètement, peu de groupes terroristes ont actuellement la capacité d'accomplir cette tâche. De même, les embûches qui se dressent devant la réussite d'une attaque nucléaire sont à ce point ardues qu'elles risquent fortement de détourner le plan vers deux avenues : l'échec des objectifs de destruction ou la révision vers le bas des moyens de dévastation.

Lorsque confronté à des épreuves difficiles, des étapes complexes à réaliser, le risque de commettre une erreur et de faire échouer le plan est à la hausse. Cette difficulté est amplifiée par la rareté des objets convoités, qui fait en sorte que certaines étapes du plan présentent de hauts risques de détection par les organes de sécurité. L'effet du temps joue aussi contre la réussite du plan. Acquérir une arme nucléaire demande du temps, et le groupe terroriste n'évolue pas dans un univers statique. Les enjeux changent, les dynamiques relationnelles entre les divers acteurs se modifient et l'environnement politique évolue. Les motivations qui ont justifié la quête de l'arme nucléaire au départ n'existeront pas nécessairement dans l'avenir. De même, les barrières élevées du terrorisme nucléaire risquent d'avoir pour effet de déplacer l'intérêt des terroristes vers des modes alternatifs, moins destructeurs, mais plus faciles à réaliser. Le cas d'Aum Shinrikyo est un bon exemple. Malgré les ressources importantes du groupe, l'intérêt envers l'arme nucléaire s'est rapidement éteint devant les impasses rencontrées pour se rediriger vers les armes biologiques et chimiques. Considérant tous les faits, le terrorisme nucléaire est un scénario improbable.

Toutefois, improbable ne veut pas dire impossible et il serait dangereux d'écarter ce danger basé uniquement sur cette observation. Les impacts entraînés par un acte de terrorisme nucléaire seraient catastrophiques et auraient le potentiel de plonger le monde en crise. Ainsi, il ne faut pas discréditer cette menace simplement par sa faible probabilité; les répercussions énormes qu'aurait un tel évènement justifient qu'une attention y soit portée. Sans aller dans les extrêmes, il est important de déployer les efforts nécessaires pour contrôler les risques du terrorisme nucléaire. Fort heureusement, la prévention de cette forme de terrorisme est grandement facilitée par les hautes barrières techniques relatives à la production des matériaux fissiles, qui assure que les ingrédients de l'arme nucléaire sont sous un fort contrôle étatique. Ainsi, la sécurité des matériaux fissiles devient une responsabilité d'état et le pays qui ne remplit pas correctement ses obligations s'expose à d'importantes sanctions de la part de la communauté internationale. Il est donc dans l'intérêt des pays producteurs de matériaux fissiles de s'assurer de la bonne gestion de ces substances. Évidemment, il est impossible de savoir exactement comment chaque pays gère ses réserves et certains, à l'exemple de la Russie, font l'objet de critiques. Toutefois, des efforts sont actuellement déployés sur la scène internationale afin de renforcer le contrôle sur les armes atomiques et les matériaux fissiles (voir Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires , Global Security Institute , Fissile Material Cut-off Treaty ). La difficulté à produire les matériaux fissiles et l'arme nucléaire permet un contrôle plus solide de la menace, permettant à la lutte contre le terrorisme nucléaire de s'attarder sur ce point particulier. Cette situation diffère de la plupart des autres scénarios du terrorisme, en ce sens qu'il est beaucoup plus facile de contrôler les matériaux employés pour créer l'arme nucléaire qu'il n'en est pour les autres formes de terrorisme. Les ingrédients pour faire des explosifs traditionnels, par exemple, ne demandent pas trop d'efforts pour se les procurer puisqu'ils sont très répandus dans les sociétés modernes. La priorité, afin d'éviter les dangers du terrorisme nucléaire, doit donc être mise sur le contrôle des matières à risques et des armes complètes.    

Ainsi, tel que suggéré par Ali (2007), une approche efficace à la lutte contre le terrorisme nucléaire doit s'étendre sur deux volets. Tout d'abord, il ne faut pas négliger le volet de la lutte contre le terrorisme en général (voir Martin, 2003). Les individus qui convoitent l'arme nucléaire demeurent tout de même des terroristes et les approches traditionnelles, dont la collecte de renseignement (Dyson, 2005), l'observation des regroupements suspects , les divers contrôles antiterroristes et les démantèlements de réseaux, peuvent faire échouer un plan meurtrier ou mettre des barrières à son exécution. De l'autre côté, il faut savoir tirer avantage de la situation et renforcer la sécurité et le contrôle des armes nucléaires et des matériaux fissiles. Toujours selon l'auteur, une stratégie efficace pour sécuriser le matériel nucléaire dangereux doit se faire sur trois volets. Premièrement, il faut revitaliser les traités actuels portant sur le contrôle des armes et matières nucléaires à risques. Ensuite, il est nécessaire de créer un cadre légal international compréhensif qui uniformiserait les efforts internationaux. Finalement, il faut s'équiper des pouvoirs nécessaires pour faire respecter ces ententes.   

Bien qu'actuellement le terrorisme nucléaire a peu de chance de se concrétiser, il est difficile de prévoir le niveau de risque qu'il portera dans les futures décennies. Une progression de la prolifération nucléaire pourrait bien augmenter les risques globaux de cette forme de terrorisme en offrant plus de possibilités aux groupes mal intentionnés. De même, avec l'environnement mondial actuel, où les idéologies politiques et religieuses s'entrechoquent et se transforment, il est difficile de prévoir qui sera le terroriste de demain, quels seront ses motivations et ses objectifs. Les prochaines années seront déterminantes dans le façonnement de la menace du terrorisme nucléaire. Les efforts actuellement déployés pour freiner la progression des dangers du nucléaire seront-ils suffisants? Les actions d'aujourd'hui détermineront le rôle que jouera l'énergie nucléaire dans le future.

 
     
 

Références

 
     
   
 
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