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D. Construire une arme nucléaire : la quête des matériaux fissiles | ||||||||||||||||||||
Seulement deux avenues s'offrent aux terroristes cherchant à atteindre des objectifs nucléaires : la construction d'un engin nucléaire improvisé à partir de matériaux fissiles frauduleusement obtenus ou le vol ou l'acquisition d'une bombe atomique complète et fonctionnelle. La présente section sera consacrée à la première option. Elle y inclura les étapes 3 et 4 de la chaîne de conditions énoncées par Fergusson et Potter (2004).
1. L'acquisition de matériaux fissiles en vue de construire une arme atomique 1.1 Les différents matériaux fissiles et leur masse critique. La construction d'une bombe nucléaire improvisée nécessite en son cour des matériaux capable d'engendrer une fission nucléaire, c'est-à-dire des matériaux fissiles. L'uranium hautement enrichi (U-235) et l'isotope 239 du plutonium (Pu-239) sont les matériaux fissiles les plus communément employés et sont aussi les plus susceptibles à être utilisé dans le contexte terroriste. Par contre, l'uranium-233, le neptunium-237 et l'américium-241 ont également la capacité de soutenir une réaction en chaîne et de servir de matériaux pour l'arme nucléaire. Toutefois, ces trois derniers matériaux, qui ne peuvent être produit qu'à partir de certains procédés spécialisés, n'ont jamais été employés dans la construction d'armes atomiques et sont encore au stade expérimental, ce qui rend leur utilisation improbable. Afin de catalyser une explosion nucléaire, il est nécessaire que les matériaux employés aient la capacité de déclencher une réaction en chaîne au niveau des atomes. Cette réaction ne peut être provoquée que lorsqu'une masse suffisante de matériaux fissiles est employée. Cette masse est reconnue dans le jargon scientifique comme la masse critique. Par exemple, un groupe terroriste qui parvient à entrer en possession d'une masse sous critique d'uranium enrichi ne pourra pas construire une bombe nucléaire, puisque la réaction en chaîne au niveau atomique serait impossible. Le tableau suivant indique la masse critique requise pour chacun des principaux isotopes fissiles. Listes de matériaux fissiles et leur masse critique
Les quantités présentées dans ce tableau représentent la masse critique nécessaire pour la fabrication de bombes atomiques de première génération. Les avancées technologiques d'aujourd'hui permettent de créer des armes nucléaires en utilisant de plus petite quantité de matériaux fissiles. De même, les isotopes Pu-240, Pu-241 et Pu-242 (dérivés du Plutonium), pourraient actuellement être utilisée dans une bombe à effet réduit, qui, dans le plus faible des cas, égalerait tout de même la force de 1000 tnt. Toutefois, ces nouveaux procédés ne sont réalisable que dans des laboratoires sophistiqués et dispendieux et il serait présentement impossible pour tout groupe terroriste de reproduire ces techniques. Ainsi, les valeurs conservatrices présentées dans le tableau s'appliquent mieux à la réalité terroriste.
1.2 La production de matériaux fissiles Fort heureusement, les matériaux essentiels au développement d'une arme atomique n'existent pas dans la nature et doivent être produits artificiellement à l'aide de réacteurs nucléaires complexes et couteux. À l'état naturel, l'uranium n'est composé qu'à 0,7 % d'isotopes U-235, largement insuffisant pour pouvoir catalyser une fission nucléaire. Ainsi, pour obtenir de l'uranium enrichi, il est nécessaire de procéder à la séparation des isotopes. Toutefois, le procédé de séparation est une opération difficile et seulement quelques pays dans le monde ont les installations pour le faire. Il va sans dire que les organisations terroristes, quelles qu'elles soient, n'ont pas la capacité de réaliser une telle démarche. En ce qui concerne le plutonium Pu-239, ce dernier est également
produit artificiellement dans les réacteurs nucléaires.
Toutefois, contrairement à l'U-235, sa production n'est généralement
pas un objectif, mais plutôt une conséquence nécessaire à la
production d'énergie. En effet, le plutonium-239 n'est pas issu
d'un procédé de séparation, mais plutôt de
la dégradation de l'uranium-238, utilisé comme source d'énergie
dans certains réacteurs nucléaires. Une fois l'uranium-238
transformée en plutonium-239 par le réacteur, la substance
radioactive n'est plus utilisable pour produire de l'énergie et
celle-ci devient alors un déchet nucléaire. Ces rejets
du réacteur, hautement radioactif, ne peuvent être détruits
immédiatement de façon sécuritaire, économique
et écologique. Conséquemment, ils doivent être entreposés
de façon à ce qu'ils ne représentent aucun danger
pour l'homme et l'environnement. C'est ainsi que sont créés à cet
effet des lieux d'entreposage (voir « spent
fuel pool ») La production terroriste de matériaux fissiles est donc une avenue peu envisageable. Pour preuve, la secte Aum Shinrikyo, avec un budget de plus d'un milliard de dollars américains ( Clinehens, 2000 ), n'est pas parvenue à produire de l'uranium enrichi, malgré que la secte fût propriétaire d'une mine d'uranium en Australie. Daly, Parachini et Rosenau (2005), conclut, après avoir étudié le cas de Aum Shinrikyo, que les difficultés techniques relatives à la construction de l'arme nucléaire ont transféré l'attention des têtes dirigeantes vers des modes alternatifs moins destructeurs, mais plus faciles à réaliser, tel que la création d'anthrax et de gaz sarin (voir Campbell, 1999). Donc, dans l'immédiat, la possibilité que des groupes terroristes soient capables de produire des substances fissiles est presque inexistante.
1.3 Le vol ou l'acquisition frauduleuse de matériaux fissiles Ainsi, puisque la production de matériaux fissiles
est inaccessible aux regroupements terroristes, ceux-ci devront se tourner
vers des modes d'acquisition alternatifs, dont le vol ou l'obtention
frauduleuse par contacts, menaces ou pots-de-vin. Les questions qui s'imposent
alors sont les suivantes : comment sont répartis ces matériaux
sur l'échelle planétaire? Dans quel type d'endroits sont-ils
entreposés? Ces lieux sont-ils sécuritaires? Puisque les
informations sur les réserves militaires de matériaux fissiles
ne sont pas divulguées au public et que les provisions civiles
sont difficiles à obtenir et sont rarement à jour, il n'est
possible que d'estimer la quantité globale de matériaux
fissibles (Fergusson & Potter, 2004, p.116). Un rapport provenant
de l'International Panel on Fissile Selon l'IPMF, 28 pays ont, encore aujourd'hui, malgré les efforts des États-Unis pour réduire le nombre d'U-235 dans les réacteurs civils répartis sur la planète, des quantités suffisantes d'uranium enrichi pour produire au moins une arme nucléaire. Parmi ces pays, on retrouve les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie, la France, la Chine, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Japon, l'Australie, le Brésil, l'Argentine, l'Afrique du Sud, l'Iraq, la Libye, l'Iran, l'Inde et le Pakistan (Laughter, 2007). Au total, il existe 140 réacteurs alimentés par l'uranium hautement enrichi, dont la moitié est située sur le territoire russe. En ce qui a trait au plutonium, les réserves mondiales sont d'environ 500 tonnes métriques selon l'IPMF (2007). L'Inde, le Pakistan et probablement Israël seraient en production de ce matériel afin de construire des armes. En 2007, les provisions civiles de plutonium étaient estimées à 250 tonnes et continuent à être produites dans des usines de séparation au Japon, en Inde, en Russie et au Royaume-Uni. Toutefois, les États-Unis et la Russie ont, encore une fois, les plus grandes réserves. Des plans pour réduire ces amas sont, jusqu'à maintenant, tombés dans l'inefficacité. ( IPMF, 2007 ).
1.4 Comment les terroristes pourraient-ils se procurer des matériaux fissiles? Même si les États-Unis et la Russie possèdent la plus grande part de matériaux fissiles, de petites quantités civiles sont réparties un peu partout sur la planète. Ces endroits sont bien gardés, et il est difficile de s'imaginer qu'une simple personne parviendrait à s'y introduire et s'enfuir avec des quantités suffisantes de matériaux fissiles pour produire une arme nucléaire. Néanmoins, ces endroits ne sont pas infaillibles et il est possible d'envisager certains scénarios qui permettraient aux terroristes d'obtenir l'objet convoité. Fergusson et Potter (2004) présentent quatre situations possibles :
Ce scénario est toutefois peu probable puisqu'un État qui emprunterait cette voie s'exposerait à d'énormes risques. La simple crainte que l'aide au terrorisme nucléaire soit retracée par un autre pays est une dissuasion suffisante pour empêcher la plupart des pays à agir ainsi. Un État qui serait reconnu coupable d'un tel acte verrait rapidement son gouvernement décapité par la communauté internationale. Toutefois, les auteurs de « The Four Faces of Nuclear Terrorism » notent un contexte où cet effet de dissuasion n'entrerait pas en vigueur. Le véritable danger, en effet, dans ce scénario, provient des États où le régime en place est sur le point de s'effondrer. Les États dans de telles situations ont peu à perdre en fournissant un soutien aux terroristes s'opposant aux forces ennemies. 2. Obtenir une aide non officielle d'un haut placé. Les valeurs circulant au sein d'un gouvernement ne font jamais l'ouvre d'un consensus et certains membres du gouvernement peuvent avoir l'envie d'aller à l'encontre de la position gouvernementale. Ces individus, motivés par leurs propres convictions, la promesse de gains personnels ou la menace, sont prêts à agir en solo, sans la conscience et la permission des instances supérieures. Il est même possible que l'officiel défaillant soit un membre ou une nouvelle recrue du groupe terroriste. Par contre, il faut que cet officiel ait une stature élevée dans la hiérarchie pour pouvoir offrir un soutien suffisant sans trop attirer les soupçons.
4. S'approprier les matériaux fissiles sans une aide externe. Sans le soutien d'individus à l'interne ou de membres du gouvernement en place, le groupe terroriste devra se résigner à agir seul. Bien qu'il soit difficile d'obtenir les types de soutien énuméré précédemment, agir seul serait encore plus difficile. Il est fort improbable qu'un vol furtif puisse être commis sans une aide interne. Conséquemment, une attaque plus musclée, et corolairement moins discrète serait nécessaire. Dans un premier temps, le groupe terroriste devra recueillir des renseignements sur le complexe nucléaire, détaillant les effectifs de sécurité et les mesures mises en place, de même que la configuration physique des lieux. Ensuite, ils auront à monter une équipe suffisamment entraînée et équipée pour mener l'opération à terme. Finalement, le plus difficile sera de prendre la fuite. En effet, une telle attaque ne passe pas inaperçue et les autorités du pays où à lieu l'attaque auront tôt fait d'être sur la trace des assaillants. De même, le groupe terroriste devra chercher de l'uranium enrichi plutôt que du plutonium puisque cette dernière substance présente une radioactivité trop élevée pour être transportée et manipulée sans équipement spécialisé. Un tel scénario est plus probable dans la situation où le gouvernement en place est affaibli et ne pourrait protéger les installations adéquatement. Somme toute, acquérir des matériaux fissiles reste l'étape la plus difficile dans la construction d'une arme nucléaire. Les méthodes décrites précédemment sont toutes très difficiles à mettre sur pied. Néanmoins, les scénarios présentés précédemment ne sont pas irréalistes et l'acquisition d'uranium enrichi par un groupe terroriste pourrait avoir une conclusion tragique.
2. La construction de l'arme nucléaire : les embûches supplémentaires Les experts de l'IAEA ont affirmé qu'il était très peu probable que les terroristes puissent construire et faire exploser avec succès une bombe nucléaire. Cette improbabilité provient principalement, telle qu'exposée dans la section précédente, des énormes défis relatifs à la production de matériaux fissiles. Mais, malgré tout, une fois les matériaux fissiles en possession, les terroristes ne seraient pas au bout de leurs peines. En effet, la fabrication d'une bombe nucléaire nécessite des connaissances et une expertise adéquates, la possession d'équipements et des matériaux particuliers, la capacité de contourner les appareils de sécurité de l'État, l'habileté à construire un mécanisme de détonation efficace et d'avoir à sa disposition les installations nécessaires pour faire divers tests diagnostiques. 1. Les connaissances et l'expertise relatives à la construction d'une arme nucléaire. Avec
la diffusion massive des informations et du savoir qui existe grâce aux technologies de communications modernes et aux universités, 2. Posséder l'équipement et les matériaux requis. Évidemment, la matière fissile n'est pas l'unique composante de la bombe nucléaire. Le groupe terroriste devra être en mesure de se procurer ou de construire l'armature de la bombe, ainsi que le mécanisme de détonation. De même, le regroupement devra posséder de l'équipement afin de pouvoir manipuler la matière radioactive sans danger. 3. Être en mesure de contourner les appareils de sécurité de l'État. La détection du plan par les autorités signifie sa fin. Il est donc primordial pour les terroristes de contourner tout mécanisme de détection et d'agir sans éveiller les soupçons. Le point critique où le risque de détection est à son paroxysme est lors de l'acquisition de matériaux fissiles. Cela va de soi, ces matériaux font l'objet d'une surveillance étroite et la disparition d'une quelconque quantité de matières, ne serait-ce que de quelques grammes, peut alarmer les autorités. L'idéal, pour qui tenterait d'accaparer furtivement ces matériaux, serait alors de manipuler les données de l'inventaire afin que la disparition ne soit pas détectée. Pour ce faire, un individu à l'interne serait la clef idéale. 4. Construire un mécanisme de détonation efficace. En tenant pour acquis que les terroristes n'aient pas accès à la technologie de pointe pour créer une bombe nucléaire, la création d'armes de sophistication égale à celles produites par les États les plus avancés est hors de question. En ce sens, les terroristes favoriseront donc des modèles de premières générations, dont l'efficacité fut bien prouvée et dont la construction ne nécessite pas de technologies avancées (Fergusson & Potter, 2004). Sans se fourvoyer dans les détails, les modèles de premières générations ne sont pas difficiles à construire d'un point de vue technique et scientifique. En ayant à leur disposition quelques scientifiques et des installations rudimentaires, les terroristes seraient capables de construire un mécanisme capable de créer une explosion nucléaire de force similaire à celles employées lors de la Deuxième Guerre mondiale. Toutefois, les modèles de première génération ne maximisent pas le potentiel des matériaux fissiles et une quantité plus élevée de ces substances est nécessaire pour produire une explosion considérable. 5. Les tests diagnostiques. Le groupe terroriste améliorera ses chances s'il est en mesure de tester préalablement le mécanisme de la bombe. Pour ce faire, le groupe devra disposer d'un endroit suffisamment anonyme pour effectuer des tests sans éveiller de soupçon.
Cette section vient de démontrer qu'il serait extrêmement difficile et complexe pour un groupe terroriste de construire une arme nucléaire. La principale difficulté est reliée à la difficulté de produire ou d'acquérir des matériaux fissiles. Même un groupe terroriste disposant de ressources financières et humaines considérables aurait de grandes difficultés à accomplir cette tâche. Le cas de l'Iran illustre bien les difficultés relatives à un tel projet (Ali, 2007). Malgré toutes les ressources de l'État à sa disposition, l'Iran serait encore plusieurs années derrière l'arme nucléaire (Clary, 2005). Un groupe terroriste, qui n'a pas les ressources d'un gouvernement ou sa liberté d'action, rencontrera donc des défis énormes s'il choisit de construire une arme nucléaire. |
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